interview Bande dessinée

Julie Maroh

©Glénat édition 2011

Pour sa première BD, Le bleu est une couleur chaude, Julie Maroh a abordé d’emblée un sujet particulièrement délicat, celui de l’homosexualité féminine. La sincérité et le talent dont elle a alors fait preuve ont été payants : la voilà récompensée au festival d’Angoulême 2011 du prix du public (étrangement baptisé aussi « Fauve FNAC SNCF »…). Sous la forme d’un roman graphique, un one-shot de 150 pages, elle raconte l’histoire tendre et sensible de deux adolescentes. En nous accordant une interview à Angoulême, enregistrée quelques heures avant de se savoir récompensée, elle revient sur la genèse de cet album…

Réalisée en lien avec l'album Le bleu est une couleur chaude
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême 2011

interview menée
par
3 février 2011

Bonjour Julie ! En quelques mots peux-tu d’abord de présenter et nous dire comment tu en es venue à faire de la bande dessinée ?
Julie Maroh : Je m’appelle Julie Maroh, j’ai 25 ans. Je suis Bruxelloise mais française, ch’ti d’origine. Ma première page de bande dessinée, je l’ai faite à 6 ans et mon premier album à 8 ans. C’est quelque chose de très naturel chez moi, en fait, ça a été mon langage dès le départ et c’est resté par la suite. J’en suis venue à la BD comme ça.

As-tu suivi une formation particulière pour faire de la bande dessinée ton métier ?
JM : Au niveau formation, j’ai fait une école d’arts appliqués à Roubaix. Je suis montée à Bruxelles pour faire la section BD à Saint Luc et j’ai fait un peu de beaux arts aussi à l’Académie Royale des beaux arts de Bruxelles sur la lithographie et la gravure qui sont aussi mes autres passions.

Le bleu est une couleur chaude, est-ce ta première Bande dessinée officielle ?
JM : Oui ! Tout à fait.

Comment t’est venue l’idée de cet album ?
JM : En fait, en 2004, j’ai participé à un concours de BD amateur, dans lequel il fallait mettre en scène, en une page, une histoire sur le thème « avoir 15 ans ». A ce moment là, sont nés les personnages de Clémentine, d’Emma, le journal et la narration en noir et blanc avec le bleu, ainsi que le présent en couleur. Cela remonte déjà à 6 ans, je ne sais plus pourquoi j’ai fait cela à ce moment là mais… j’ai gagné le concours. J’avais 19 ans et j’étais à l‘époque en concurrence avec des gens de trente, quarante ans. Donc ça m’a donné vraiment confiance en moi pour en faire un roman graphique.

N’est-ce pas un exercice difficile, le roman graphique pour une première ?
JM : Non, mais en fait, je ne voulais pas faire plusieurs tomes, car dans l’histoire, Emma n’a qu’une seule lecture du journal de Clémentine. Je voulais aussi donner au lecteur la possibilité de n’avoir qu’une seule lecture en même temps qu’elle. C’était par souci narratif que j’avais besoin d’une histoire en one-shot. Apres, au niveau de la pagination, quand j’ai commencé à l’écrire, je n’avais aucune idée du nombre de pages vers lequel je partais. A un moment, j’ai cru que cela ferai 60, puis 200 pages, et cela c’est stabilisé autour de 150 pages.

Le thème de cette histoire n’est pas évident, est-il venu naturellement chez toi ?
JM : Oui ! Pour moi, c’est venu naturellement. Tout d’abord parce que je suis homo. En fait, je ne me suis pas trop posée de questions. J’ai surtout voulu éviter les clichés et être la plus sincère possible sur ce qu’on traverse quand c’est comme ça ce qu’on a envie de dire aux gens. Ça n’était peut-être pas évident de trouver les mots justes dans ce qu’on ressent, parce que c’est un mélange de plein de choses… Et je ne suis pas sûre d’avoir spécialement bien réussi l’exercice. Je n’ai pas échappé à certains clichés non plus. Maintenant, j’ai le recul aussi sur le contenu et je ne suis pas vraiment satisfaite. Mais bon, voilà, c’est fait quand même.

As-tu eu un écho des lecteurs sur ton premier album ?
JM : J’en ai tout le temps. Comme il y avait eu le blog BD pendant la réalisation de l’album, où justement, il y avait toute la genèse du livre, j’avais des commentaires déjà à ce moment. Les gens, ça leur a donné l’envie d’acheter l’album. Sur mon site Internet, on peut m’envoyer des messages, j’en reçois énormément. Cela se traduit par des commentaires, des e-mails où des gens de vive-voix qui me donnent leur avis. Je n’ai pas eu de critiques acerbes, sauf anonymement. En général, les critiques sont toujours très positives et très touchantes.

En ce moment, travailles-tu sur un nouveau projet ?
JM : Oui ! C’est reparti. Il y a juste que mon année 2010 a été un trou noir personnellement. Il y avait aussi l’accompagnement du Bleu qui m’a demandé, bien sûr, de l’investissement et surtout beaucoup d’énergie parmi les nombreuses séances de dédicaces et d’interviews. Se remettre au travail directement après c’est difficile… Donc le temps qu’il me restait à ce moment là, il était juste pour moi. Angoulême, c’est mon dernier festival avec cet album, il n’a plus besoin de moi, maintenant, pour fonctionner. Je me relance sur quelque chose qui reste dans le style du roman graphique, avec un format différent. Il n’aura rien à voir avec celui-là sur le contenu. Ce sera quelque chose qui va se passer dans le milieu du rock, centré sur un personnage. C’est plutôt une descente aux enfers, mais je n’en dirai pas davantage, car je suis superstitieuse. Je ne parle pas de ce qui n’a pas abouti.

Quelle est ta « culture » BD ?
JM : D’abord, je sais ce que ce n’est pas. Ce n’est pas la science-fiction. Ça a pu l’être, mais ça ne l’est plus. L’heroïc-fantasy, le manga, non plus, sauf quelques trucs absolument pas commerciaux. Ce qui m’a surtou mis dans la BD, c’est Loisel. Mes influences, c’est Lepage, Gipi, Fred Thomson, et Larcenet… J’ai découvert Loisel avec Peter Pan, le tome Londres. J’avais 11ans et je m’en souviens très bien. C’est surtout resté en tant que choc graphique. Au départ, plus jeune, ce que je connaissais de la BD, c’était ce qu’il y avait chez mon grand-père, à savoir Astérix, Achille Talon… Les classiques. D’un seul coup, donc, je me suis rendue compte qu’il y avait autre chose, de la BD adulte avec des histoires, des contes, des récits inspirés de notre réalité. Et c’est ce qui me motive, maintenant, dans les scénarios, la réalité.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te rendre dans la tête d’un auteur, ça serait qui et pour y trouver quoi ?
JM : Oulala ! Mon Dieu, on ne m’a jamais posé de questions pareilles… C’est glauque ! Alors là, celui qui me vient c’est Ashley Wood, un américain, un génie et je voudrais juste comprendre comment il construit ses peintures, de voir du début jusqu’à la fin comment il les réalise…

Merci Julie, à bientôt…