interview Bande dessinée

Olivier Deloye

©Delcourt édition 2009

Parmi la gigantesque masse des auteurs sympas, s’il y en a un qui peut monter sur le podium des vraiment très sympas, c’est bien Olivier Deloye ! Le dessinateur de l’adaptation d’Oliver Twist en bande dessinées (aux côtés de Loïc Dauvillier) nous a raconté son parcours jusqu’à cette première série (5 tomes prévus, chez Delcourt) et son approche d’une telle œuvre littéraire. Un entretien… vraiment sympa !

Réalisée en lien avec l'album Oliver Twist T3
Lieu de l'interview : Le salon du livre de Paris

interview menée
par
20 janvier 2009

Bonjour Olivier ! Pour faire connaissance, peux-tu te présenter : ta vie, ton œuvre, comment en es-tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
Olivier Deloye : La bande dessinée, comme beaucoup d’auteurs, j'ai toujours voulu en faire depuis que je suis tout petit. J'ai toujours dessiné, le plus loin que je me souvienne, j’ai toujours rêvé de faire ce métier-là. Et puis le dessin, c’était un créneau pratique pour moi : mon père était militaire, donc on déménageait très régulièrement, tous les deux ans en moyenne. Du coup, le dessin était un moyen pour moi de trouver de suite ma place. Quand j’arrivais dans une nouvelle classe, j’étais le mec qui dessine au fond de la classe. Donc, c'était une espèce de vecteur qui me permettait de m’en sortir socialement. Et j’en ai fait mon métier non par hasard, mais parce que j'ai bossé pour cela. Il y a sans doute beaucoup de chance aussi et surtout la rencontre avec Loïc Dauvillier. Côté études, j'ai fait une école de communication. Je me destinais à bosser dans la publicité. En sortant de cette école, je me suis donné quatre ans. Avec mes parents, on a décidé que je pouvais vivre chez eux et bosser, essayer de m’en sortir en étant illustrateur à la base. Pendant trois ans et demi j'ai fait beaucoup d’illustrations de presse pour adultes, des trucs pour des banques et des trucs un peu chiants, qui ne m’intéressaient pas énormément. J'ai commencé à bosser ensuite dans l’illustration jeunesse. J'ai bossé pour Bayard où là, j'ai commencé à prendre confiance en moi. En parallèle, j'ai rencontré Loïc par le biais d’un forum Internet. On a tout de suite sympathisé. On a alors eu un projet en commun et quand il a signé pour l’adaptation d’Oliver Twist, il m’en a parlé sur MSN. Le sujet m’a intéressé. Il ne m’a pas proposé de travailler dessus, mais il m’en a juste parlé comme cela, en disant qu’il cherchait un dessinateur. Le soir même, j'ai fait une image, juste pour m’amuser. Je lui envoyée et à partir de là, il a m’a demandé de faire des tests. Cela a plu à Jean-David Morvan, qui est le directeur de la collection, et c'était parti.

Et sais-tu pourquoi Loïc voulait-il adapter Oliver Twist ?
OD : Il faudrait lui poser la question… Je sais qu’il avait vu l’adaptation ciné de David Lean, un vieux film des années 1950 complètement incroyable. Cela l’a complètement marqué, parce qu’il l’a vu avec sa petite fille, qui a été très marquée par ce film. Ils ont en beaucoup discuté après. Je crois que quand Loïc a appris que Jean-David Morvan faisait la collection Ex-Libris, c'est lui qui lui a proposé de travailler sur Oliver Twist et sur Le tour du monde en 80 jours. Après, peut-être que je dis des bêtises et qu’il me contredira…

Tu connaissais le roman auparavant ?
OD : Je l’avais lu quand j’étais enfant, et j’en gardais un souvenir assez vague. J’avais aimé le livre, je n’avais pas aimé le personnage d’Oliver Twist en lui-même.

Pourquoi ?
OD : Parce que je le trouvais tout amorphe, beaucoup trop lisse, passif et juste inintéressant. D'ailleurs, cela se retrouve sans doute dans la BD, dans mon dessin, parce que je m’amuse beaucoup plus, tout comme Dickens, d'ailleurs, sur les personnages secondaires, les méchants… Cette faune sordide, très caricaturale dans l’écriture de Dickens, se retrouve, je crois, dans mon dessin. Je leur fais des tronches pas possibles, tous édentés, tous moches, tous laids… A la limite, on voit les mouches qui volent autour d’eux. Ils sont tout miteux et dégueux et c'est là où je me plais vraiment. Mais quand j'ai commencé, le personnage d’Oliver m’intéressait moins. Je m’y suis vraiment attaché depuis. Cela fait maintenant deux ans que je travaille avec lui et vraiment, il compte beaucoup pour moi maintenant.

Comment approche-t-on un tel personnage ? Tu relis les passages des bouquins, tu cherches un axe « public jeune » ?
OD : Non, je n’essaye pas spécialement d’avoir un axe public jeune, mais comme je suis issu de l’illustration jeunesse et de la bande dessinée jeunesse aussi, ça aide forcément. Pour l’approche des personnages, il y a l’inconscient collectif qui entre énormément en compte. J'ai vu des adaptations au cinéma, le personnage de Fagin a été souvent traité avec des acteurs qui se ressemblaient d’un film à l’autre. J'ai vu beaucoup de choses autour d’Oliver Twist. Je n’ai donc pas besoin de relire les passages sur les personnages en général. Je reçois les pages de Loïc et quand je vois qu’il y a un nouveau personnage qui apparaît, je le crobarde à côté… Et à un moment, je sens qu’il est bon. En général, c'est assez rapide, ce n’est pas de la fainéantise ou non plus – je l’espère – de l’orgueil, mais en général, je fais trois-quatre dessins et j’ai mon personnage. Les personnages évoluent ensuite beaucoup graphiquement au cours des albums : quand je les lance dans la BD, je ne les tiens pas encore complètement graphiquement.

Tu as des retours négatifs, parfois, de Loïc Dauvillier ? Il est trop méchant, pas assez méchant ?
OD : Au niveau des personnages, non pas du tout. Je ne sais pas si c'est parce qu’on a la même vision du truc ou si c'est parce qu’il me fait confiance et qu’il me laisse libre cours… Mais jamais il ne m’a dit que tel ou tel personnage était trop lisse ou pas assez.

En revanche, il fait des retours sur le découpage ?
OD : Du fait de notre manière de travailler, je reçois le scénario prédécoupé par Loïc. Je le retravaille ensuite, si je trouve qu’il en a besoin : je peux rajouter une case, enlever un dialogue, changer le dialogue, virer trois cases, faire une grande case, etc. Après, je lui renvoie ces pages en story-board. Là, il les lit et si jamais il trouve que cela colle, c'est bon. Sinon, on en rediscute. Mais il ne va pas recomparer par rapport à son story-board à lui. On se livre ainsi à une sorte de ping-pong. Il arrive que la planche finale soit exactement celle qu’il m’a envoyée. Mais de temps en temps, il m’envoie aussi une planche découpée avec juste du texte, très peu descriptive quant à l’action… et c'est à moi de m’amuser autour de cela. Dans ce cas, avant d’arriver à la planche finale, il y a eu trois ou quatre jeux de ping-pong, et le résultat n’a plus rien à voir avec le story-board de départ.

Il t’embête beaucoup ?
OD : Non, il est sympa. En revanche, quand il y a un truc qui ne lui plait pas, il le dit tout de suite. Il n'y a aucune langue de bois entre nous, on peut se parler. Moi aussi, il m’arrive de lui dire que tel dialogue ne va pas ou que là il a été moins bon sur telle scène.

Sans parler de compte à rendre, Jean-David Morvan a t-il un regard sur l’adaptation de l’œuvre ?
OD : Je ne sais pas comment il bosse avec les autres dessinateurs, mais avec nous, non, pas vraiment. Juste pour le premier tome, car c'était mon tout premier album. Loïc en avait déjà fait quelques uns, beaucoup même, ça mettait en confiance… On envoyait alors les planches pour les faire valider par Jean-David avant de les envoyer à Delcourt pour l’impression. Maintenant, on a beaucoup plus libre cours. Cela s’est fait naturellement, en fait. Lui a beaucoup de choses à faire de son côté, et nous, on est plus en confiance. Cela dit, il ne nous a jamais dit de changer tel ou tel truc : il nous a juste suggéré : « Tiens, peut-être que là cela pourrait marcher en essayant cela ». Il n'y a aucun contrôle, il ne nous bride pas.

Loïc arrive à gérer les projets en parallèle ? Il ne te demande jamais de mettre passe-partout dans un coin ?
OD : Non, je ne sais pas comment il fait, d'ailleurs. Loïc est une espèce de bulldozer qui mène trente projets de front et mène néanmoins tous les projets jusqu’au bout. C'est une machine à travailler, ce mec. Et pourtant, quand on l’appelle, il sort, il connaît beaucoup de monde, il gère sa vie avec sa fille… Il est toujours là quand il faut, toujours efficace.

Et après les 5 volumes de la série ?
OD : Pour Loïc, il a 10 000 projets… On en a même deux ensemble. Un qu’on a depuis longtemps, qu’on fait évoluer depuis bien avant Oliver Twist et qui verra le jour… je ne sais pas quand. Il y a quelques éditeurs, je crois, qui sont intéressés, mais on n’a pas encore commencé à bosser sur les planches définitives.

Ce ne sera pas une adaptation ?
OD : Non pas du tout, ce sont des scénarios complets de Loïc. Un projet plutôt jeunesse et l’autre sur la douleur personnelle en parallèle à la douleur collective, le tout dans un univers de guerre, en gros. Un truc très lourd, très sombre, mais auquel j'ai envie de m’attaquer, autour de la guerre 14-18. Après, lui, il a dix millions de projets à droite à gauche… Et j’en ai aussi de mon côté, dont la suite d’une série que j’ai commencé pour J’aime Lire. Il y a encore d’autres projets en parallèle, mais qui ne sont pas encore assez aboutis pour en parler. J’illustre aussi maintenant pour le magazine Le Strip, du Lombard. C’est une chronique faite par un ami, Antoine Maurel, également scénariste de BD. Je travaille aussi pour des journaux scolaires belges pour enfants, mensuellement aussi.

Quelles sont tes influences en matière de bande dessinée ?
OD : Il y a deux albums qui m’ont beaucoup marqué quand j’étais gosse. Primo, les Rubrique à brac de Gotlib. Je me rappelle avoir vu cela sur une étagère tout en haut chez une amie de mes parents et je suis tombé fou amoureux de cette série. C’est la couverture où il est en photo avec des personnages dessinés autour, qui est génial. Secundo, c'était la découverte des Spirou et Fantasio, avec en particulier l’album, Le Dictateur et le Champignon. Des influences très franco-belges, donc. Et puis bien sûr, des séries phares comme Boule et Bill, Tintin, etc. Après, j'ai été énormément influencé par ce qu’on appelle la nouvelle vague, qui maintenant est moins nouvelle : Sfar, Blain, Blutch, Trondheim, Larcenet, David B et consort. Je lis aussi beaucoup de mangas. Du comics un peu moins… Je lis un peu de tout en fait, de la BD indépendante, de la BD franco-belge… Mes plus grosses influences restent tout de même Franquin, Gotlib et les auteurs de la nouvelle vague. Cela doit se sentir, d'ailleurs, dans mon travail. On a souvent cité Blain en rapport avec mon dessin. Je ne sais pas à quel point il m’a marqué, mais j’adore cet auteur. J’espère juste ne pas faire de la repompe ou du sous-Blain, mais en tout cas j’adore vraiment ce qu’il fait.

Si tu avais des bandes dessinées à conseiller aux terriens, ce serait quoi ?
OD : Je conseillerai une BD qui va bientôt sortir chez Ankama, Celle de mon pote Iwan Cafard, qui s’appellera Les Grognards, que je n’ai pas encore lue, mais qui va être géniale. Maintenant, dans mes dernières lectures, je viens de prendre Hollywood Jan, de Bastien Vivès, sorti dans la collection KSTR, qui a l’air bien. Je conseille aussi les dernières grosses lectures que j’ai eues. En ce moment, je suis en train de relire beaucoup de trucs de Tezuka. Demain les oiseaux, il faut le lire. Il faut lire Lamu, Yakusa Urusei, de Rumiko Takahashi. C'est vachement chouette. Et tous les Spirou et Fantasio !

Si tu avais le pouvoir cosmique de voyager quelques temps, de te balader le crâne d’un autre auteur, dessinateur ou scénariste, soit pour comprendre sa démarche artistique, soit pour comprendre ses techniques, ce serait qui ?
OD : Jean Graton, parce que c'est totalement incompréhensible pour moi. Je voudrais percer le mystère Jean Graton. Ou Jodorowsky, mais je crois que j’aurai trop peur de m’y perdre.

C'est ce que m’a répondu Jean-David : « Jodorowsky, parce que ça doit être un sacré bordel ! »
OD : Oui, cela doit être absolument incroyable. J’y retrouverai peut-être Morvan et je crois qu’on serait paumés tous les deux là-dedans. Quand même, pourquoi un auteur comme cela existe-il, pourquoi fait-il des choses pareilles ? J'ai un très grand respect pour lui, mais je ne le comprends pas.

Merci Olivier !