interview Bande dessinée

Denis Bajram

©Soleil édition 2006

Denis Bajram est à l'origine d'une des séries qui aura marqué la science-fiction ces dernières années dans le 9e art : Universal War One. En juin 2006, huit ans après la parution du premier épisode, la série se referme enfin sur un 6e volet très attendu des fans, Le patriarche. Les bédiens n'ont pas manqué l'occasion de boire une bière en sa compagnie, afin d'en savoir plus sur cet auteur complet, également informaticien chevronné, qui travaille à 100% sous photoshop !
Retrouvez le aussi sur son tout nouveau site : quadrant solaire !

Réalisée en lien avec l'album Universal War One T5
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
19 juin 2006

Bonjour Denis ! Comment ça va ?
Denis Bajram : Très b(éd)ien ! Festival facile pour moi, surtout que je ne dédicace plus ! Comme ça je peux enfin discuter avec des gens, ce que je ne pourrais pas faire si je passais mon temps en dédicace.

Pour te présenter, peux-tu nous résumer (brièvement) ton parcours ?
Denis Bajram : J’ai commencé à faire des albums de 20, 40 pages quand j’avais 7, 8 ans. Au début, j’inventais des épisodes inédits de Goldorak. J’ai participé aux premiers concours FNAC, etc. Puis j’ai commencé à publier dans pas mal de fanzine, la BD d’ado solitaire est devenu une histoire de rencontres humaines : par exemple, avec Mathieu Lauffray, avec qui j’étais aux Arts déco, en 1989, on s’est beaucoup aidé l’un l’autre, on a beaucoup appris l’un de l’autre. Puis, je suis tombé dans les bras de Thierry Cailleteau. Et maintenant, je suis auteur à part entière… ce qui, entre parenthèse, me semble en fait beaucoup plus facile que de faire des albums à plusieurs.

Cryozone, Universal War One, Mémoires mortes… Tu ne fais que de la science-fiction qui bousille tout ?
Denis Bajram : Ce n’est a priori pas mon terrain de chasse, mais curieusement, je n’ai fait effectivement que de la SF qui bousille tout. Cryozone n’est pas un projet que j’aurai fait naturellement. En fait, quand je suis arrivé chez Delcourt, Guy Delcourt et Thierry Cailleteau cherchaient plus ou moins quelqu’un pour remplacer Olivier Vatine sur la série principale Aquablue. A l’époque, je pense qu’Olivier l’a mal pris – d’ailleurs je comprends, je n’avais clairement par le niveau. Du coup, on s’est retrouvé le bec dans l’eau. Il se trouve heureusement qu’à ce moment, Thierry avait un projet de série Z de « zombies dans l’espaaace », assez comique, avec Stan et Vince. Thierry s’était laissé aller dans l’écriture de son scénario et l’avait rendu bien plus réaliste que ce que souhaitaient ses deux compères. Il y a eu rupture, à peu près au moment où j’ai débarqué… et voila comment j’ai récupéré le scénario de Cryozone ! Ça a été un très bon moyen d’apprendre mon métier. Mais maintenant, Delcourt, c’est du passé. Je trouve que c’est une maison d’édition un peu trop policée. Je préfère la foire d’empoigne qu’on trouve chez Soleil. Il y a plus de dynamisme dans ce genre de boîte.

Qu’est ce que tu penses du vieux débat autour de la renaissance de Futuropolis ?
Denis Bajram : Je ne comprends pas que ça arrive sur la place publique, alors qu’Etienne Robial était au courant depuis le début de cette renaissance. Quant aux humeurs de J.C. Menu de l’Association, lui, nous fait une crise du genre « l’indé c’est ma cour d’école à moi tout seul, gare ta gueule à la récré ». Ceci dit, pourquoi pas… Ce que je ne comprends surtout pas, c’est que tout le monde mette son grain de sel là-dedans. Les débats anonymes, les attaques qu’on a lu sur Internet… pfffff… Dans le même genre, quand je suis parti de Delcourt, on m’a dit : tu as trahi Delcourt. C’est vraiment dommage, que tant de gens se mêlent ainsi de ce qu’ils ne connaissent pas. Bref… Parlons d’autre chose !

Les mémoires mortes : tu as scénarisé le tome 1, colorisé le tome 2, est ce que tu vas dessiner le tome 3 ?
Denis Bajram : Non, on en est au point mort avec l’éditeur sur cette série, qui a refusé longtemps de nous rendre nos droits. Donc, je ne continue pas avec ce genre de gens. Si l’éditeur nous rend nos droits, on sortira un tome 3. Sinon, rien. L’édition est un métier de confiance. Quand j’ai des problèmes au bout d’un an avec un éditeur, je sais qu’il vaut mieux arrêter notre collaboration…

Si ce que tu fais est génial, tu as un rythme de production assez lent. Est-ce que tu as une excuse ?
Denis Bajram : J’ai arrêté de travailler pendant 2 ans. La cause en était des messages laissés sur un forum de BD Paradisio, sur lequel je m’étais fait traiter de macho, de facho, etc. Ça m’a cassé les pattes. J’ai eu du mal à redémarrer. En fait, je me suis demandé pourquoi je faisais de la BD si j’étais si mal compris par certains. Et puis je m’y suis remis petit à petit…

Tu travailles toujours en atelier ?
Denis Bajram : Travailler en atelier est génial : c’est un vrai milieu d’échange, on y apprend plein de choses : il faut dire que c’est hallucinant le nombre de compétences qu’il faut maîtriser pour réaliser un album. Au début, ça m’a énormément aidé. Aujourd’hui, j’en aurais moins besoin, parce que je suis plus adulte, plus sûr de moi. Mais c’est cela qui m’a montré la voie, c’est sûr.

Il parait aussi qu’au départ tu faisais de la musique ?
Denis Bajram : Oui, enfin… mon groupe le plus « sérieux » s’appelait les Crottes Monsieurs, et très logiquement, on faisait de la musique de merde, des concerts de caca, des chansons étRonnantes… tu vois le niveau ! Mais assez vite, j’ai fait le choix de faire de la BD, et du coup, j’ai dû arrêter les groupes de musique…

Entre mecs, que penses-tu des scénarii de Valérie Mangin ?
Denis Bajram : Je ne peux pas vraiment répondre à ta question. On vit tout le temps ensemble, et si je ne la trouvais pas géniale, ce ne serait pas possible.

Est-ce que tu as pensé à La guerre éternelle pour ton titre Universal War one ?
Denis Bajram : Oui, ce titre vient même d’une blague sur cette série. Au début, j’avais défini le scénario, mais je ne trouvais pas le titre. Patrick Pion, à qui j’en parlais, a commencé à déconner en disant qu’on devrait faire la même chose que La guerre éternelle, mais en anglais ronflant d’Hollywood : « Eternal War », « Independance War IV »… quand on a trouvé Universal War One… ça m’a tapé dans l’œil, je ne sais pas pourquoi, et la blague est devenu UW1 !

La terre qui explose à la fin du tome 3, c’est un truc hallucinant !
Denis Bajram : J’ai été très surpris de la réaction des gens, parce que c’est vraiment quelque chose d’éculé dans la littérature de SF. Au moins, cette réaction me dit que j’ai dû bien réussir ma scène !

Sur cette série, tu t’es quand même mis dans un sacré gros truc !
Denis Bajram : Je suis totalement impliqué dans cette série. Quand je suis vraiment au boulot, je travaille 16 heures par jour, week-end compris. Quand je dois tuer un personnage, je me mets même à pleurer… Après le tome 6, je devais même commencer UW2 puis après, UW3 ! Les synopsis sont déjà écrits… Mais je vais quand même faire autre chose avant : huit années sur UW1, c’est beaucoup, il faut que je prenne un peu l’air !

As-tu été fier qu’Universal War One soit nominé à Angoulême 2005 ?
Denis Bajram : Ça m’a fait très plaisir ! Même si je n’en avais pas réellement besoin. Je fais un peu tâche grand public dans la sélection ! Ceci dit, je comprends qu’Angoulême s’attache à faire connaître des œuvres inconnues, je ne suis pas plus qu’eux pour la démocratie dans les prix. Un prix doit mettre en avant un grand auteur, bien sûr, mais qui n’est pas déjà encensé de partout. Par exemple, L’homme sans talent, de Yoshiharu Tsuge, est un livre pointu mais assez facile à lire … et plein de talent justement !

A ce sujet, si tu étais un bédien, quels seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Denis Bajram : L’œuvre d’Alan Moore, très clairement. Je suis toujours très étonné du nombre de gens qui ne connaissent pas son travail. C’est un vrai intellectuel, qui maîtrise parfaitement la forme comme le fond, tout en faisant de la BD vraiment populaire. Je voudrais aussi faire découvrir à ceux qui y auraient échappé le sublime Journal de Fabrice Neaud, une autobiographie en 4 tomes chez Ego comme X ; Et dans un autre genre, il faut lire Tirésias et la gloire d’Héra, de Letendre et Rossi, des albums n’ont pas eu hélas le succès qu’ils auraient mérité !

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Denis Bajram : Je vais être très orgueilleux : je ne vais pas me téléporter !

Merci Denis !