interview Bande dessinée

Gaël Séjourné

©Delcourt édition 2009

Apparu dans le monde de la bande dessinée avec Lance Crow Dog, Gaël Séjourné vient d’achever sa seconde série, Tatanka. Orchestré par le scénariste débordant d’idées et débordé, Joël Callède, il a su durant 5 tomes nous faire frissonner avec ce thriller d’anticipation aux personnages attachants et aux ambiances Stephan Kingienne. Avant de repartir sur deux nouveaux projets, le dessinateur s’est gentiment livré à l’exercice de l’interview où il nous avoue avoir débuté dans un tout autre genre de dessin…

Réalisée en lien avec l'album Tatanka T5
Lieu de l'interview : le cyber espace

interview menée
par
27 mars 2009

Pour faire connaissance, peux-tu te présenter… comment en es-tu arrivé à faire de la bande-dessinée ?
Gaël Sejourné : 42 ans, marié, deux filles et un boulot salarié à temps partiel qui me permet de garder la BD comme un plaisir avant toute chose. J’ai l’habitude de dire que j’ai réellement commencé à faire de la BD quand je suis arrivé à un âge où jouer aux « petits bonhommes » fut révolu. J’ai choisi ce moyen pour continuer à jouer, mais cette fois avec des bonhommes dessinés. J’ai commencé comme tout le monde par recopier Astérix, Lucky Luke, les dessins de Tibet. Je lisais Pif, puis Tintin magazine, puis Fluide Glacial. Très influencé par l’humour de Franquin, de Gotlib puis de Maester, j’ai fait plusieurs planches à gag, dans des styles divers, mais toujours « gros nez ». En fait, mon rêve était d’entrer chez Fluide. Mais je manquais de confiance en moi et j’avais peur de séduire un éditeur sur une page et de me révéler incapable d’en faire plus de 5 autres du même genre. Alors j’ai réalisé une parodie de Robin des Bois en plus de 54 pages, sans la montrer à personne, si ce n’est à Jean Verney, qui y mettait une couleur directe à l’aquarelle. En couleur, parce qu’à l’époque Vents d’ouest démarrait avec des BD humoristique sympas et en couleurs, ce qui n’était pas le cas chez Fluide. Avec le recul, c’était proprement impubliable. Mais cela a eu pour bénéfice de me prouver que je pouvais tenir la distance sur 50 pages, et surtout, l’exposition de quelques-unes de ces planches a permis ma rencontre avec Serge Perrotin. Il avait le scénario de Lance Crow Dog sous le bras, un scénario qui avait déjà séduit Laurent Galmot chez Vents d’ouest !

© Gaël Sejourné - CylindrePeux–tu nous parler un peu plus de la série…
GS : La rencontre avec Serge Perrotin fut déterminante pour ma « carrière » en Bande Dessinée. Jusqu’alors, je ne m’essayais qu’à l’humour, au dessin « gros nez », mais toujours avec un souci du détail dans les décors. Or Perrotin cherchait un dessinateur réaliste. Il me proposa d’essayer, convaincu que je serais à la hauteur. Cela ne s’est pas fait sans mal. Je me suis alors aperçu qu’en fait, je ne savais pratiquement pas dessiner jusqu’ici. Il m’a fallu tout apprendre. J’ai fait mes classes sur les premiers albums de Lance Crow Dog, mais j’apprends encore. Lance Crow Dog fut donc ma première série publiée (d’abord au Téméraire puis chez Soleil). Cela m’a apporté énormément, comme toutes les premières fois. Je découvrais l’autre côté de la BD, Serge Perrotin me faisait découvrir aussi des tas d’histoires que je ne connaissais pas, trop focalisé que j’étais sur Fluide Glacial. Ces Histoires complètes d’un flic métis indien du FBI et de sa collègue typiquement américaine, se passaient dans les réserves indiennes des Etats-Unis, et donnaient l’occasion de parler de la vie des native-américains et de leurs problèmes. Ce sont des polars bien sûr mais où l’on trouve énormément de relations humaines, de sentiments en tous genre (comme chez Callède). Mon seul regret vis à vis de cette série, c’est qu’elle manquait d’humour (comme chez Callède). Mais c’était l’occasion d’aborder la BD d’une manière totalement nouvelle pour moi, c’est à dire comme un film américain. J’avais plus le sentiment de tourner un film que de faire de la BD, ce qui est encore le cas avec Tatanka. Avec le style humoristique que j’exploitais jusque là, je ne me posais jamais autant de questions, de champs-contre-champs, plongée-contre-plongée, etc.

Ensuite, ta seconde série Tatanka… Comment as-tu rencontré Joël Callède ?
GS : Je dédicaçais le tome 5 de Crow-dog en festival, pas loin de Bordeaux. J’ai eu l’occasion de discuter pas mal avec Callède. Un an plus tard, après quelques projets qui ont mal tourné, j’ai reçu le scénario de Tatanka par la Poste. Joël se rappelait à mon bon souvenir et me proposait cette collaboration. Cela m’a plu d’emblée. Trois semaines plus tard, trois planches étaient faites et le contrat signé. Après une année de galère, cela m’a regonflé à bloc. J’ai su plus tard que ce projet avait déjà « échoué » entre plusieurs mains avant d’arriver entre les miennes. C’était en quelque sorte un projet maudit. Mais la malédiction cessa et pour ma part je m’en félicite : j’entrais chez Delcourt, avec un scénariste « prometteur » (on voit depuis ce qu’il a fait de nouveau), une nouvelle aventure commençait.

© Gaël Sejourné - KimCet univers est assez horrifique, est-ce un genre que tu apprécies ?
GS : A la base, ce n’est pas un genre qui m’attire particulièrement. Mais j’aime bien quand cela relève du thriller, du suspens, de la peur liée à l’imagination, à la suggestion, plutôt que de l’horrifique en tant que tel, le gore, le sanguinolent. C’est un genre très difficile en BD, car contrairement au cinéma, une image ne chasse pas l’autre, et la musique, ben il n’y en a pas. Or dans ce genre, la musique, comme les silences, sont hyper importants pour créer l’ambiance. Pour ce qui est de Tatanka, Callède en avait écrit une première version beaucoup plus gore, je ne l’ai su qu’après avoir commencé cette version. Mais je ne suis pas sûr que j’aurais accepté le projet en voyant les premières pages de la première version.

Comment s’est passée votre collaboration ?
GS : Très bien, d’une manière générale, même si elle se passe essentiellement par mail. Joël est très ouvert et très patient. Chaque album fut l’occasion d’un échange riche d’idées, de points de vue et d’interprétations. Ce qui est assez bizarre, en fin de compte, c’est qu’on finit par se « connaître » dans le fond, sans même se connaître dans la « forme ». Je ne sais même pas si je le reconnaîtrais en le croisant dans la rue… Je réalise soudain que notre échange n’est pas très éloigné des rapports que certains humains entretiennent sur le web, mais nous, nous le faisons au profit d’une création commune, ce qui fait toute la différence, je crois.

© Gaël Sejourné - bad lands

Joël Callède nous a avoué plancher sur une nouvelle collaboration avec toi, à quoi peut-on s’attendre ?
GS : On peut s’attendre à un chef-d’œuvre ! Non je déconne. Quoique… Après tout quand on démarre un projet, autant avoir l’ambition du chef d’œuvre. C’est après que ça se complique. Toujours est-il qu’on a en effet un projet commun d’une histoire en trois volets, dans un registre très différent de ce que nous avons fait jusqu’ici. Pour ma part je vais essayer d’orienter mon graphisme vers un réalisme plus « personnel », plus « graphique », et Joël explore un genre qui lui est moins familier : le récit d’aventure romanesque. Que dire de plus à ce stade, si ce n’est que cela se passera dans la fin des années 20, avec des blacks, des blancs, des Ford T, des Gnous, des Eléphants, des rebondissements et des grands sentiments.

© Gaël Sejourné - Julia RobertsTe laisse-t-il une certaine marge de manœuvre quant à son scénario ?
GS : Il me laisse en effet lui donner toutes les idées qui me passent par la tête, même si parfois il lui arrive de le regretter. Je profite de cette liberté qu’il me donne, sans voir la limite qu’il ne faut pas dépasser. Avant toute chose c’est lui le scénariste et c’est lui qui tranche au final. Il est vrai que c’est beaucoup plus facile pour moi de rebondir sur un texte déjà écrit que de partir d’une feuille blanche, aussi parfois j’abuse. Mais cela n’empêche pas Joël de vouloir quand même continuer de bosser avec moi.

Je crois savoir que tu travaillerais peut-être avec Jean-Pierre Pécau…
GS : C’est le cas. Je viens de commencer. C’est aussi avec Blanchard et Duval. Ce sera un One-shot de 54 pages. Cela n’aura rien à voir avec ce que j’ai fait jusqu’à présent, mais je n’en dis pas plus.

Quelles sont tes influences ?
GS : Je ne pense pas avoir des influences clairement définies. Une chose est sûre, paradoxalement, moi qui fait de la BD réaliste, je n’en ouvre quasiment jamais. Je feuillette par contre régulièrement les Loisel, Marini, Guarnido, Gibrat, Lepage. Allez savoir ce que j’en retire avant d’attaquer une planche de Tatanka ?!

© Gaël Sejourné - ChevalY a-t-il des scénaristes avec lesquels tu rêverais de bosser ?
GS : Difficile à dire comme cela dans l’absolu. Par contre, toutes proportions gardées, j’aurais aimé dessiner Le sursis, Le vol du corbeau, Magasin général, Voyage en Italie, Quelques jours avec un menteur, Lulu femme nue. Sans oublier Enchaînés de Callède, mais je bosse déjà avec. Je suis en fait partagé entre deux tendances : le récit « contemplatif » et le suspens. Par exemple, j’aimerais autant faire du « Jaoui-Bacri » que du « Hitchcock », mais aucun ne s’est présenté à cette heure. J’aime bien aussi les scénarios du mexicain Guillermo Arriaga.

As-tu envie de te lancer dans l’écriture de scénario ?
GS : J’aimerais en effet réussir à faire un album tout seul, scénar et dessin. Jusqu’ici toutes mes idées ont avorté dans l’œuf, car très vite je les juge sans intérêt, ce qui est sans doute vrai ou peut-être faux, mais je manque de recul et de distance vis-à-vis de ce qui « sort de moi ». Je ne peux pas me surprendre comme peut le faire n’importe qui d’autre. Or j’aime être surpris quand je lis une histoire. Donc, ce n’est pas demain la veille…

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu conseillerais aux terriens ?
GS : Sans hésiter, un Astérix de la période Goscinny, ça ne prend pas une ride, contrairement à Tintin. Plus proche de nous, la liste est loin d’être exhaustive mais je conseillerais avant tout Jean-Pierre Gibra qui est pour moi le meilleur auteur complet (dessin, scénario, dialogues), puis Régis Loisel (Peter Pan, Magasin général), François Boucq (Bouncer), Enrico Marini (L’étoile du désert), Emmanuel Lepage (La terre sans mal), Manara (L’été indien), Juanjo Guarnido (ArticNation), Manu Larcenet (Le combat ordinaire), sans oublier les incontournables Franquin, Gotlib, Maester, Binet…

Es-tu un gros lecteur de BD ?
GS : Pas du tout. Je suis assez difficile en matière de BD et je préfère en faire plutôt qu’en lire, mais n’est-ce pas le lot de beaucoup de dessinateurs ? Je ne devrais peut-être pas le dire, mais je lis de plus en plus des histoires complètes. J’ai de plus en plus de mal à suivre une série sur plusieurs années. C’est pour cela que je me destine moi-même vers des cycles courts ou des one-shot à l’avenir. La vie est tellement courte.

© Gaël Sejourné - Femme fataleSi tu avais une gomme magique pour corriger un détail ou une partie d’un de tes titres, souhaiterais-tu l’utiliser ?
GS : Il y aurait tant de choses à corriger que je ne m’attarde jamais dans la contemplation de l’album une fois achevé, je n’y vois que les défauts. C’est là tout le paradoxe. On passe un an à faire un album, en y mettant toute sa ferveur, et une fois le livre terminé, il nous échappe très vite, cela devient l’affaire du lecteur. Et on repart très vite sur un autre album en essayant de ne pas faire les mêmes erreurs.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d’un autre auteur pour mieux le connaître, qui irais-tu visiter ?
GS : Mieux le connaître ou mieux comprendre sa façon d’aborder le dessin et la planche de BD ? Dans ce dernier cas, c’est sûrement dans la tête de Loisel ou de Boucq que j’irais faire mes emplettes.

Si tu n’avais pas fait de la BD, qu’aurais-tu fait ?
GS : Je n’arrive pas à l’imaginer. Une dépression peut-être ? Parodiant Descartes « je fais de la BD, donc je suis »

Quelle est la question que l’on t’a le plus posée ?
GS : « C’est une histoire en combien de tomes ? » ou « Combien de temps il faut pour faire un album comme ça ? »

Et celle que l’on ne t’a jamais posée ?
GS : Il y en a des tas, mais parmi celles que j’aimerais qu’on me pose un jour c’est du genre « Ça fait quoi de vendre à plus de 100 000 exemplaires ? ». Ce à quoi je répondrais simplement « ça fait du bien ».

Merci Gaël !

© Gaël Sejourné - Fille