interview Bande dessinée

Miguel

©Dargaud édition 2007

Miguel, dessinateur de Myrkos (prix du public à Perros-Guirec 2005), plébiscité des lecteurs et des critiques, est pourtant encore un jeune auteur. Aux côtés du maître Jean-Charles Kraehn pour le guider, le brésilien réalise en effet un parcours sans faute après désormais 3 superbes albums. En bon sud-américain, son abord est chaleureux et son français chantant. Plongez avec lui au cœur d’une civilisation nouvelle, inspirée de l’antiquité, à la saveur à nulle autre pareille…

Réalisée en lien avec l'album Myrkos T3
Lieu de l'interview : Salon du livre de Paris

interview menée
par
12 février 2007

Bonjour Miguel ! En peu de mots, peux-tu nous résumer ton parcours ?
Miguel : Je suis Brésilien, né à Sao Paulo, mais j’ai vécu presque toutes mes jeunes années à Belém en Amazonie. Je dessine depuis toujours. Cependant, j’ai commencé par des études en sciences sociales à l’université avant de réaliser que cela n’était plus possible : il fallait que je dessine encore et encore. J’ai alors bifurqué vers les arts plastiques, je suis venu en Europe et suivi des cours à Barcelone. Je suis ensuite rentré au Brésil et j’ai travaillé comme professeur de design graphique avant de repartir pour le Portugal où c’est là que, travaillant pour une petite maison d’édition, Dargaud m’a repéré, fait signé un contrat et amené à venir en France faire de la bande dessinée.

Le premier tome de Myrkos est préfacé par Léo. Quelle relation t’unie à lui ?
Miguel : Ma rencontre avec Léo tient du miracle, un vrai truc de fou ! J’avais alors 23-24 ans et j’étais venu à Paris montrer mes dessins - je parcourais en fait toutes les maisons d’édition d’Europe occidentale ! Ce jour-là, il ne me restait pas un sou en poche, j’avais mes travaux sous le bras, lorsque j’aperçois un gars en dédicace et je décide d’y aller pour avoir son avis. Il a regardé mes planches, remarqué mon trait et me demande d’où je viens. Bien sûr, je lui annonce que je suis Brésilien et là, il s’arrête et me regarde puis commence à me parler… en portugais ! C’est comme cela qu’on s’est rencontré et depuis s’est nouée une relation d’amitié, de complicité. De nouveau rentré au Brésil, je lui envoyais mes planches, lui les critiquait et quelques années plus tard, il montrait mes dessins chez Dargaud. Léo est un véritable ami et un maître, quelqu’un que j’aime profondément.

Et commence se passe ta collaboration avec Jean-Charles Kraehn, un autre grand nom du 9e art ?
Miguel : Jean-Charles est aussi devenu un ami mais je le connais depuis moins longtemps. Je le découvre petit à petit et tout ce que je découvre me ravi ! C’est une personne à la fois très frontale (sic), honnête et sensible. Quelqu’un d’intelligent qui sait comment écrire un scénario de bande dessinée. J’ai en lui toute confiance. La confiance est primordiale pour moi. Car lorsque j’ai décroché ce contrat avec Jean-Charles, je passais un moment vraiment très dur : la série que j’illustrais tombait à l’eau. Jean-Charles m’a ainsi permis de me relancer. J’ai pu compté sur lui, je me suis appuyé sur lui et je continue d’apprendre énormément. En tant que débutant, c’est une vraie chance de travailler en sa compagnie. C’est quelqu’un de sûr.

Pourquoi Myrkos ? Pourquoi ce monde baigné d’antiquité grecque ?
Miguel : L’approche développée sur Myrkos est simple : l’antiquité grecque demeure un référentiel culturel commun au Brésil comme en Europe. De plus, passionné d’Histoire, si je ne m’étais pas égaré à l’université en sciences sociales, il est probable qu’à l’heure actuelle je serais historien et non auteur de bande dessinée. Lorsque l’on m’a présenté le synopsis de Myrkos, cet aspect des choses m’a tout de suite fasciné : la possibilité d’inventer une civilisation antique à la grecque. Par ailleurs, la référence aux Evangiles et à la personne du Christ m’attira également. Je me suis donc dépêché de dessiner les premières planches d’essai pour l’emporter. Au bout du compte, je crois que c’était le Destin.

L’invention d’un monde nouveau, la découverte de la perspective, cette référence effective au Messie : quelle ambition !...
Miguel : La série peut paraître ambitieuse effectivement. Elle parle en effet d’une nouvelle façon de voir les choses, de les envisager comme de les regarder. Myrkos présente un côté très symbolique. La découverte de la perspective s’accompagne d’un œil neuf sur la société. Le héros se pose des questions, se demande le pourquoi et où il va. Se faisant, il va rentrer en contact avec une nouvelle philosophie, celle d’un dieu unique prêchant l’égalité entre les hommes. Les révolutions artistique et sociale, ces deux approches sont liées et se rejoignent pour n’en former qu’une. C’est effectivement, je le concède – très - ambitieux.

Ambitionnes-tu toi-même de révolutionner un jour la bande dessinée ?
Miguel : Je progresse et je me surprends, c’est un début ! Hier par exemple, dessinant une planche, je remarquais une évolution dans le rendu. Une chose importante pour moi car au début je n’avais pas confiance en mes qualités. Le tome 2 me semble plus mûre que le premier, mieux. En outre, beaucoup de choses ont changé dans ma vie et cela s’en ressent dans mon travail. J’ai besoin d’être plus en accord avec moi-même. Il y’a des dessinateurs dont j’admire le travail et je voulais un temps dessiner comme eux. Le premier album de Myrkos, c’est cela. Le deuxième aussi… mais moins ! L’envie de ressembler aux autres est vite devenue une camisole de force et je n’en pouvais plus. Désormais, j’essaie de ne plus penser à un style précis pour laisser couler. Où cela m’emmènera-t-il ? Je ne le sais. Par ailleurs, lorsque je dessine, j’ai toujours à l’esprit les couleurs faites par la femme de Jean-Charles (NDLR : Patricia Jambers). Donc je m’oblige à résoudre un maximum un problèmes par le crayonné afin de ne pas lui rendre l’exercice difficile. Enfin, Myrkos demeure pour ma part une réelle école du dessin. Obligé d’illustrer des éléments avec lesquels je ne suis pas à l’aise, comme les décors et l’architecture, j’y apprends, je me répète, énormément.

Commencer dans la bande dessinée avec un prix du public à Perros-Guirec (2005) est appréciable, non ?
Miguel : Ah oui, vraiment, je ne m’y attendais pas ! Je savais bien sûr que s’y déroulait un festival mais pas une compétition et encore moins que je gagnerais un lot à la remise des prix. Surtout qu’il y avait d’autres fameux auteurs présents, Hermann était président ! Et là, d’un coup je vois mon visage clignoter sur un écran : magique ! De plus, le prix du public revêt une signification particulière. Le public, je dessine pour lui alors si les gens sont réceptifs à mon message, je ne peux espérer plus grande récompense.

Un mot sur la suite de la série Myrkos et tes projets d’avenir…
Miguel : Je me réveille chaque matin avec un scénario différent en tête ! Mais pour l’instant, j’essaie de ne pas trop y penser pour me consacrer pleinement à mon travail sur Myrkos. Le troisième tome est terminé et vient de sortir. Cette série réclame une assiduité permanente, depuis mon réveil jusqu’à 18-19h au soir, sans arrêt sinon une pause déjeuner. Je dessine et je dessine encore. Surtout que les planches qui me demandent le plus de travail ne sont pas celles que l’on croit. On me parle souvent de la double planche du premier tome, mais les planches de marché sont encore plus coton ! Elles sont pleines de détails à croquer. Pour ma part, je préfère dessiner les gens, la figure humaine, plutôt que l’architecture – pourtant le sujet de la série ! – qui reste à mon sens difficile. En cela, Myrkos est réellement une école de la bande dessinée. Si je m’écoutais, je fuirais sans doute vers des paysages maritimes, organiques alors que là, il faut que les colonnes soient de même taille, bien droites, en perspective… J’ai appris et je pense aujourd’hui savoir faire plus aisément et mieux.

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Miguel : Les œuvres de Vittorio Giardino, Max Fridman (Glénat) mais aussi Jonas Fink (Casterman). Il faut absolument que le grand public découvre Giardino qui est un maître et un auteur admirable, hors pair. Et puis, n’oublions pas Moebius. Pour faire simple, l’ère de la bande dessinée se divise entre l’avant et l’après Moebius. Le Garage hermétique (les Humanoïdes Associés) et toutes ses anciennes histoires courtes. Je suis toujours étonné de voir combien des gens peuvent mésestimer Moebius. Pour ma part, je ne serai pas étonné qu’un jour futur, on redécouvre des travaux de Moebius, au musée d’Orsay, par exemple.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Miguel : Peut-être souhaiterai-je écrire comme Giardino et dessiner comme Moebius. Mais je préfère demeurer en moi-même, avec toutes mes limites. Je reste tellement frustré lorsque je regarde mes dessins, à des années lumière de ce que j’ambitionnerai d’être, que je suis curieux de l’aventure et d’où elle va aboutir…

Miguel, un grand merci !