interview Bande dessinée

Philippe Ogaki

©Delcourt édition 2007

En à peine deux ans sont déjà sortis 3 épisodes de l’adaptation en BD chez Delcourt d’une œuvre magistrale de la science fiction française : Les guerriers du silence (un roman signé Pierre Bordage). Adapté pour la partie scénario par Miss Algésiras (auteur complet de Candélabre), le résultat est très enthousiasmant, notamment grâce à des profondeurs de champs vertigineuses et à des décors somptueux imaginés par Philippe Ogaki… architecte de formation et dessinateur de talent. De quoi intriguer les bédiens pour une petite interview…

Réalisée en lien avec l'album Les guerriers du silence T3
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
14 mai 2007

Bonjour Philippe ! Pour faire connaissance, je te laisse te présenter : ta vie, ton œuvre et toutes ces sortes de choses…
Philippe Ogaki : Bonjour, je m’appelle Philippe Ogaki, je suis auteur de bande dessinées, j’ai commencé il y a à peu près 4 ans, après avoir fait du dessin animé et de l’architecture. Ma première BD est Les guerriers du silence.

Et ta deuxième BD, ce fut aussi les guerriers du silence…
Philippe Ogaki : Oui ! Et ma troisième et ma quatrième aussi… Puis je passerai à autre chose.

C'est-à-dire ?
Philippe Ogaki : Je suis actuellement en projet avec Fred Duval pour un projet sous le label Série B. A priori, ça s’appellera Meteors, ce sera un 64 pages et ça sortira soit en 2007 soit en 2008. Je bosse vite, mais il faut bien payer le loyer… !

Bref, revenons à ton enrôlement sur les Guerriers du silence
Philippe Ogaki : Oui, bref. Je suis donc venu à Angoulême en janvier 2002 avec mon book sous le bras, j’ai fait le tour des maisons d’éditions et Delcourt recherchait alors une équipe pour faire l’adaptation. En fait, après avoir acheté les droits du roman de Pierre Bordage, Delcourt réfléchissait au projet depuis déjà plusieurs années. Algesiras était alors déjà prévue sur le projet depuis très longtemps. L’éditeur s’était tourné au départ vers des auteurs de SF assez connus, mais tout le monde a refusé. C’était une démarche un peu compliquée car au début, Delcourt voulait monter un studio complet, avec un dessinateur, un encreur, un coloriste, quelqu’un pour les persos, quelqu’un pour les décors, un peu comme ce qui s’est fait sur la Compagnie des glaces. Dans ces conditions, moi, ça ne m’intéressait pas : je voulais tout faire, même la couleur. Et puis finalement ils m’ont persuadé de prendre un coloriste, car ça risquait de faire beaucoup.

Comment se passe le travail avec Algésiras ?
Philippe Ogaki : Ça se passe par mail, essentiellement ! Elle fait une synthèse du roman, elle redécoupe en boards et en scènario pour que je puisse l’utiliser.

Tu connaissais le roman avant de t’y attaquer ?
Philippe Ogaki : Avant qu’on me propose le projet, je ne connaissais même pas Bordage ! J’ai donc lu le roman quand on m’a proposé le projet. Auparavant, je lisais surtout de la SF anglo-saxonne, la SF française m’était inconnue mise a part quelques classiques de Barjavel.

Quelle est ta marge de liberté par rapport à l’œuvre originale ?
Philippe Ogaki : Pierre Bordage nous laisse totalement libre de faire ce qu’on veut. Il nous a expliqué que la BD n’était pas son métier, que son style d’écriture lui permettait d’insuffler des images ou des émotions. Mais il a conscience que lors du passage sur un autre média il y a besoin d’une marge d’adaptation assez grande. Donc je me suis permis beaucoup de libertés. Une fois qu’on a eu bouclé le dossier, on lui a tout de même envoyé quelques extraits, les principaux personnages et lieux pour qu’il nous donne son impression. Tous mes dessins lui convenaient, il nous a répondu que tout était parfait, continuez comme ça ! Il était même plutôt étonné de voir ce que ça pouvait donner. Algésiras fait très attention aux informations qu’il est nécessaire de faire passer et me laisse pas mal de libertés côté graphisme.

As-tu des retours de fans du roman ?
Philippe Ogaki : Des retours que j’ai, ceux qui ont lu le roman s’y retrouvent assez bien. J’ai exprimé l’imaginaire comme je le ressentais, mais c’est vrai que c’est quelque chose de très subjectif. Lorsque j’ai lu le roman, j’ai fait en même temps pas mal de croquis, qui ne correspondaient d’ailleurs pas forcément à ce qui était décrit dans le texte. Par exemple, les scythes, je les ai fait plutôt grands avec des capuches et des épaulettes, alors qu’ils sont décrits avec des costumes très simples. C’était le sentiment qu’ils provoquaient chez moi : ils me faisaient peur, ils étaient imposants.

Où as-tu été piocher tes sources d’inspirations visuelles ?
Philippe Ogaki : J’ai une grosse bibliothèque avec pas mal de bouquins d’architecture et de designs… Par exemple, chaque planète devant se différencier facilement, je me suis donc basé sur un mouvement architectural différent pour mettre en relief chacun de ces mondes. Par exemple, « Cyracusa » est inspiré de l’art nouveau, tandis que « Point rouge » étant plus primitive, je me suis plus basé sur des bâtiments gallo-romains.

Pas d’inspiration d’autres œuvres de BD ?
Philippe Ogaki : Il vaut mieux interpréter la réalité plutôt que de partir de quelque chose qui a déjà été interprété pour le réinterpréter… Il doit y avoir comme une perte de sens au bout de la 50e interprétation…

As-tu suivi l’adaptation du Cycle de Tschaï par Morvan et Li-An ?
Philippe Ogaki : A l’époque de leur sortie, j’ai lu les deux premiers, mais je n’ai pas poursuivi… C’est la même problématique que pour la Compagnie des glaces. On est tous confrontés au même problème : un cruel manque de place pour exprimer tout ce qu’il y a à dire.

Algésiras ne te demande jamais de dessiner un candélabre ?
Philippe Ogaki : Non ! (hi hi) A la base, ce n’est pas le type d’histoires qu’il m’intéresserait de dessiner et de raconter.

C’est étonnant de passer de Candélabre aux Guerriers du silence, non ?
Philippe Ogaki : Algésiras est une très grande lectrice de SF et de fantasy. Dès qu’elle a entendu parler du projet d’adaptation, elle s’est jetée dessus !

Que penses-tu de la Rose écarlate ?
Philippe Ogaki : Ah ! C’est celle de mon épouse (NDLR : Patricia Lyfoung), c’est excellent ! Je la vois tous les jours avancer sur ses planches, puisqu’on travaille ensemble. On parle évidemment beaucoup de nos œuvres respectives… En général, je l’aide un peu sur ses décors, elle m’aide sur les persos ! Etant donné que les décors, c’était mon métier avant… c’est plus facile dans ce sens. Sinon, je l’aide aussi un peu à faire la couleur. Depuis longtemps, elle avait envie de faire de la BD pour fille, car les histoires en BD sont souvent très masculines. En dédicaces, elle a plein d’adolescentes, de jeunes femmes qui adhèrent totalement !

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aurais envie de faire découvrir aux terriens ?
Philippe Ogaki : Il n’y aurait pas de place pour tout mettre dans les bibliothèques des terriens… Je suis un gros lecteur de BD ! On va tout de même en citer une, puisqu’il le faut. Allez : Invincible, de Kirckman et Walker, un comics magistral (NDLR : chez Delcourt), qui détourne le mythe du super-héros. Sur le festival, je viens encore, par exemple, de découvrir Des mots dans les mains (NDLR : également chez Delcourt), une BD pas mal dessinée et très sensible…

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD, chez qui choisirais-tu d’élire domicile ?
Philippe Ogaki : Il y en a trop ! Disons… si je pouvais avoir le talent de Tezuka, ça me plairait bien. Il a fait tous les types d’histoires, il a réussit à faire passer tous les messages de paix, d’amour, de compassion imaginables… Et en même temps, il ne s’est jamais trahi et doit avoir une œuvre de quelque chose comme 500 000 pages. Total respect !

Merci Philippe !