interview Comics

Fabrice Sapolsky

©Indeez édition 2013

Les amateurs de comics connaissent le nom de Fabrice Sapolsky depuis quelques années. Celui-ci n'est autre que le créateur de la revue incontournable Comic box mais aussi le directeur de collection d'Atlantic BD. Comme l'individu est un touche-à-tout talentueux et inspiré, il s'est même lancé dans la carrière de scénariste. Et le succès est au rendez-vous, avec des travaux pour les USA : Spider-Man Noir et à présent Hollywood Killer où il collabore avec l'excellent Ariel Olivetti. De quoi rendre incontournable une petite entrevue avec lui...

Réalisée en lien avec les albums Hollywood Killer T1, Marvel Noir T1
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
8 mai 2013

Qui es-tu, Fabrice Sapolsky ?
Fabrice Sapolsky : Vaste question ! (rires) Pour certains, je suis un emmerdeur, sans doute. Pour d'autres, un entrepreneur. Je peux être scénariste, journaliste, directeur artistique, éditeur ou tout ce que vous voudrez bien… La vérité est que je n'aime pas spécialement qu'on mette les gens dans des cases, alors j'évite de le faire pour moi-même.

Comment en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
F.S. : Depuis toujours, j'ai des idées d'histoires, des aventures que je veux raconter. Mais il m'a fallu longtemps pour me sentir suffisamment à l'aise et mature pour le faire. J'ai fait des études d'Histoire mais c'était plutôt un « non-choix » au sortir du bac. Dès que j'ai pu, j'ai switché vers l'artistique et la PAO. Puis, j'ai eu envie d'écrire. Et j'ai d'ailleurs créé Comic Box en partie pour cela. Je me suis pris des vestes incroyables. On me disait « un graphiste, ça ne sait pas écrire ». Mais je suis assez têtu (rires). Et quand on me dit non et que je pense le contraire, je mets un point d'honneur à prouver qu'il n'y a pas qu'une seule réponse au problème. Je suis devenu graphiste parce qu'on m'a jeté des écoles de graphisme. Je suis devenu journaliste parce qu'on m'a dit que ce n'était pas possible. Par contre, l'écriture de scénarii, c'est une vraie envie. Une évolution naturelle dans mon parcours.

© Fabrice Sapolsky

Quelles sont tes références ?
F.S. : Beaucoup de cinéma. Quand j'étais ado, j'étais sans cesse fourré dans mon vidéo-club (tiens, un mot que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître). J'ai avalé de la bande vidéo au kilomètre ! Des classiques, des nanars innommables… J'en ai vu des tonnes. Beaucoup de BD, évidemment aussi. Surtout américaine. Mais j'ai toujours gardé une fenêtre ouverte sur la BD japonaise. Par contre, malgré de nombreuses tentatives, la BD française m'a longtemps laissé de marbre.

La première fois que j'ai vu ton nom, c'est en tant que rédacteur en chef dans la revue spécialisée Comic Box. Que retiens-tu de cette expérience ?
F.S. : Disons que sans Comic Box, tu ne serais pas là en train de m'interviewer ! Je dois tout à ce magazine. Les bonnes choses, comme la somme incroyable de galères dans lesquelles ça m'a plongé.

Le métier de journaliste te manque-t-il ?
F.S. : Les interviews surtout. J'ai toujours aimé en faire. Mais bon, parfois, je collabore à un blog, Schkopi TV, qui est dédié à la musique de Prince et de Minneapolis et je fais des interviews d'artistes pour eux. C'est fun et ça calme mes ardeurs de journaliste (rires).

Quel est le meilleur souvenir de ton séjour au sein de Comic Box ?
F.S. : Avoir interviewé des légendes. Des gens comme Joe Kubert, Sal Buscema ou encore Carmine Infantino, qui vient de nous quitter. On se sent humble, petit, à côté de ces talents-là.

Et le pire ?
F.S. : Il y en a quelques-uns. Le bouclage du numéro 1 a été particulièrement difficile. On avait un virus qui « mangeait » toutes les pages qu'on créait. Il a fallu tout refaire en une nuit. C'est pour cela que le numéro 1 n'a pas abouti. Certaines pages sont particulièrement bancales. Horrible ! (rires) Sinon, il y a eu l'arrêt du magazine au numéro 35. Quand j'ai préféré arrêter Comic Box plutôt que de le voir sombrer avec ma première société, TSC, en 2001. Mais bon… Xavier Fournier et moi-même n'avons pas baissé les bras et notre obstination a payé, puisque non seulement Comic Box est revenu trois ans après, mais il est toujours là !

Tu as ensuite réalisé un rêve en travaillant pour Marvel avec les deux mini-séries Spider-Man Noir. Comment cette aventure a-t-elle débuté pour toi ?
F.S. :© Fabrice Sapolsky Je l'ai souvent raconté, mais ça a été un hasard. Une opportunité. Tout part de l'idée de Spider-Man Noir. Je l'ai eue un matin en me levant. J'étais à Londres et il se trouve que j'avais rendez-vous au petit déjeuner avec David Hine qui habite là-bas. Je lui ai soumis l'idée. Il n'a pas aimé. Mais il a heureusement changé d'avis et nous l'avons proposé ensemble à Marvel. Simple, non ?

La collaboration avec David Hine fut-elle difficile ?
F.S. : Du tout. Dave m'a tout appris. C'était mon premier scénario professionnel. Je suis toujours les conseils qu'il m'a donnés à l'époque. Franchement, c'est la meilleure chose qui pouvait m'arriver d'apprendre aux côtés d'un grand scénariste comme David Hine.

As-tu d'autres projets de scénario pour Marvel ?
F.S. : Pas pour le moment. Un jour pourquoi pas.

Quel regard portes-tu sur cette expérience américaine ?
F.S. : Travailler pour un éditeur comme Marvel est forcément un défi. J'y ai vu de bonnes comme de moins bonnes choses. Mais c'est quelque chose d'unique. Peu de français ont eu la chance de vivre ça. Je suis heureux d'en faire partie.

Après journaliste et scénariste, tu participes au lancement d'Atlantic BD, un label comics. Le marché est assez difficile pour un nouvel arrivant. Quel constat fais-tu sur ces premières années ?
F.S. : C'est peu de dire que le marché est difficile. Il n'a échappé à personne que la crise est là. Les gens font attention à ce qu'ils achètent. Se faire une place quand on est un nouvel entrant et qu'on n’a pas la puissance de feu d'un énorme groupe de média aux ressources quasi-illimitées est terriblement difficile. Mon constat premier est que les règles qui régissent le marché de la BD en France sont des règles d'un autre âge. Et je n'ai pas peur de parler de cartel quand il s'agit des éditeurs historiques qui entretiennent un système fabriqué sur mesure pour eux. Un petit éditeur n'a pas accès aux hypermarchés. Il a peu de moyen pour faire entendre sa voix auprès de libraires, eux-mêmes submergés par une production ridiculement élevée. Pour ceux que ça intéresse, je recommande le documentaire Sous les Bulles de Maiana Bidegain. Le doc n'est pas complet, mais il pose les vraies et bonnes questions. On devrait le projeter à tous les gens qui s'intéressent de près ou de loin à la bande dessinée. Sur Atlantic BD, beaucoup a été fait. Des albums de qualité. Un rapport qualité/prix imbattable. Des choix audacieux. Mais le piège de la distribution rend la rentabilité difficile à atteindre. J'ai joué le jeu. Moïse Kissous, le propriétaire du label, aussi. Mais ce n'est pas simple. Enfin, nous verrons ce que réserve l'avenir…

Tu as participé au lancement d'Atlantic BD avec Black Box. Comment est né ce projet et la rencontre avec Thomas Lyle ?
F.S. :© Fabrice Sapolsky C'est un peu à six degrés de séparation. Mon nom a été soufflé à Tom par un ex-éditeur de DC nommé Bob Greenberger, que je connaissais via un autre ex-éditeur de DC, Jordan Gorfinkiel, qui est un ami de longue date. Tom est aussi prof de dessin à l'école SCAD de Savannah en Georgie. Il venait à Paris il y a 3 ans avec un groupe d'étudiants et cherchait une personne pour l'aider à rencontrer des éditeurs et des artistes locaux. J'ai gentiment joué les intermédiaires. De fil en aiguille, on est devenus amis. J'étais déjà en train d'écrire Black Box. Il cherchait à se remettre à la BD. Il n'en avait pas fait depuis 15 ans ! Il a aimé mon histoire. Et voilà !

Une suite est-elle prévue ? Si oui, où en est-elle ?
F.S. : Elle était prévue. Elle a même été commencée. J'ai écrit une partie du premier acte. Mais tout a été gelé. Avec la crise, il n'était pas possible à Atlantic BD de financer une œuvre originale et ambitieuse comme Black Box tout en développant le catalogue d'albums. Un choix a été fait. Je l'ai respecté. Peut-être un jour… Qui sait. :)

Ces derniers mois, l'accent du catalogue Atlantic BD semble lorgner vers l'horreur avec Aokigahara et Les assassins d'Oz, voire même Bad medicine. Est-ce une orientation due au hasard ?
F.S. : Non. Rien n'est dû au hasard. J'ai repéré les Assassins d'Oz quand il est sorti aux USA. Je voulais cette série. Pour Aokigahara et Le Voile des Ténèbres (qui sort en ce mois de mai), ça a été un coup de cœur collectif pour le duo de créateurs espagnols El Torres et Gabriel Hernandez. Bad Medecine est également un choix que j'ai poussé. Il se trouve que les américains produisent de nombreuses séries fantastiques et d’horreur de qualité. C'est un créneau qu'il semblait pertinent d'investir.

Au début d'Atlantic BD, les albums étaient proposés avec une pagination plus faible qu'un comics édité en France mais dans un format plus grand et en hardcover. Pourquoi ce changement de maquette ?
F.S. : Bon. C'est là qu'on ne va plus être amis (rires). Pour commencer, on ne dit pas « un comics ». Je rappelle que comics est un pluriel. Je le répète dans chacune de mes interventions. Toute personne qui me parle sait donc à quoi s'attendre, je vais reprendre les gens sur ce point. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas dire n'importe quoi. Plus généralement, ça me permet d'attirer l'attention sur une de mes marottes : la fin de la discrimination positive de la BD Américaine. [NDLR : Désolé, c'était une erreur de frappe, c'est promis ! lol] Pour en revenir à ta question. Quand le label Atlantic BD a été formé, il n'a JAMAIS été question de ghettoïser les albums en les labellisant « comics » (et les guillemets sont de rigueur). L'idée a toujours été de proposer un produit susceptible de séduire le plus grand nombre. D'où le choix du format 19x28cm, plus grand que celui de la BD Américaine classique de 17x26 cm (bien qu'il existe de plus en plus de BD US publiée en format plus grand). D'où le positionnement prix qui ne devait pas dérouter les lecteurs de BD françaises. 12,95 € pour 72 pages, pour une série originale comme Black Box, c'était compétitif par rapport à tous les albums de la concurrence française chez Soleil, Delcourt ou le Lombard. Mais, que ce soit de notre faute ou non, que cela vienne du diffuseur ou non, le réseau n'a pas intégré ces paramètres et nous a renvoyé dans le « rayon comics » (re-guillemets). Là, nous n'étions à l'évidence pas « aux normes ». Du coup, il a fallu nous adapter rapidement, repenser l'offre, repenser les paginations, les prix aussi. Je suis déçu qu'en France, il faille être conformiste et suiveur pour avoir une place sur le marché de la BD. Mais c'est la vie. Moïse Kissous, le propriétaire d'Atlantic BD, a donc sifflé la fin de la récréation et les albums Atlantic BD se sont mis à ressembler à ceux des autres. Je continue de le regretter, à titre personnel. Il est trop tôt pour dire si ce revirement sera payant. Pour ma part, je ne cesserai jamais de me battre contre la classification de la BD par origine géographique, contre la pensée unique, une sale manie bien française. En ce sens, j'espère que l’avènement de la BD numérique me donnera raison. On y parlera moins de format que de contenu. Le fond plus que la forme… Il est temps non?

Peux-tu nous parler des prochaines sorties 2013 d'Atlantic BD ?
F.S. : Le Voile des Ténèbres sort en ce mois de Mai 2013. Il est donc signé des mêmes auteurs qu'Aokigahara. Ensuite, il y aura Vampire Academy, l'adaptation en BD du roman best-seller. Ce titre permet de renouer avec le public qui avait aimé la Cité des Orphelins, sorti en 2012 et qui avait été très remarqué.

Quelle série aurais-tu aimé sortir chez Atlantic BD ?
F.S. : Il y a quelques séries que j'aimais beaucoup, pour lesquelles Atlantic BD avait fait des offres sérieuses, mais dont les droits ont été confiés à d'autres éditeurs. C'est le jeu. J'aurais adoré faire Stumptown de Greg Rucka qui a été publié par Delcourt, par exemple.

Et celle que tu ne sortirais à aucun prix ?
F.S. : Il y en a beaucoup, mais par respect pour les créateurs, je ne vais pas dire lesquelles.

Outre Atlantic BD, tu reviens au scénario avec une nouvelle série, Hollywood Killer. Peux-tu nous présenter l'album ?
F.S. : Hollywood Killer est l'histoire de Richie Reese. Un ancien enfant star de la publicité qui tourne mal en grandissant et devient tueur à gage pour la mafia.

© Fabrice Sapolsky

Comment as-tu rencontré Ariel Olivetti sur ce projet ?
F.S. : Je connais Ariel depuis longtemps. On s'était rencontré au festival Strasbulles en 2008. L'an dernier, je lui ai demandé ce qu'il faisait. Il sortait de son contrat exclusif Marvel, n'avait pas l'intention de le renouveler et avait très envie de bosser avec des européens. Je lui ai donc soumis un pitch. Il l'a aimé. J'ai proposé cette idée à Indeez qui était emballé. Mais en rentrant du Comic Con de San Diego, l'idée d'Hollywood Killer m'est venue. J'en ai immédiatement parlé à Ariel qui a préféré que l'on fasse ce projet-là ensemble plutôt que l'autre. Je pense que les gens qui connaissent ses BD Marvel seront surpris par son travail sur Hollywood Killer.

La série est prévue en combien d'opus ?
F.S. : Pour le moment, deux albums de 56 pages. Ce qui équivaut à 4 épisodes américains, la série ayant été pensée pour être exportée dans le plus grand nombre de pays possibles. J'avais proposé Hollywood Killer à Atlantic BD qui n'était pas intéressé. Indeez en revanche était très intéressé. Jean-Marc Besnier, le boss d'Indeez et moi nous entendons parfaitement bien. Cela a facilité les choses. Indeez est un peu comme une nouvelle famille pour moi.

Quels sont tes prochains projets ?
F.S. : Il y en a pas mal en écriture. Je travaille sur un projet qui s'appelle Bloody Mary avec une artiste britannique ayant déjà publié de nombreuses fois en France, Yishan Li. C'est une histoire de vampires. Il y a aussi un projet que j'aimerais faire avec Andrea Mutti. Et deux autres qui en sont à des stades divers de développement. Il me reste à trouver des éditeurs pour tout ça (rires).

Comment parviens-tu à répartir ton temps de travail ?
F.S. : C'est périlleux. D'autant que mes journées sont occupées à plein temps, six jours sur sept, par ma société Full FX, qui package des contenus (magazines, BD, plaquettes,…) pour divers clients. L'écriture vient ensuite.

Es-tu toujours un lecteur de comics ? Si oui, quels sont tes derniers coups de cœur ?
F.S. : J'avoue que je lis peu de BD en général depuis deux ans. J'ai très peu de temps pour commencer. Et je ne veux pas risquer d'être influencé ou biaisé par un autre auteur. Du coup, je lis surtout des livres qui ne sont pas de la fiction. Beaucoup de magazines politiques ou économiques également. En BD, j'ai lu quelques trucs. Le Hulk de Mark Waid et Leinil Yu par exemple. Fatale de Brubaker et Phillips.

Si tu avais le pouvoir métaphysique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, son art, qui choisirais-tu et pourquoi ?
F.S. : Oh… Je préfère que le mystère demeure. À force de tout démystifier, on perd la magie de la création.

Merci Fabrice !

© Fabrice Sapolsky