interview Bande dessinée

Giulio de Vita

©Le Lombard édition 2008

Après un tome de Décalogue et 3 autres de James Healer, le dessinateur italien Giulio de Vita s’installe durablement au Lombard et dans le paysage franco-belge avec sa série Wisher, scénarisée par Sébastien Latour. De l’ « urban-fantaisy », que ça s’appelle, pour reprendre le genre précis inventé par Neil Gaiman, et dont cette histoire de djinn moderne revendique l’inspiration. Les bédiens ont interviewé ce dessinateur affable et terriblement talentueux, autodidacte de formation…

Réalisée en lien avec l'album Wisher T2
Lieu de l'interview : Hôtel Terminus de la gare du nord

interview menée
par
29 mai 2008

Bonjour Giulio ! Pour faire connaissance, peux-tu te présenter brièvement ? Comment et pourquoi en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
Giulio de Vita : Comme vous l’entendez à mon accent, je suis italien, j’habite dans une petite ville, à 60 km de Venise. J’ai commencé à me passionner pour l’image quand j’étais enfant : ma mère était alors professeur de dessin. J’ai donc vécu mon enfance dans un climat artistique propice. A la même époque, je me suis également passionné pour le cinéma, en regardant avec intérêts les Hitchcock, Spielberg, Kubrick… J’ai ressenti tout de suite la nécessité de raconter des histoires. Or, ce n’était pas encore l’ère de la vidéo numérique facile, et dans ce contexte la bande dessinée s’est aisément imposée à moi. J’ai donc commencé à dessiner des histoires et donc à faire mes films sur papier. J’ai suivi une scolarité normale, puis j’ai travaillé pour la publicité… et enfin je me suis lancé dans le monde de la BD, sur le marché italien au départ.

Tu es donc autodidacte ?
Giulio de Vita : Oui, ma véritable école artistique, ce fut ma maman. Je suis ensuite arrivé sur le marché français, car je trouvais que pouvais mieux exprimer mon style et mon univers. J’ai alors rencontré François Corteggiani, le scénariste qui m’a permis de faire mes armes sur une première BD française. Ce fut Les ombres de la lagune, mon premier ouvrage paru chez Soleil. De fait, j’ai pu me faire remarquer par d’autres scénaristes, dans d’autres maisons d’édition, et notamment de Frank Giroud, qui m’a proposé de faire le tome 2 du Décalogue. Là, ce fut une plongée dans le grand bain ! Puis juste après, Yves Swolfs me proposait James Healer. Je suis finalement resté dans cette grande maison du Lombard dans laquelle je me suis trouvé très bien, et tellement bien que je m’y trouve encore. Il n’y a pas les velléités qu’il peut parfois y avoir entre les auteurs, on a vraiment le sentiment d’appartenir à une grande famille.

Trois tomes de James Healer et puis s’en va ?
Giulio de Vita : On peut dire qu’on a garé la Harley de James Healer pour quelques temps, car Yves Swolfs avait envie de développer sa propre série, Légende. Comme je n’aime pas trop attendre, je me suis engagé sur une autre série, dont le tome 2 sort ce mois-ci, Wisher. Néanmoins, aujourd’hui on a tous les deux envie de reprendre James Healer, ne serait-ce que pour donner une conclusion au cycle commencé. Le 3e tome ne donne pas de fin… Il faut juste trouver le bon moment.

Que s’est-il passé sur la série-concept Quintett ? Tu as signé les premières et dernières planches des 4 premiers tomes et tu étais prévu pour réaliser le 5e en entier… et finalement non ?
Giulio de Vita : J’ai beaucoup aimé la collaboration avec Frank Giroud, notamment à travers la réalisation du tome 2 du Décalogue. On voulait vraiment renouer ce travail en commun pour le dernier Quintett. Frank avait besoin de raconter son histoire en un nombre de pages très conséquent, en 78 pages, alors que je n’avais pas calculé une telle masse de travail au départ. Il s’est avéré que cela me posait un véritable problème de planning : si j’honorais Quintett, je ne pouvais plus tenir mes engagements sur Wisher. il me fallait faire un choix entre les deux.

Les lecteurs – nous en fait ! – ont été tout déçus !
Giulio de Vita : Et moi donc ! Je me suis donc engagé à trouver un bon dessinateur pour rattraper le coup : ce fut mon compatriote Alessandrini. A mon avis, il est même meilleur que moi. Je pense que la qualité de la série n’y a pas perdu dans cette opération de substitution, bien au contraire. Il est reconnu comme un des meilleurs dessinateurs italiens. Or jusqu’alors, il n’avait connu que des malchances à travers ses diverses expériences francophones.

Tu continues à suivre le Légataire, la suite du Décalogue ?
Giulio de Vita : Pas vraiment : ça n’est pas édité en Italie. Le Décalogue a été traduit et publié, mais pas le Légataire. Ça m’est très difficile de suivre les séries françaises là où j’habite. Quand je viens en France, je repars avec un gros sac !

Tu nous raconte la genèse de Wisher à présent ?
Giulio de Vita : Au lendemain de James Healer, je cherchais une série qui me permette de progresser dans mon dessin. J’ai lu plusieurs propositions par plusieurs scénaristes, dont quelques uns de très connus, mais aucun ne me donnait cette possibilité. Ce qu’on me proposait était trop classique, je n’avais pas de quoi m’éclater. Un jour, Gauthier Van Meerbeeck m’a proposé 3 synopsis d’un même scénariste inconnu. J’ai immédiatement accroché au 3, et pour des aspects différents. Ça me paraissait tellement abouti, que j’étais persuadé que ce « Sébastien Latour » était le pseudonyme d’un auteur connu. Dans tous les cas, le châssis de départ était bon pour moi. Des 3, j’ai choisi Wisher, qui me « parlait » plus que les autres.

Pourquoi la collection « Portail » a-t-elle perdue ses repères de collection en cours de route ?
Giulio de Vita : Sophie, attachée de presse, apporte son éclairage : c’est une volonté éditoriale de supprimer la plupart des balises de collection, sauf pour les séries et collections bien installées telles que Troisième vague, où là on finit ce qui a été commencé. Tout bêtement, d’un point de vue commercial, ça ne vend ni plus ni moins de faire des collections, et sans ces étiquettes, c’est tout de même beaucoup plus souple. Quand la série est bonne, le lecteur la suit, qu’elle s’inscrive au sen d’une collection ou non.
Giulio de Vita : On a profité de la mort de l’étiquette Portail pour relancer la série avec une nouvelle maquette, ans doute plus visible dans les librairies. Nouveau logo, nouvelle couverture, restyling et amélioration d’impact !

Que s’est-il passé au niveau des couleurs qui n’ont plus rien à voir entre les deux rééditions ?
Giulio de Vita : J’ai fait les couleurs de la première version, avec une technique assez compliquée : j’ai fait un premier passage artisanal, à l’aquarelle, suivi d’une retouche informatique pour donner les effets spéciaux etc. Mais au niveau de l’impression, ce qui était magnifique sur écran n’a du tout fonctionné ! Il a donc été décidé de re-coloriser le tout à l’aide d’une technique plus simple et surtout plus facile à calibrer pour l’impression. Bien sûr, la première version est plus artistique car plus expérimentale… Je voulais donner un effet cinématographique, déjà avec les cadrages, ou la gestion des teintes d’ambiances, mais aussi avec les effets spéciaux à appliquer lors de la coloration.

Pourquoi ne pas avoir gardé le même coloriste pour les nouvelles éditions : Emanuelle Tenderini sur le tome 1 et Christian Favrelle sur le tome 2 ?
Giulio de Vita : Ce fut un choix de l’éditeur. Question de plannings, je pense.

Combien de temps passes-tu sur un album ?
Giulio de Vita : Sur le premier, compte tenu que je faisais les couleurs, j’ai passé une bonne année. Il y a eu plusieurs petits changements de scénario, de la recherche de documentation… Sur le second, en revanche, je n’ai passé que 6 mois. Enfin, sur le troisième que j’ai déjà commencé, j’espère travailler encore plus vite. J’ai ressenti le besoin, par le passé, de travailler plus longtemps sur mes planches, pour prouver ma valeur de dessinateur, en peaufiner des détails. Et je me suis aperçu que si les amateurs de dessins apprécie ce côté chiadé, ce n’est pas pour autant que cela favorise la lecture. Or une histoire comme Wisher distille pas mal de tensions, avec un rythme de lecture rapide. Le dessin doit donc s’adapter à ce rythme.

Tu peux intervenir sur le scénario ?
Giulio de Vita : Oui, un petit peu : j’ai besoin de ça. On a trouvé un compromis avec Sébastien : je peux toujours discuter de tel ou tel point du scénario, afin de me permettre de « m’amuser » sur certaines scènes. Tant que l’histoire reste fidèle à l’originale, lui parvient toujours à s’adapter à ce besoin.

Certains accusent un peu Sébastien Latour de plagia sur les mondes d’« urban fantaisy » de Neil Gaiman…
Giulio de Vita : Je dois admettre : je ne connais pas du tout Neil Gaiman et pire : je ne suis pas un gros lecteur de BD. Je passe beaucoup déjà de temps sur mes propres planches, alors passer du temps sur les planches des autres, c’est trop ! Je préfère lire des livres ou aller au cinéma. Mais j’ai entendu Sébastien en interviews, revendiquer pleinement les références à cet auteur américain. Il adore son travail et Wisher est logiquement truffé de clins d’œil et de références.

En combien de tomes est prévu Wisher ?
Giulio de Vita : Avec le Lombard, on a signé un contrat de 3 albums, mais le cycle se termine au 4e. Il y aura donc très certainement un 4e, avec une vraie fin de cycle. Ensuite, si le succès commercial est au rendez-vous, Sébastien a même déjà prévu des histoires pour remplir 3 autres cycles !

As-tu d’autres projets en marge de Wisher ?
Giulio de Vita : Pas pour l’instant. Il y a en plus James Healer qui m’attend dans un coin. J’ai bien un projet personnel qui me tient à cœur, mais c’est encore au stade de projet.

On veut un scoop : cela appartiendra à quel genre ?
Giulio de Vita : Hum… on va dire existentialiste… avec de l’action… (rires) C’est spécial, un vrai mélange de genre, qui s’appuie aussi sur plusieurs médias ! C’est un projet compliqué, très ambitieux, qui ne sera présenté qu’au moment où il sera mature. Je pense qu’un dessinateur a besoin, au moins une fois dans sa carrière, de porter un tel projet en solo. Comme l’a fait l’année dernière mon grand ami Enrico Marini avec ses Aigles de Rome.

Il y a des scénaristes avec lesquels tu aimerais travailler ?
Giulio de Vita : Le top, ce sont les Van Hamme, Giroud, Yann que j’adore, Wehlmann… Je ne me suis pas encore exprimé dans tous les styles que je suis capable d’emprunter. Je suis né avec un type de BD humoristique. Pour le moment les lecteurs me connaissent à travers mon style franco-belge réaliste, mais j’aimerais un jour faire quelque chose dans un style humoristique.

Si tu étais un bédien, quels seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Giulio de Vita : Je dirais… un album que j’ai pu voir en preview, dessiné par un ami compatriote qui s’appelle Alessandro Dalena, scénarisé par Guillaume Bianco, et qui sort en ce moment même chez le Lombard : Ernest et Rebecca. Alessandro a travaillé pendant des années pour Disney Italie, et il livre des « plastiques » magnifiques…

Si tu avais le pouvoir cosmique de devenir un autre auteur de bande-dessinée, quelques instants, pour comprendre son œuvre ou voir le monde à travers son regard, quel serait-il ?
Giulio de Vita : Sans hésiter : Moebius. C’est un modèle, je voudrais être comme lui. Il sait s’adapter à tous les genres sans problème et il reste pourtant toujours lui. En plus, on sent qu’il s’amuse, quel que soit l’univers qu’il retranscrit. Il utilise toutes les potentialités de la BD, le vaste champ de l’imaginaire sur lequel les autres médias s’épuisent trop souvent. Je rêve d’arriver à son niveau. Mais comme c’est une réponse que l’on doit vous faire couramment, je dirais aussi François Boucq, qui est lui aussi capable de se prêter à tous les genres, sans le moindre problème.

Merci Giulio !