interview Comics

Stephen DeStefano

©Çà et là édition 2016

Depuis plusieurs dizaines d'années, Stephen DeStefano est reconnu aux U.S.A. pour son trait cartoony et ses prestations sur des licences célèbres comme Popeye, Bob l'éponge ou encore Mickey. En 2007, en compagnie de George Chieffet, il a lancé un récit original intitulé Lucky in love. Prévu en deux tomes, le titre a connu une longue gestation, au point que la suite soit encore dans les tuyaux. Très rare, Stephen DeStefano a fait le déplacement en France à l'occasion du festival d'Angoulême. L'occasion parfaite d'interroger cet artiste talentueux, d'une immense gentillesse et au sourire communicateur.

Réalisée en lien avec les albums Lucky in love T1, Wednesday Comics
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
6 mars 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.

Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Stephen DeStefano : Je m'appelle Stephen DeStefano et j'ai débuté ma carrière à l'âge de 15 ans. J'ai commencé à DC Comics, à New York. Je voulais dessiner Batman – ce que je n'ai jamais fait, professionnellement, en fin de compte – mais les choses ont pris un drôle de tournant. Au début, je voulais dessiner des comics de super-héros mais j'ai fini par illustrer des séries humoristiques. Donc, arrivé vers mes 19 ans, j'illustrais une série intitulée Amazing Man, publié chez DC Comics, que j'avais co-créée et qui était écrite par Bob Rozakis. Voilà comment ma carrière a débuté.

Stephen DeStefano Quelles ont été tes influences, artistiquement parlant ?
Stephen DeStefano : Artistiquement ? Il y en a beaucoup. Mes plus grandes influences, parmi les artistes américains, sont Harvey Kurtzman, Segar – le créateur de Popeye, Floyd Gottfredson – qui a illustré Mickey Mouse –, George Herriman – mon cartooniste préféré –, Jack Kirby, Jack Cole. Sur le plan international, Spirou a aussi été une de mes grosses influences. Hergé... Tezuka, aussi. Mais principalement des cartoonistes américains.

En France, on a eu la chance de pouvoir lire Lucky in Love. Comment en as-tu eu l'idée ?
Stephen DeStefano : Comment ? Je n'en n'ai aucune idée ! J'ai été le premier surpris !

Mais comment le projet a-t-il vu le jour ?
Stephen DeStefano : Je dessinais alors depuis déjà un long moment et j'avais toujours voulu travailler sur une série régulière. Et j'avais des amis qui me disaient d'y aller, de me lancer. J'ai donc commencé à l'illustrer et j'avais un ami auteur qui m'a dit « Si tu veux, je peux l'éditer pour toi. », et j'ai accepté qu'on travaille ensemble sur ce projet. Il m'a ensuite dit « Je vois tes dessins, c'est très chouette et je vois où tu veux aller, mais il faudrait que tu écrives l'histoire, aussi. » et j'ai commencé à écrire le script. Je le lui ai montré et il m'a dit « C'est très, très mauvais ! Tu n'es pas auteur, tu es nul. » alors je lui ai demandé quoi faire, s'il voulait l'écrire, lui, avec moi aux dessins – c'était mon ami, George Chieffet – et il m'a répondu « Ok, j'écrirais ton script. » On est parti de là : il a écrit le script, j'ai redessiné ce que j'avais déjà fait, pour être sûr que l'ensemble tienne la route et voilà comment est né Lucky in Love.

Travailles-tu à une suite ?
Stephen DeStefano : J'y travaille, j'y travaille. Ça avance doucement...

Trop lentement !
Stephen DeStefano : [rires] Ça s'est compliqué. Avec le premier, j'avais commencé sur papier. Puis, j'ai eu un ordinateur et là, j'ai commencé à zoomer, à faire attention au moindre pixel et ça m'a pas mal ralenti. En plus, j'ai aussi pris 2 années de congés, ce que je n'aurais probablement pas dû faire. Donc ça avance doucement mais sûrement.

Stephen DeStefano Est-ce vraiment un tel changement, pour toi, de passer au digital ?
Stephen DeStefano : Un peu mais pas tant que ça. J'aime penser que ça m'a permis de m'améliorer. Mais en dehors du fait de m'avoir ralentit, je pense que la principale différence, du point de vue artistique, tient dans le fait que, quand on travaille avec du papier et des pinceaux, le processus est très instinctif et on a tendance à se laisser un peu aller. Avec l'ordinateur, j'ai tendance à être un peu plus raide. Donc oui, c'est un peu plus raide mais c'est aussi plus solide. Donc oui, il y a une petite différence mais j'espère que c'est positif.

Lucky a un côté loser ?
Stephen DeStefano : Awwww... Bon, admettons. [rires]

Comment as-tu appréhendé cet aspect du personnage, au moment de sa conception ?
Stephen DeStefano : J'ai regardé dans le miroir... [rires] Tout ce que je savais, c'est qu'il allait être petit. Je me suis surtout concentré là-dessus. Il y a aussi le fait que j'ai illustré Mickey pendant un long moment et, pour moi, Lucky est le Mickey Mouse de Brooklyn. Un personnage de dessin-animé.

T'as pas de succès avec les femmes ?
Stephen DeStefano : Nooon... Enfin, j'espère, un jour. Pour ma femme, ça a été une surprise. [rires]

De tous les personnages sur lesquels tu as déjà travaillé, sorti de Lucky, quel est celui que tu as préféré ?
Stephen DeStefano : Popeye le marin. C'est mon personnage de cartoon préféré, de toujours. Je l'ai illustré pendant très longtemps, aux États-Unis et ça a été génial. J'adore Popeye depuis tout petit et quand j'avais deux ou trois ans, je demandais toujours à ma mère quand Popeye passait à la télé. C'était très important pour moi. Et quand j'ai eu 22 ou 23 ans, j'ai pu rencontrer les gens qui publiaient Popeye aux États-Unis et ils cherchaient un dessinateur pour faire des T-shirts. Et voilà, trente ans plus tard, je dessine encore Popeye le marin et c'est super. Un vrai bonheur.

Stephen DeStefano Es-tu un lecteur régulier de comics ?
Stephen DeStefano : Oui mais je lis des vieux comic-books. Je ne connais pas vraiment les trucs récents.

Et quel est ton préféré, parmi ces anciens titres ?
Stephen DeStefano : Ah, c'est trop difficile. Mon personnage de comic-book préféré, c'est Batman. Batman est incroyable. Mais mon comic-book préféré ?... Il y a eu de très bonnes histoires de Batman. David Mazzucchelli en fait de très bien – c'est aussi un bon ami à moi –... Ah, si : le Donald Duck de Carl Barks ! Le top. C'est un de mes favoris.

Tout Carl Barks !
Stephen DeStefano : Tout ! Le tout forme une seule et même histoire ! Ça commence en 1942 et je crois que ça se conclut vers 1963. Voilà donc quelques un de mes comic-books préférés.

Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'une personne célèbre, passée ou présente, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Stephen DeStefano : Harvey Kurtzman.

Et pourquoi lui ?
Stephen DeStefano : Harvey Kurtzman est tout simplement mon cartooniste préféré. Son oeuvre... Je n'arrive pas à comprendre comment il y est arrivé. À mes débuts, je ne dessinais pas très bien et Harvey Kurtzman, à ses propres débuts, il dessinait assez bien puis il s'est mis à faire des choses... Je ne comprends pas comment il est arrivé à faire ce bond en avant, comment il arrivait à dessiner aussi bien et avec une telle confiance en soi. Son dessin, en plus, était vraiment le sien, il ne dessinait comme personne d'autre. Il y a des gens, aux États-Unis, auxquels il a pris des trucs, comme Milton Caniff, Noel Sickles, tous ces gars. Mais il se les appropriait et les dessinait comme personne. Il avait une telle force mais, en même temps, c'était si simple de connecter avec l'artiste ce qui fait que je comprends parfaitement ce qu'il faisait et c'est aussi pour ça que son oeuvre est si universelle. Et il était si drôle... Je te répondrais donc Harvey Kurtzman.

Merci Stephen !


Stephen DeStefano