interview Bande dessinée

Edmond Tourriol

©Hugo BD édition 2015

Connu des fans de comics pour être le traducteur de Walking Dead et de nombreux titres phares, Edmond Tourriol est aussi le créateur du studio Makma et scénariste à ses heures perdues. En bon fan de football, il a déjà usé ses crampons sur des titres à succès comme Banc de touche ou Zlatan Style. Pour son prochain défi, il a décidé de se lancer dans la conception d'un manga sur le sport le plus populaire du monde et compte sur l'appui des lecteurs avec une campagne de financement participatif. L'occasion pour nous de lui parler de sa passion et de ses métiers.

Réalisée en lien avec les albums Zlatan style T2, Zlatan style T3, Zlatan style
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
19 juin 2015

Hello Edmond, pour commencer peux-tu te présenter ?
Edmond Tourriol : Salut ! Eh bien, je suis scénariste de BD et traducteur de comics. En ce moment, je travaille sur l’adaptation française de séries comme Green Lantern, Justice League, Invincible et Walking Dead. En tant que scénariste, je viens juste de publier le troisième tome de Zlatan Style, chez Hugo BD. EtEdmond Tourriol L'équipe Z je lance en ce moment même un projet de manga en financement participatif, sur la plateforme Ulule : http://fr.ulule.com/lequipe-z/

Le studio Makma, c'est quoi ? Quel est ton rôle ?
Edmond Tourriol : Alors, voilà. À côté des mes activités d’auteur, je dirige le studio MAKMA avec mon associé, Stephan Boschat. Au sein de cette structure, nous proposons aux éditeurs de bande dessinée toutes les prestations possibles : scénario, dessin, encrage, couleur, lettrage, traduction, maquette, logo, etc. Mon rôle spécifique, c’est d’abord le suivi des projets et la gestion de l’équipe, ainsi que les contacts avec les éditeurs. Au début, Stephan s’était spécialisé dans la partie administrative. Aujourd’hui, son rôle s’est étendu. D’abord, son activité de scénariste lui prend énormément de temps, mais il est également le chef des lettreurs. Il chapeaute avec brio tous nos services d’infographie. Par ailleurs, il joue aussi un rôle de chef de projet sur plusieurs BD. Vu que je bosse un petit peu sur les factures, nos rôles se sont équilibrés. Nous fédérons une quarantaine de collaborateurs différents, venus de tous horizons, en France et en Espagne. Pour en savoir plus : http://www.makma.com

A quoi ressemble une de tes journées type ?
Edmond Tourriol : Je me lève à 6h00. Je fais des Edmond Tourriol L'équipe Zpompes, des flexions, je prépare le petit-déjeuner de toute la famille, je mange en lisant mes e-mails et mes messages Facebook. Je fais quelques abdos, un brin de toilette. J’emmène mon fils à l’école. Je cours entre 3 et 15 km. Je me douche. Et ma journée de travail commence entre 9h30 et 10h30, selon la durée de ma course. Là, j’essaie d’abattre un maximum de boulot avant midi : traduction ou écriture. Je me prépare à manger (je bosse chez moi), je mange en lisant mes e-mails ou en me promenant sur Facebook et Twitter. Café. Sieste express de vingt minutes maxi. Et c’est reparti pour le taff. 16h00, je vais chercher mon fils à l’école. Ensuite, c’est un peu le bordel jusqu’à 20h00, heure à laquelle je reprends le boulot, souvent jusqu’à 23h00 (voire après minuit quand je suis débordé… et c’est le cas en ce moment, avec la campagne de l’équipe Z qui m’a beaucoup accaparé).

Tu écris maintenant depuis quelques années. Comment es-tu passé de traducteur de comics à scénariste de BD/manga ?
Edmond Tourriol : En fait, c’est le contraire. À partir de 1999, en tant que scénariste, j’ai publié mes histoires dans une vingtaine de fanzines chez Climax Comics, un studio associatif, avant de devenir traducteur chez Semic en 2001 (sur The Tenth et les séries CrossGen, au début… sacré bizutage). Mon expérience de scénariste amateur m’a encouragé à aller vers des dialogues plus « parlés ». Et ensuite, le nombre colossal de comics que j’ai traduits m’a donné un entraînement redoutable pour ces mêmes dialogues. Pour moi, en tant que scénariste, le plus dur, c’est la structure de l’histoire. Les répliques des personnages, j’y arrive plus facilement.

Edmond Tourriol L'équipe Z Parlons foot et BD, tu écris Banc de touche et Zlatan Style. Le ballon rond est vraiment une passion ? Pourquoi avoir choisi Zlatan Ibrahimovic comme héros ?
Edmond Tourriol : Oui, quand j’étais petit, j’avais trois passions : les super-héros, les Girondins et Michael Jackson. Aujourd’hui, j’ai 41 ans et je suis payé pour traduire des histoires de super-slips. J’écris des BD de foot… mais Michael est mort. En 2009, avec mon collègue scénariste Dan Fernandes, on réfléchissait à un projet de web-série façon Caméra Café. On voulait parler de foot (on est tous les deux amateurs), avec un plan fixe sur un banc de touche. Finalement, ça s’est concrétisé en une BD, qui ne se passe pas sur un banc, mais qui suit un entraîneur en particulier : Raymond Domenech (un sélectionneur, en vérité). On a cartonné avec le premier tome, avec près de 10.000 ventes. Le deuxième tome a bien démarré aussi, au point de générer un hors-série « spécial Marseille ». Hélas, l’éditeur qui publiait notre série footballistique n’avait pas que des succès à son catalogue, et il a fait faillite. Nous avons perdu beaucoup dans l’affaire, mais nous avons récupéré les droits de Banc de Touche, heureusement. Quand nous avons voulu trouver un autre éditeur pour continuer la série, on a eu beaucoup de mal, à cause des ventes du hors-série, trop faibles pour que les libraires aient envie d’en commander d’autres (alors que ce HS se vendait super bien, mais le livre a été retiré des rayonnages au moment de la faillite des éditions Kantik). Enfin, bref, tout le monde aimait le concept, mais il fallait changer de nom pour ne pas faire peur aux libraires. Du coup, on a sauté sur l’opportunité : Zlatan venait d’arriver en France. C’était une vedette encore plus porteuse Edmond Tourriol L'équipe Zque Raymond. On a fait un premier tome qui a bien marché, et qui a justifié la création des deux tomes suivants. Le dessinateur de Banc de Touche est le même que pour Zlatan Style. Il s’agit d’Albert Carreres, un auteur barcelonais qui est – comme nous – fan de football (et du Barça, forcément). Il comprend le foot. Il comprend les gestes, les attitudes. Il connaît les joueurs. On ne pouvait pas trouver mieux que lui. Par ailleurs, c’est aussi un super mangaka, comme il l’a prouvé sur le manga Urban Rivals chez Delcourt (en deux tomes). D’un commun accord, Dan, Albert et moi-même avons décidé de mixer tout ça pour réaliser un manga de foot !

Tu écris aussi des mangas dont dernièrement "L'équipe Z". Peux-tu nous dire de quoi il s'agit ?
Edmond Tourriol : J’y viens justement. L’Équipe Z, c’est un projet qui me tient particulièrement à cœur, et ce depuis longtemps. J’avais 15 ans quand Olive et Tom est arrivé en France. Je matais ça sur La Cinq en rentrant du lycée. Et le week-end, quand je jouais avec mes potes, dès qu’il pleuvait, je me lançais dans des tacles glissés super longs, comme Bruce Harper, en criant comme lui : « NYAAAAAAH » ! Mon rêve, c’était de raconter un manga de foot dont l’action se déroulerait à Bordeaux. Et l’avantage, dans mon métier de raconteur d’histoire, c’est que, quand on veut, on peut. Ce manga va narrer l’histoire de deux jeunes qui se font recaler aux détections de leur club favori… mais à qui on offre une deuxième chance. Ensemble, et avec leur équipe de bras cassés, ils vont révolutionner les habitudes de leur club !

Edmond Tourriol L'équipe Z Connaissais-tu des mangas de foot du type Captain Tsubasa (Olive et Tom) et comment comparerais-tu L'équipe Z à ce titre légendaire ?
Edmond Tourriol : Bien sûr, je connais d’autres mangas de foot : Whistle, Angel Voice, Giant Killing (que je n’ai vu qu’en dessin animé)… J’adore tous ces trucs-là. Les shonen de sport, c’est ma came. J’aime quand un sportif est capable de retourner les situations les plus difficiles dans des circonstances épiques. Par rapport à Captain Tsubasa, déjà, notre histoire se passe en France, et à Bordeaux. Les joueurs sont des jeunes de 2015, ancrés dans la réalité d’aujourd’hui. Ils ont des problèmes auxquels les lecteurs pourront peut-être plus facilement se rattacher. Par ailleurs, même si nous allons avoir notre lot de situations abracadabrantesques, nous irons peut-être moins loin qu’Olive et Tom pour les « coups spéciaux ». Cela dit, on a préparé quelques idées bien barrées dont on réserve la surprise aux lecteurs !

Peux-tu nous dire comment faire pour lire L'équipe Z (et expliquer son financement !) ?
Edmond Tourriol : Pour l’instant, nous sommes encore en train de travailler à la création du manga. Nous avons mis en place tout le synopsis des trois premiers tomes (mais c’est un secret) et nous écrivons les épisodes page par page. Albert est en train de dessiner le deuxième chapitre. Chaque tome du manga fera 192 pages. Pour financer le premier, nous avons lancé une campagne de crowdfunding sur Ulule : http://fr.ulule.com/lequipe-z/ Sur cette plateforme, les internautes peuvent participer au financement en achetant le manga à l’avance, mais aussi d’autres contreparties (notamment des albums « Banc de Touche » ou des planches originales du dessinateur Albert Carreres).

Quel est ton onze-type de tous les temps ?
Edmond Tourriol : Haha ! Bonne question. Je vais être très franco-girondin dans mes réponses.
Gardien : Joseph-Antoine Bell
Défense : Lizarazu, Battiston, Thuram, Thouvenel
Milieu : Gourcuff, Zidane, Giresse, Platini
Attaque : Pelé, Chamakh


Edmond Tourriol Makma L'équipe Z


Comment es-tu devenu traducteur ?
Edmond Tourriol : Eh bien, à force de grenouiller dans le milieu des comics, grâce à mon activité dans les fanzines et ma présence sur les salons et autres festivals de BD, j’ai fini par sympathiser avec l’équipe Semic. Je les tannais pour qu’ils publient nos fanzines (on voulait devenir le Marvel européen, à l’époque, on était jeunes et fous). Finalement, au lieu de publier nos super-héros, ils m’ont proposé de traduire les leurs. Comment refuser ?

Sur quels titres as-tu travaillé ? Lequel t'a rendu le plus fier ?
Edmond Tourriol : Sur à peu près tout ce qui existe. X-Men, Spider-Man, Avengers, Fantastic Four, Hulk. Superman, Batman, Wonder Woman, Teen Titans, Justice League, Green Lantern, Aquaman, Lobo. Before Watchmen ! JLA/Avengers ! Invincible, Wolf-Man, Walking Dead… Je suis très fier de mon taff sur le Edmond Tourriol L'équipe Zcrossover des Vengeurs contre la Ligue de Justice. Je me suis appliqué à donner à chaque perso la voix qu’il devait avoir. J’ai adoré traduire Lobo, un de mes modèles dans la vie. Et bien sûr, je m’éclate comme un petit fou en traduisant les aventures de Rick Grimes dans Walking Dead, dont j’assure la VF depuis son arrivée en France, voilà plus de dix ans !

Parmi les titres phares, tu travailles notamment sur Walking Dead. Lorsque tu as débuté sur la série, pensais-tu quelle aurait autant de succès et t'assurerait les rentes de traducteur le plus riche de Navarre lol ?
Edmond Tourriol : Je ne crois pas être le traducteur le plus riche du pays. Pour ça, il faut certainement regarder du côté des traducteurs de romans. Mais c’est vrai que je ne suis pas à plaindre. Concernant Walking Dead, j’espérais bien que la série allait durer. D’abord en tant que fan, puisque j’en étais lecteur depuis le premier épisode (que j’ai dans ma collec, il vaut du pognon, celui-là), puis en tant que traducteur, parce que ça fait plaisir de traduire une série qu’on aime bien. Quant au succès du titre en France, je crois que personne n’aurait pu prédire un tel carton.

Tu traduis aussi Invincible de Robert Kirkman pour Delcourt. Traduite c'est donner une voix à des personnages. Est-ce que tu as trouvé un ton "Kirkman" ?
Edmond Tourriol : Oui, absolument. C’est pour moi le scénariste le plus facile à traduire, avec Geoff Johns (Green Lantern, Justice League). Je parle couramment le Kirkman ! Je pense que c’est aussi parce qu’on a pas mal de points communs. On a sensiblement le même âge (il doit avoir trois ou quatre ans de moins), on a lu les mêmes comics quand on était petits, regardé les mêmes films, les mêmes séries TV. Je pense que je partage beaucoup de ses influences, et c’est un avantage considérable quand il s’agit de comprendre ses références culturelles, ou de bien rendre les répliques de ses personnages.

Edmond Tourriol Before Watchmen Quelles sont les difficultés que tu rencontres au quotidien sur une traduction ?
Edmond Tourriol : Le temps. Aujourd’hui, c’est vraiment le temps. J’en ai de moins en moins et je sature. C’est pourquoi j’essaie de renoncer à une part de mon activité. C’est déchirant, mais je vais devoir faire des choix. Sinon, les difficultés, c’est surtout quand on traduit au cul du camion. J’entends par là que si je n’ai pas de visibilité suffisante (genre, à six mois), sur l’avenir d’une série, je peux faire fausse route en faisant un choix de traduction (traduire le nom d’un objet qu’on ne voit pas par un mot qui ne conviendra plus quand on saura de quoi il s’agit, plusieurs mois après). C’est rare, mais ça peut arriver.

Comment se passe les échanges entre toi et les relecteurs ?
Edmond Tourriol : Il n’y a pas d’échanges. La plupart du temps, le relecteur envoie ses infos à l’éditeur, qui demande au lettreur de retoucher. C’est comme ça que les accidents arrivent. Chez Glénat, on m’envoie les retouches, je trouve ça super confortable. Ça m’arrive de pouvoir défendre certains choix. J’ai aussi pu faire ça sur quelques titres chez Urban Comics (Before Watchmen).

Comment vois-tu l'avenir du métier de traducteur ?
Edmond Tourriol : Pour moi, ça ira. Les ordinateurs sont encore trop cons. Le problème, c’est que le public étant de moins en moins exigeant (merci le scantrad), les éditeurs se contenteront peut-être un jour d’une traduction automatique à peine relue par un stagiaire. On sait ce que ça donne. Il suffit de lire les sous-titres de certains bonus DVD. Je ne suis pas sûr que ce soit un métier d’avenir. Pour une VF de qualité, il faudra toujours de bons traducteurs. Mais est-ce que les gens préféreront la qualité ? Rien n’est moins sûr.

Si tu avais la capacité de visiter le crâne d'un auteur pour y piquer des idées ou comprendre comment il fonctionne, chez qui ferais-tu le voyage ? Et pourquoi faire ?
Edmond Tourriol : Chez Alan Moore. Pour mettre en forme toutes les idées que j’ai en vrac dans la tête (la mienne) et écrire mon propre Watchmen / V for Vendetta / Tom Strong.

Merci Edmond !

Remerciements à Mathieu Auverdin pour la mise en relation.


Edmond Tourriol Makma L'équipe Z