L'histoire :
Un vieil homme portant une longue barbe blanche et de longs cheveux hirsutes s'est installé en forêt pour vivre reculé, en marge de notre civilisation. Il passe ses journées à sculpter d'étranges statues inspirées des toltèques ou des moaïs (monolithes de l'île de Pâques), qu'il dispose ensuite alentours, dans son décor. Des pancartes accrochées aux troncs et répartis sans logique apparente distillent par grandes maximes sa philosophie, plus qu'elles ne mettent en garde sur l'approche de sa cabane. « Ni suivre ni guider »... « Des siècles de cartographes et encore tant de terres inconnues... Un jour, des chasseurs tirent de loin une perdrix, qui tombe proche de son territoire. Ils y pénètrent donc, amusés par ce décorum qu'il savent insolite : la marginalité du vieux Noé est connue dans la région. Le vieux apparaît nu, car il est occupé à se baigner. Il les vilipende et les traite d'assassins : les fusils ne sont pas les bienvenus. L'homme évolué ne tuera plus que le temps. Les chasseurs repartent en se demandant comment on en vient à vivre ainsi. Plus tard, le vieux vient en ville. Il récupère des tas de choses dans la décharge, qu'il rapporte ensuite « chez lui » à l'aide d'une charrette. Des jeunes désoeuvrés le houspillent au passage...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce one-shot, le premier album de Zéphir, un jeune auteur tout juste sorti de l'école Estienne, se présente bien en marge des canons académiques et grand-publics de la bande dessinée. Dès les premières pages muettes et ultra-stylisées, le ton est donné : une grande place sera donnée à la contemplation, au temps arrêté, bien en marge de la trépidation de la civilisation humaine à l'occidentale. C'est ce mode de vie marginal qu'a choisi l'ermite sur lequel focalise globalement le propos. L'auteur s'est inspiré de la vie de Chomo, un authentique artiste écologiste qui a vécu ainsi durant 30 ans en forêt de Fontainebleau. On le voit en communion avec la nature et habité par la réalisation d'oeuvres bizarres : des sculptures d'inspiration précolombiennes, des dessins naïfs façon « tête à toto », qui lui parlent, une « machine » étrange composée de détritus, un mur couvert de pensées écrites de manière composite... Sur cette trame narrative reposante et épurée, les 120 planches de l'album défilent vite. D'autant plus vite que les séquences BD principales se séparent par des empilement de toiles « d'art contemporain », pleines pages, laissant une grande place aux sensations liées à la nature ou à l'art primitif (rochers sculptés, dessins naïfs...). Pour aller jusqu'au bout de sa démarche, Zéphir ne délivre ni leçon, ni scénario complexe : la perception de l'histoire est laissée libre et ouverte. Zéphir partage juste une autre vision du monde et de l'art, comme une parenthèse nécessaire et troublante, qui a l'immense mérite d'inciter à la réflexion sur notre mode de vie occidental et matérialiste. Ce mode de vie semble sain, mais est-il possible ?
