interview Comics

Dylan Horrocks

Bonjour Dylan Horrocks, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Dylan Horrocks : Je m'appelle Dylan Horrocks et je suis un cartooniste néo-zélandais. J'ai toujours dessiné pour autant que je m'en souvienne et j'ai aujourd'hui trois de mes livres qui sont disponibles en français : Hicksville, premièrement publié en 1998 mais disponible aujourd'hui dans une nouvelle traduction française et c'est aussi une nouvelle édition comportant une nouvelle introduction. Hicksville parle d'une petite ville imaginaire en Nouvelle-Zélande dont les habitants sont tous obsédés par les comics. C'est un peu ma déclaration d'amour aux comics mais ça traite aussi de la difficulté d'être amoureux de cette art un peu fou, à l'histoire étrange et torturée. Mes deux autres titres traduits sont At work, qui regroupe les comics courts que j'ai réalisés ces trente dernières années et Magic Pen qui est mon nouveau graphic novel qui traite lui aussi des comics mais plus précisément, cette fois, de la dimension morale du fantastique. Avons nous une obligation morale vis-à-vis de nos fantaisies ?

Quelles sont tes influences ?
Dylan Horrocks : Quand j'étais petit, mon père était un grand fan de comics et il y avait donc toujours plein de très bons comics, à la maison. J'ai grandi en lisant Tintin, Astérix, Lucky Luke... ces titres étaient, de tous ceux que je lisais, mes préférés. Je pense donc que j'ai grandi avec un intérêt fort pour la bande-dessinée. J'ai suivi des cours de français au lycée dans le seul but de pouvoir lire des BD françaises dont je connaissais l'existence mais pour lesquelles il n'y avait pas de versions en anglais de disponibles. J'ai aussi lu le magazine "À suivre", au lycée. Je ne pouvais pas lire la moitié des histoires, mais j'étais béat d'admiration devant Jacques Tardi, Chantal Montellier - une dessinatrice que j'ai découverte au lycée, encore -, Yves Challand, Serge Clerc... J'étais obsédé par ces dessinateurs, au lycée. Mais il y avait aussi des américains comme les frères Hernandez, Robert Crumb...

Tes influences sont très européennes. Tu es un amoureux de la bande-dessinée française et le dit souvent dans tes albums. Quelle est la différence entre la bande dessinée française et les livres que tu lisais quand tu étais jeune ?
Dylan Horrocks : Quand j'étais jeunes, les bandes dessinées que j'ai pu lire et en particulier les histoires que je pouvais lire dans À Suivre et Métal Hurlant donnait l'impression d'être des comics destinés à des adultes. Il n'y avait pas d'effort faits afin de les rendre accessibles à un public plus jeune. C'était mature. C'était des histoires personnelles, sérieuses et racontées parce que l'auteur ressentait le besoin de les raconter, elles lui étaient personnelles. C'était très rare dans les comics en langue anglaise, à l'époque. Il y avait des comics underground et ils étaient très intéressants. Mais il m'a fallu attendre plus tard dans ma vie pour voir émerger une scène alternative, aux États-Unis. Des gens comme les frères Hernandez, Julie Doucet, Chester Brown, Dan Clowes... Ces gens-là ont surgi juste quand je sortais de l'école. La bande dessinée, pou moi, c'était là où on pouvait trouver les histoires complexes, matures et sophistiquées. La première fois que je suis venu à Angoulême, c'était intéressant car c'était au moment où l'univers de la bande dessinée découvrait des gens comme Dan Clowes et Julie Doucet. J'ai l'impression qu'il y a une conversation incessante entre le comics alternatif américain et la bande dessinée française. Et, tous les cinq ans, un de ces pays prend la parole dans cette conversation et apprend à l'autre de nouvelles choses dans le langage des comics. Je crois que cette conversation m'a toujours intéressé, au même titre que je suis intéressé par chacune de ces cultures du comics.

Comment définirais-tu ton style ?
Dylan Horrocks : Mon style a changé au fil des ans en partie parce que je ne suis pas très bon, au dessin. Dessiner n'a jamais été facile, pour moi. Quand je vois quelqu'un comme Baudoin dessiner, ça ressemble à une sorte de tour de magie où il s’asseoit, prend son stylo et... ça parait si simple ! Pour moi, c'est une lutte et j'ai longtemps cherché le style qui me convenait, en tant que dessinateur. Dans At Work, tu peux voir plein de styles différent et, en fait, c'est juste que j'explore différentes manières de dessiner. Je réussis toujours à retrouver mon chemin et à revenir vers la Ligne Claire, je pense que cela provient d'un de mes plus grandes influences : Hergé. La Ligne Claire est comme un refuge, pour moi, au moment de dessiner. Je suppose que mon style est proche de la Ligne Claire sans, toutefois, être parfaitement clair. Peut-être est-ce de la [NDT: en français] Ligne Claire Sale. [rires] Il y a comme une négligence, quelque chose de bizarre, dans mon style. Parfois, j'ai essayé de m'en écarter mais, en définitive, j'en suis venu à penser que c'était comme ça que je dessinais. Dessiner, c'est très physique, tu dessines avec ton corps et, parfois, tu ne peux pas contrôler exactement ce que ton corps essaie de dire, à travers les lignes que tu traces. Et, donc, la façon dont je dessine, aujourd'hui, est très proche de la façon dont je dessine, physiquement. On y trouve parfois une certaine maladresse, que j'ai appris à aimer. Espérons quand même que l'on ne se dise pas que je ne sais tout simplement pas dessiner. [rires]

Dans tes livres, on retrouve un personnage régulier, Sam Zabel. Quelles sont les différences entre lui et toi ?
Dylan Horrocks : Sam est mon avatar. Si on était dans un jeu vidéo, il serait le personnage que je choisirais sans cesse. Il est le masque que je revêts pour explorer d'autres réalités. Il n'est pas exactement moi. Déjà, il a un autre nom, ce ne peut pas être moi ! [rires] Il y a des différences dans nos passés et dans nos personnalités. On est comme des jumeaux qui auraient grandis dans des directions légèrement différentes. Mais je le considère comme un costume que je peux endosser quand m'arrivent des questions dont je veux trouver les réponses. Je me grime en Sam pour tenter de résoudre les problèmes auxquels je suis confronté.


Dylan Horrocks


En France, on a récemment découvert Magic Pen et une nouvelle édition de Hicksville est parue. As-tu déjà une idée concernant ton prochain album avec Sam ?
Dylan Horrocks : J'ai un problème dans le sens où je travaille toujours sur au moins 6 histoires à la fois. La difficulté consiste à décider de laquelle mérite le plus mon attention immédiate afin de la conclure en premier. En ce moment, je travaille à fond sur deux histoires. Mais je n'ai pas envie d'en choisir tout de suite une pour dire qu'elle constituera le prochain album parce que les deux sont encore en lice et je ne sais pas laquelle de ces deux histoires va l'emporter. J'ai d'autres histoires avec Sam mais j'ai aussi d'autres histoires qui me concernent plus, personnellement. Mais, donc, oui, il y aura d'autres aventures de Sam, c'est juste que je ne sais pas s'il figurera dans mon prochain album ! [rires] Il faudra attendre pour le savoir.

On a eu, grâce à toi, l'opportunité de découvrir la scène comics néo-zélandaise. Peux-tu nous en parler un peu ?
Dylan Horrocks : La Nouvelle Zélande a une scène comics très active et ce depuis très longtemps. Dans les années soixante-dix, un magazine de comics néo zélandais a été lancé par un jeune cartooniste nommé Colin Wilson. Il est ensuite parti en Europe et a fait carrière dans la bande dessinée. Il a travaillé sur La Jeunesse de Blueberry et aussi sur de nombreux albums qu'il a lui-même écrits. Il travaille encore aujourd'hui dans l'industrie française et je suppose qu'ici, vous l'appelez [NDT: avec un accent franchouillard] 'Colin Wilson'. [rires] Il vit désormais en Australie mais il travaille toujours pour des éditeurs européens. Un autre cartooniste, Roger Langridge, est, lui, basé à Londres mais il est aussi originaire de Nouvelle-Zélande et je le connais depuis très longtemps. Ses livres sont publiés dans de très nombreuses langues différentes, en Europe et aux Etats-unis. La scène locale Néo Zélandaise s'est récemment renforcée car nous avons aujourd'hui trois éditeurs différents spécialisés dans les comics, là-bas. Et c'est une première ! Et l'un de ces éditeurs a récemment publié un graphic novel de Ant Sang intitulé The Dharma Punks, qui est aussi sur le point d'être optionné par un éditeur français. Il devrait donc être publié en France d'ici un an. Beaucoup de gens font des comics de qualité, en Nouvelle-Zélande, c'est juste qu'on n'avait pas l'infrastructure dont vous disposez ici, avec la bande dessinée. C'est un tout petit pays avec une très faible population. Et on commence à peine à se munir de cette infrastructure. Je pense que vous n'allez pas tarder à voir arriver de plus en plus de comics néo-zélandais traduits en français !

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Dylan Horrocks : Oh, c'est difficile de choisir [rires] Je pense que je choisirais Hergé. Si je pouvais observer n'importe quel dessinateur en train de faire son travail et que je pouvais voir comment cette personne construit ses récit, Hergé est le [NDT: en français] 'dessinateur' que j'ai étudié si intensément et depuis tant d'années que de pouvoir l'étudier en vrai, en personne, ce serait incroyable. Mais un autre qui me tenterait bien, ce serait Tove Jansson, l'artiste finlandaise à l'origine des Moomins. Ses dessins m'obsèdent. Son emploi des lignes, des ombres... Les paysages qu'elle explore... Elle a créé le décor de mes rêves et pouvoir la rencontrer serait, là aussi, une chance incroyable.

Merci Dylan !


Dylan Horrocks


PAR

29 janvier 2015
©Casterman édition 2015

Si vous avez eu la chance de découvrir Hicksville, il y a plus d'une dizaine d'années lors de sa parution chez L'Association, le nom de Dylan Horrocks vous avez sûrement tapé dans l'œil. Cet artiste néo-zélandais a été biberonné à la BD franco-belge dès son plus jeune âge et use d'un trait forcément inspiré de la Ligne Claire. De retour sur le devant de la scène du 9ème art avec la sortie de son dernier roman graphique, Magic Pen, et la réédition de son premier album, Hicksville, nous avons pu croiser l'artiste et évoquer ensemble ses travaux.

Réalisée en lien avec les albums Hicksville, At work, Magic Pen
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême