interview Bande dessinée

Boulet

©Delcourt édition 2010

En rencontrant le succès avec sa première série Raghnarok, Boulet aurait pu se contenter d'une sphère Jeunesse qui lui souriait. Au lieu de ça, il a été l'un des fers de lance de la blogosphère BD. Affranchi des carcans éditoriaux, de formes et de délais, ce biais lui permttait une concrétisation immédiate de son inspiration, ainsi qu'une permanente remise en question du 9e art. La qualité des historiettes publiées sur son blog l'a conduit à être aujourd'hui l'un des plus visités. Profitant de sa venue à Angoulême, cet auteur à la croisée des écoles belges et mangas nous a parlé de son actualité et de sa démarche...

Réalisée en lien avec l'album Notes T4
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême 2010

interview menée
par
6 mai 2010

Bonjour Boulet, comment as-tu commencé à faire de la bande dessinée ?
Boulet : Bonjour, j’ai commencé à faire de la BD à la fin des années 90. J’’étais alors étudiant aux arts décoratifs de Strasbourg et je me suis retrouvé, à la suite d’un concours où j’avais gagné le 3e prix, en contact avec Jean-Claude Camano et Zep, qui cherchaient des jeunes auteurs pour le magazine Tchô !. J’ai eu énormément de chance et j’ai donc commencé à dessiner tout en étant étudiant. J’ai eu mon premier contrat d’album en sortant de l’école. Ma première BD était donc le premier tome de Raghnarok, que j’avais commencé à dessiner quelques années avant. J’ai continué la série pendant quelques années dans le journal. J’ai fait d’autres séries comme La rubrique scientifique, Le miya, j’ai scénarisé les Womoks… J’ai fait aussi deux albums chez La boîte à bulles avec Lucie Albon aux dessins, et Nicolas Wild et moi au scénario, qui s’appelait Le vœu de Marc et Le vœu de Simon. A ce moment-là, j’ai commencé à parler blog avec Lewis Trondheim qui s’intéressait beaucoup à ce média. Je lui ai montré ce que je faisais et ça l’a beaucoup intéressé. Il m’a proposé ainsi de reprendre Donjon zénith à sa suite et au bout de deux tomes, il a fortement insisté pour que je fasse mes Notes chez Delcourt dans sa collection Shampooing. Je n’ai pas accepté dans un premier temps et puisqu’il m’a envoyé un contrat à signer sans mon accord, j’ai fini par accepter.

© BouletQuelles sont tes influences en termes de bande dessinée ?
Boulet : Comme beaucoup de dessinateurs de ma génération, j’ai été nourri à la BD franco-belge. On a découvert sur le tard les mangas et les comics. Jusqu’à 16-17 ans, je ne connaissais que le franco-belge et Fluide glacial. Après, je me suis tourné vers les mangas avec Akira, du côté américain Watterson et son Calvin et Hobbes. En fait, ma façon d’être influencé dans mes dessins fonctionne par cannibalisme, c'est-à-dire que lorsque je suis confronté à d’autres dessinateurs, je me mets à récupérer ce que je préfère chez eux. Finalement, ceux qui m’ont le plus influencé sont les personnes avec qui j’étais aux Arts déco comme Erwan Surcouf, Reno, Lisa Mandel, des personnes dont j’appréciais le boulot. Je récupérais quelque chose d’eux, jusqu’à même très récemment. J’ai travaillé sur le collectif Chicou Chicou chez Delcourt avec Aude Picault, Domitille Collardey et ceux-là m’ont énormément influencé. J’ai récupéré beaucoup de tics d’Aude, car c’est avec elle que je travaillais le plus. Je retrouve dans mon dessin les influences de tous ces gens.

On a parfois l’impression qu’avec toutes tes influences, notamment dans Notes, tu vas nous surprendre en changeant de style…
Boulet : C’est vrai que c’est assez marrant de ne jamais vraiment savoir vers quoi je vais partir. J’ai lu les Moebius comme L’incal et on peut plus dire qu’il m’a marqué, mais pas influencé. Maintenant que je me suis mis au dessin d’improvisation, c'est-à-dire sans crayonnés, je me rends compte qu’il m’a plus influencé que ce que je pensais. Pareil pour Quino, lorsque j’ai fait Chicou Chicou ou les forêts dans Raghnarok qui rappellent celles des Schtroumpfs. Personne ne sort un nouveau style : on identifie des chefs de file, mais il y a des gens qui sont influencés par les mêmes auteurs et qui au final se rapprochent.

© Boulet

Comment définirais-tu ton style ?
Boulet : Je ne sais pas, c’est plutôt une fusion entre le franco-belge et le manga. Même si aujourd’hui je ne me reconnais plus dans aucunes des deux écoles.

Notes rassemble les travaux publiés sur ton blog. Penses-tu que ce médium apporte quelque chose à la bande dessinée ?
Boulet : Je m’en fous, je n’ai pas l’impression d’avoir quelque chose de spécial à apporter à la bande dessinée. Je fais mon métier et j’espère que cela plaira aux gens. Quant à savoir si Internet va apporter quelque chose à la BD, honnêtement je m’en fous. Internet, de manière égoïste, me plait. La vie d’auteur de BD est ennuyeuse au possible. On passe 6 mois enfermé chez soi, avant d’attendre des mois avant que son album ne soit imprimé, puis encore des mois avant d’avoir des retours de lecteurs ou de critiques. Ce métier est horrible. On dessine d’une manière très informelle. Ce dessin-écriture amené par les Sfar, Trondheim est aujourd’hui admis. Pour moi, la BD se fait sur des carnets, mal assis, on n’est plus obligé d’avoir des planches hyper chiadées. Pour moi, le net est un moyen de diffusion rapide et me permet de voir mon travail immédiatement commenté. Cela me semble une méthode moins autiste.

© BouletAs-tu besoin d’une série régulière sur laquelle t’appuyer, comme Raghnarok peut l’être à l’heure actuelle ?
Boulet : Pas vraiment. Pour moi, le problème du net est que je suis dépendant du cadre de l’autofiction un peu rigolote. J’aimerais bien faire quelque chose qui soit de la fiction totale et qui soit lisible sur Internet. J’aimerais concilier ces deux métiers : auteur de BD et blogueur. J’aimerais faire une histoire très développée et qui bénéficie de la spontanéité du net. Pour moi, le blog c’est comme une série télé. Pleins de petits épisodes qui te font devenir accro.

Finalement, voir tes Notes publiées aujourd’hui…
Boulet : La compilation papier permet à mon sens de faire le lien entre les deux. Le blog ce n’est pas un album, c’est le blog. Les albums du blog sont plus des recueils, un moyen d’avoir une trace ou un souvenir. Pour moi, lorsque je créé je ne calcule absolument rien. Lors de la mise en recueil, j’essaie de mettre en avant une ligne directrice mais rien de plus.

Quels sont tes futurs projets ?
Boulet : J’aimerais refaire un peu de jeunesse, puisque le blog m’en écarte. Je vais conclure Raghnarok, pour achever la boucle et me lancer sur un autre projet du même genre. Chez Delcourt, je travaille sur un scénario pour Pénélope Bagieu, pour un double album. En parallèle je scénarise et elle dessine, alors que moi, pour le second, je m’occupe de tout, montrant ainsi une autre version. Le tout devrait être publié petit à petit sur Internet.

© Boulet

Si tu n’avais pas fait de la BD, qu’aurais-tu fait ?
Boulet : De la science, je crois ! J’étais bon dans cette matière, même si j’ai préféré le dessin. Il y a une absurdité en France qui est que l’on ne peut pas faire science et art en même temps. J’aurais adoré faire de la biologie ou de la physique. J’aime lire les bouquins de vulgarisation de ce genre.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d’un autre auteur pour en découvrir le génie, qui irais-tu visiter ?
Boulet : Je pense que l’évidence absolue est Moebius, car c’est lui qui a exploré le plus de voies avec une virtuosité incroyable. Arrivé à être aussi polyvalent à son âge, avec son expérience, et cette volonté de se remettre en question en permanence, c’est ce que j’aimerais être. Je ne pourrais pas être l’auteur franco-belge d’une seule série. Sinon côté manga, ce serait Eiichiro Oda, l’auteur de One Piece, qui m’émerveille à chaque parution par le degré de folie dans chacune de ses cases. En plus on a un mois d’écart ! Je crois que c’est le dessinateur au monde que j’aimerais le plus rencontrer.

Merci Boulet !

© Boulet