interview Manga

Miya

©Pika édition 2009

Avec Vis-à-vis, Miya a su redonner du souffle au shôjo manga à la française, un genre assez peu vigoureux jusqu'alors. A l'occasion de Japan Expo 9, nous avons rencontré la jeune auteur pour parler des débuts de la série et de ses origines.

Réalisée en lien avec l'album Vis-à-vis – 1ère edition, T2
Lieu de l'interview : Japan expo 2008

interview menée
par
13 mai 2009

Bonjour. Peux-tu te présenter brièvement ? Quel est ton parcours ?
Miya : J’ai habité Angers pendant 18 ans. J’ai passé un bac S et après ça, j’ai fait une école de dessin à Lyon, l'école d’art Emile Cohl, en 4 ans. Pendant deux ans, on a appris les bases académiques du dessin : le nu, les natures mortes, la perspective, les couleurs... Puis, pendant 2 ans, on s’est spécialisé. Moi j’ai fait un diplôme d’illustratrice infographiste. Après ça, j’ai cherché du travail. J’ai fait quelques petits stages en boîtes de jeux vidéos et quand j’ai vu qu’il y avait un français édité dans le manga - Reno, avec Dreamland -, j’ai sauté sur l’occasion et j’ai envoyé mes pages chez Pika Edition. Ils m’ont répondu que le dessin était OK mais que le scénario n’allait pas.

Tu avais donc déjà commencé à faire du manga avant de voir que Pika éditait des auteurs de manga ?
Miya : En fait, j’ai fait du fanzinat. Au lycée, j’ai commencé à créer mon fanzine, « Carte Blanche ». Au début, j’étais toute seule puis j’ai des amis qui se sont rajoutés. Dans ce fanzine je faisais des planches de manga. C’est là que je me suis vraiment rôdée au niveau du cadrage, de la narration, etc.

Tu as fait ça pendant longtemps ?
Miya : J’en ai fait jusqu’à ce que je sois éditée, donc pendant presque 9 ans.

En termes de quantité, ça représente quoi ?
Miya : Ce n’est pas énorme, c’était vraiment quand on avait le temps, donc on en a fait 10. On a fait des petits salons, on a fait Japan Expo aussi. C’est peut-être la sixième ou septième fois que je viens en fait, mais j’étais là en tant que fanzine avant.

Du coup, à ta rencontre avec Pika Edition, on t’a répondu que ton scénario n’allait pas. A la base, ton scénario avait-il au moins la même trame ou pas du tout ?
Miya : Pas du tout ! En fait, il s’agissait d’un roman que j’avais trouvé sur Internet. Je m’étais mise en contact avec l’auteur (on est d’ailleurs toujours amies) et j’avais dessiné d’après son roman. Ca correspondait à un moment où mon imagination scénaristique n’était pas à son top et j’avais besoin d’un support. C’était du fantastique, cela se déroulait dans un autre monde... Enfin, ce n’était pas du tout dans le réel comme Vis-à-vis. Le style était très proche graphiquement mais pas au niveau de l’histoire. C’est donc avec ça que j’ai contacté Pierre Valls, le directeur éditorial de Pika, et il m’a répondu que le dessin était bien mais que, pour la ligne éditoriale shôjo, ils ne voulaient pas de fantastique pour le moment. Il m’a donc proposé de retravailler l’histoire et, comme j’avais déjà fait plein d’histoires en tous genres, et notamment comme Vis-à-vis, dans le fanzinat, j’étais d’accord. Il m’a alors demandé une histoire avec des jeunes, en France, dans une ligne shôjo. C’est tout ce qu’il m’a dit. C’est parti de là. J’ai proposé plusieurs choses mais mes projets étaient trop jeunes, trop 10-13 ans. A force, on est tombé d’accord sur Vis-à-vis.

Là, le public visé est plutôt adolescent et post-adolescent, des jeunes autour de la vingtaine.
Miya : Oui, c’est 16-20 ans. L’héroïne a 19 ans et elle est étudiante. Je pense qu’il y a moyen de s’identifier lorsqu’on a le même âge ou que l’on est plus jeune et que l’on peut se projeter quelques années plus tard.

Comment présenterais-tu ta série à quelqu’un qui ne la connaît pas ?
Miya : C’est l’histoire d’Elodie, une étudiante à Paris qui rate ses exams et qui, par la force des choses, va devoir travailler. Elle va devenir concierge de son immeuble et, à travers les personnages qu’elle va rencontrer, elle va trouver sa voie... C’est la progression d’une jeune fille en femme.

Le tout avec un triangle amoureux...
Miya : Un triangle, voire un rectangle...

Est-ce que tu sais déjà combien de tomes tu vas faire et comment cela va finir ? Toute l’histoire est-elle déjà prévue ?
Miya : Je sais comment cela va finir mais, pour le moment, je n’ai qu’une vision jusqu’au tome 3 en terme de rebondissements. Dans l’idéal, je pense que cette série serait bien en 6 ou 7 volumes. Cela va déjà me prendre beaucoup de temps de faire tout ça et, à un moment donné, j’aurai peut-être envie de passer à autre chose.

D’ailleurs, combien de temps as-tu mis à réaliser ce premier tome ?
Miya : 10 mois, uniquement pour le dessin. Il y a aussi eu toute une préparation scénaristique dont je n’avais pas l’habitude. En tout, cela a du prendre à peu près un an.

Et pour le prochain ?
Miya : Pour le prochain, je travaille avec une assistante qui s’occupe des trames et ce genre de choses. Je pense que cela prendra un an aussi.

Tu es donc partie pour un rythme d’un an par volume ?
Miya : Pour les prochains, j’aimerais bien aller un peu plus vite quand même.

Tu travailles à l’aide de l’ordinateur. A part le tramage, réalises-tu autre chose à l’aide de cet outil ?
Miya : Je fais quelques retouches. Si je trouve par exemple qu’un oeil est trop haut, je le décale un petit peu, ce genre de choses. Je fais aussi certains cadres à l’ordinateur. Je suis assez maniaque et si quelque chose dépasse, je n’aime pas trop ça. J’ai un certain seuil de tolérance pour ma planche. Il peut y avoir des trucs qui ne marchent pas et parfois je me dis qu’il faut laisser tomber, qu’il faut que j’avance. Mais en fonction de ce seuil de tolérance, si quelque chose ne va vraiment pas, je le retouche jusqu’à ce que ça le fasse.

Après t’être mise d’accord avec Pika sur le synopsis général, t’ont-ils laissée libre de tout ou ont-ils retouché ton scénario par-ci par-là ?
Miya : Sur le tome deux, ils m’ont laissée totalement libre. Je leur ai envoyé le chapitre 1 qui montre un peu le synopsis général puis ils m’ont fait confiance. Avec Pierre, l’éditeur, on avait vraiment bossé ensemble sur le tome 1 pour poser les jalons de l’histoire, savoir comment il fallait procéder. Maintenant, il me fait confiance et il me laisse mener ma barque.

Quand tu imagines ton prochain chapitre, la narration, la mise en scène... as-tu déjà une idée des dialogues ou est-ce que ceux-ci ne viennent qu’une fois le story-board posé ?
Miya : J’ai des phrases clés lorsque j’imagine la scène dans ma tête. Lorsque je pense au scénario, dans mon lit, sous ma douche... il y a tout qui vient ensemble : la pose du personnage, le dialogue... et je note les phrases clés. Sinon, pour le reste, j’ai mon scénario écrit et je découpe tout le volume en story-board, avec les bulles, et c’est à ce moment-là que je note les dialogues. Mais lorsque je fais le crayonné, si j’estime qu’il faut rajouter une phrase, je rajoute une bulle.

Tu m’as parlé de ce qu’il y avait avant Vis-à-vis, maintenant sais-tu ce qu’il y aura après ? Tu as des idées, des envies, des inspirations sur ce que tu feras après ? Rester dans le manga ? Passer dans un style plus franco-belge et / ou en couleur ?
Miya : Des idées j’en ai plein ! J’aimerais tout en fait : j’aimerais bien un jour faire de la couleur, faire de l’aventure aussi et pas forcément rester dans le shôjo. Mais bon, pour l’instant je suis concentrée sur ça et j’en ai encore pour un bon moment ! Je garde ces choses là dans un coin de ma tête mais je suis ouverte à plein de styles. Je m’adapte bien, cela vient peut-être de ma formation : on ne faisait pas du tout de manga dans mon école de dessin et j’ai appris à apprivoiser mon style.

Quelles sont tes principales influences artistiques ? Des auteurs particuliers ?
Miya : En fait, lorsque j’ai eu mon premier manga dans les mains, je devais avoir 9 ans, c’était Fly (Dragon Quest). Après ce fut Magic Knight Rayearth et, tout de suite, cela m’a plu. J’ai commencé comme tout le monde à recopier Dragon Ball mais cela m’a vite passé. Après un mois j’ai arrêté le recopiage pour faire de la création. J’ai composé avec plein de styles différents. Puis, vers 16 ans, j’étais fan de Fushigi Yugi et c’est à partir de là que j’ai commencé à créer mon style. C’est venu très vite et j’ai l’impression d’avoir mon propre style et de ne pas avoir été influencée. J’adore Aï Yazawa, l’auteur de Nana et Paradise Kiss. J’aime bien la narration d’Adachi. En fait, ça ne m’influence pas vraiment mais j’admire ces auteurs.

Tu cites des dessinateurs au dessin très clair, très lisible. C’est le style que tu aimes ?
Miya : J’adore aussi Berserk, les dessins sont magnifiques, enfin, passés les premiers tomes où il y a quelques problèmes de perspective. C’est vrai que j’ai un style très propre. Mais ce n’est pas pour cela que je n’aimerai pas un trait vibrant à lire.

Et te lancer toi-même dans du dessin plus travaillé et plus fouillé, l’exercice t’intéresses ?
Miya : Pourquoi pas, mais il faut avoir le temps et l’argent. Quand on fait un manga, on ne peut pas se permettre de passer trop de temps sur chaque planche. On pourrait si les éditeurs étaient plus patients... Si je le fais, ce sera plutôt pour mon plaisir.

Travailles-tu dans un cadre particulier ? Écoutes-tu de la musique ou utilises-tu des modèles en dessinant ?
Miya : Je ne me documente pas pour les poses mais pour tout ce qui est fringues. Je regarde des magazines de mode. Si je dois faire un blouson par exemple, je vais en voir des modèles sur Internet, repérer où sont les coutures, etc. Je bosse avec mon PC à côté de moi donc je vais regarder plein de choses sur Internet dès que j’ai besoin. J’ai aussi quelques artbook et il m’arrive de m’inspirer de leurs illustrations. Je travaille la journée. J’essaye de faire une journée de travail normale. Comme je travaille chez moi, ce n’est pas facile de faire un break, on a toujours ses dessins sous le nez. Je m’impose donc un rythme journalier 9H-12H / 14H-18H. Comme ça, le soir, je me dis que j’ai fais mon taf et je décompresse. Sinon, au bout d’un moment, être toujours dedans, c’est très pesant. Au niveau de la musique, j’aime bien mettre des trucs qui pulsent le matin, comme du David Guetta. Le soir c’est plutôt du jazz ou des trucs comme ça. Des fois, je coupe complètement la musique. Ca dépend vraiment de l’ambiance que j’ai envie d’avoir.

Tu penses que la musique influence parfois ton dessin ou ton histoire ?
Miya : Non, cela influence plutôt ma motivation dans le sens où cela peut me donner la pêche. C’est plus par rapport à mon humeur.

Quel regard portes-tu sur la BD dans sa globalité : les comics, le franco-belge, les mangas, les manwhas... ?
Miya : Je suis assez fan de manwha. Ils n’ont rien à envier aux mangas je crois. Je suis fan de l’auteur de Models. En manga, je trouve aussi les dessins de Pékin, années folles magnifiques, et c’est intéressant au niveau des costumes. En fait, je suis assez ouverte à tout. J’aime bien les comics mais je trouve les super héros un peu kitch. Certains devraient peut-être être remis au goût du jour. La BD européenne, j’en lis depuis que je suis toute petite, mais ça ne m’a pas autant accrochée que les mangas. Les mangas m’ont vraiment beaucoup plus parlés. En tant que fille, à 13 ans, lorsque l’on lit un shôjo, on se dit que ça s’adresse vraiment à soi. Je n’avais pas trouvé ça dans la BD franco-belge. Mais maintenant, il y a des choses qui se font qui sont vraiment adressées aux filles...

La nouvelle génération, ces auteurs qui font du FB en couleur mais très influencés par les mangas, tu en penses quoi ?
Miya : J’aime bien. Ca dépend comment c’est fait mais je trouve ça parfois super sympa. J’ai envie d’en faire aussi un de ces quatre et il y aura forcément une influence manga. On a été élevé entre les deux donc ça ne me dérange pas. Je n’ai pas un regard très critique, je suis assez bon public…

Dans Vis-à-vis, l’histoire se passe à Paris, dans un cadre français donc. Avant toi, dans le shôjo européen, il y avait également Jenny avec Pink Diary qui préférait situer son histoire au Japon. Tu disais que c’est Pika qui t’avait demandé de situer ton histoire en France. Si tu avais du choisir toi-même, aurais-tu fais la même chose ?
Miya : Pour moi, c’était quelque chose de logique de situer l’histoire en France. Je ne suis jamais allée au Japon et je ne me vois pas raconter une histoire qui se déroule là-bas. Déjà, dans le fanzinat, je dessinais très peu d’histoires d’écolières. Je ne sais pas si j’aurais fait le même choix mais cela ne m’a pas du tout choquée lorsqu’ils me l’ont demandé.

Quelles sont tes dernières lectures ?
Miya : School rumble. Cela fait longtemps que je n’avais pas autant rigolé devant un manga sans pouvoir tourner ma page. Ca fait vraiment du bien ! Sinon, j’ai lu Post Mortem, chez Soleil, Nanami, c’est une amie qui le fait chez Dargaud... Je ne suis pas une grande lectrice de roman par contre. J’ai lu ce qu’on me demandait à l’école mais j’ai toujours eu du mal à prendre un livre de moi-même. Pour moi, c’était la BD ! J’aime bien des choses plus shôjo classique comme Parmi eux, Lovely devil, j’aimerai bien me mettre à Othello bientôt... Je pourrais faire toute une liste, j’ai 500 mangas chez moi ! J’adore aussi les mangas de l’auteur de Candy, Crockle Pockle... Je suis fan de sa narration. C’est peut-être un peu vieillot mais à chaque fois je suis transportée dans son univers. Je trouve ça génial de faire ressortir tout ce côté shôjo sans trame. Elle en a un tout petit peu seulement. Elle n’hésite pas à faire subir des trucs horribles à ses personnages mais cela reste shôjo ! Elle peut les faire mourir, les blesser à mort... C’est hyper romancé mais j’adore !

Et si tu avais le pouvoir de revenir en arrière pour corriger une partie d’une de tes oeuvres, le ferais-tu ?
Miya : C’est fourbe comme question ! Il y a plein de trucs en fait. Je pense que je referais la couverture du tome 1.

Qu’est ce qui ne te plaît pas avec celle-là ?
Miya : J’essaierais de faire quelque chose à l’aquarelle pour donner un rendu plus sensible.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée, ou que personne ne te pose jamais, et que tu aimerais que je te pose ?
Miya : C’est la question piège ! ...Je ne sais pas.

Et toi, as-tu une question à poser ou un message à faire passer aux lecteurs ?
Miya : J’aimerais que mes lecteurs soient patients et j’aimerais bien qu’ils m’écrivent pour que j’aie des retours. C’est vrai que certains m’envoient des dessins ou me félicitent mais j’aimerais avoir des retours sur le fond de l’histoire, savoir ce qu’ils aimeraient qu’il se passe... pour que je ne le fasse pas évidemment ! (rire) J’ai mis mon mail dans les bonus (chezmiya@yahoo.fr) et il y a aussi mon site web : www.miya.fr

Merci !

Merci aux éditions Pika