16 décembre 2021 / Actualité

L'affaire Tournesol contre l'Eco-Fauve Raja

L'affaire Tournesol contre l'Eco-Fauve Raja
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Le prix Tournesol est un prix de BD créé en 1997 à l'initiative du parti politique Europe Écologie Les Verts. Décerné chaque année en marge du palmarès officiel du FIBD d'Angoulême depuis 1997, il récompense un album considéré comme sensible aux problématiques écologiques ou porteur de valeurs sociales (défense des minorités, citoyenneté...). Le secrétaire du prix est Yves Frémion, ancien député européen écologiste, qui a travaillé pendant 38 ans à Fluide Glacial.
Cette année, le prix sera décerné le vendredi 28 janvier 2022, à 17h30, dans un bar d'Angoulême, en présence du jury présidé par Yannick Jadot.

Or voilà, pour la première fois en janvier 2022, le FIBD s'associe à son partenaire Raja, spécialisé dans l'emballage, pour créer un nouveau prix écolo, l'Eco-Fauve Raja. Celui-ci sera décerné par un jury de scientifiques, auteurs et militants, composé pour la première édition de : François Olislaeger (auteur), Camille Étienne (activiste), Roland Lehoucq (astrophysicien), Inès Leraud (journaliste) et Sophie Szopa (directrice de recherches au CEA).
Ce prix-là sera remis le samedi 29 janvier lors de la Cérémonie officielle de remise des Prix, au théâtre d'Angoulême.

Si ce doublon confirme bien la prise en compte de l'urgence écologique, il n'en fallait pas moins pour qu'il déclenche une querelle des écolos.
Yves Frémion, créateur et animateur du Tournesol, s'insurge et vient de publier ce communiqué :

« Le Festival international de la BD d’Angoulême vient d’annoncer la création d’un nouveau prix pour 2022, un « Fauve » consacré à la meilleure BD écologiste.
Or il existe depuis un quart de siècle un prix de la meilleure BD écolo de l’année, décerné lors du Festival d’Angoulême (y compris l’an dernier alors que le festival était annulé). C’est le prix Tournesol.
Il a été notamment attribué, pour ne citer que les plus connus, à des dessinateurs comme Jean-Claude Mézières, René Follet, Joe Sacco, Etienne Davodeau, Luz, Manu Larcenet, Léo, Cyril Pedrosa, Christian Binet, Derf Backderf, Martin Veyron, Nakazawa, Keko ou Tom Tirabosco ; ainsi qu’à des scénaristes comme Pierre Christin, Makyo, Corbeyran, Antonio Altarriba… Un palmarès éloquent.
Son jury, qui varie chaque année, a été notamment présidé par de grandes personnalités de l’écologie comme Dominique Voynet, Dany Cohn-Bendit, Noël Mamère, Alain Lipietz, Marie-Christine Blandin, Yves Cochet, Cécile Duflot, Yannick Jadot, Eva Joly, Karima Delli, Sandrine Rousseau, Léonore Moncond’huy… Outre de nombreux artistes-auteurs engagés en écologie, ce jury a associé aussi des organisations ou publications écolos notoires comme Greenpeace, Agir pour l’environnement, Femmes & changement, Eco-Rev, Droit au logement, BD sans frontières, L 214, la Fondation pour l’écologie politique, Silence… Sans oublier des journalistes spécialisés, ou des sympathisants comme François Rollin, Juliette, Bernard Haller, Benoît Delépine…
Il semblait que l’écologie était largement mise en valeur depuis 1997 par ce prix international (car la Belgique et la Suisse francophones y sont associées). C’était compter sans l’opportunisme ambiant, qui veut que tous ceux jamais impliqués jusque là dans le plus grand enjeu citoyen de la planète, aient besoin de s’acheter un brevet d’écologie, à l’image des « résistants de la dernière heure » en 1945. La mode est à l’écologie, nouveau créneau commercial, où s'enfournent les opportunistes du monde entier, surtout ceux qui ont quelque chose à vendre. On appelle ça le « greenwashing ».
Depuis 25 ans, l’écologie est récompensée au Festival d’Angoulême en « off », donc indépendamment des pressions éditoriales, commerciales ou politiques. Au moment où, de Mélenchon à Zemmour, de Hidalgo à Macron, de Pécresse à Marine Le Pen, chacun se proclame plus écolo que les écolos sur le terrain depuis 40 ans, il n’est pas un industriel, un syndicat agricole, une société de chasse, qui ne prétende sauver la planète qu’ils ont contribué à saccager depuis toutes ces années. Dans le monde de l’entreprise c’est à qui sera plus vert que l’autre, tout en continuant pour la plupart leurs pratiques anciennes qui ont conduit au désastre écologique que nous vivons.
Alors, le Festival lui aussi se doit de surfer sur cette vague pour rester dans le vent. Nous croirions à la sincérité de cette initiative si elle avait été prise quand ce n’était pas un gadget à la mode. Mais aujourd'hui, ce n'est de la part du FIBD qu'une indélicatesse vis à vis du Tournesol et un mépris pour l'action des écologistes.
Bien pire : c'est aussi une imposture qui vise à tromper le public, à faire passer pour écologistes ceux qui ne veulent que l'entraver. En témoigne dans la première sélection la présence d'un album qui incarne de façon magistrale cette imposture : Le monde sans fin, scénarisé par le porte-plume de tous les nucléocrates, courtisé des grosses entreprises polluantes, Jean-Marc Jancovici. Après un plaidoyer climatique, il termine l'album par un panégyrique du nucléaire, dont on se demande comment un Christophe Blain a pu mettre son immense talent au service d'une cause aussi falsificatrice.
Je ne sais si cette initiative est une idée de l'équipe du festival, du sponsor, ou si elle leur a été « suggérée ». Ce qui est certain, c'est que ce prix est avant tout une opération politique. Le Tournesol, qui s'est imposé à Angoulême depuis des années, effraie ses adversaires, surtout en période électorale. Ce Fauve carnassier est destiné à faire disparaître le Tournesol trop critique des intérêts des dominants. Les « écolos de la dernière heure » ne veulent aucun bien à l’écologie, il s’agit ici de la rendre inoffensive, puisque intégrée dans le gloubiboulga des multiples prix du Salon au service des sponsors (Caisse d’épargne, SNCF, Raja, etc.) Doit-on avoir un prix officiel par sponsor ? Quelle crédibilité peut-on accorder au prix d’un sponsor ? Qui sera le sponsor du prochain prix ? Total ? Engie ? Bolloré ? Le compteur Linky ? Les tanks Lagardère ? Les paris sont tout verts et les Fauves sont lâchés !
Alors, méfiez-vous des imitations !
»

7 albums concourent pour l'éco-Fauve Raja :
- Agughia (de Hugues Micol, chez Dargaud)
- Mégantic - Un train dans la nuit (de Anne-Marie Saint-Cerny & Christian Quesnel, chez Écosociété)
- Le Monde sans fin (de Jean-Marc Jancovici & Christophe Blain, chez Dargaud)
- La Désolation (de Appollo & Gaultier, chez Dargaud)
- Le Droit du sol : Journal d’un vertige (d'Étienne Davodeau, chez Futuropolis)
- Les Oiseaux (de Troubs, chez Futuropolis)
- Urgence climatique (d'Ivar Ekeland & Étienne Lécroart, chez Casterman)

13 albums concourent pour le Tournesol :
- Les catastrophobes (de Didier Tronchet, chez Fluide glacial)
- Celle qui nous colle aux bottes (de Marine de Francqueville, chez Rue de l'Echiquier)
- Deux mains dans la terre (de Laetitia Rouxel & Jacques Caplat, chez Actes-Sud)
- Lettre des animaux à ceux qui les prennent pour des bêtes (de Giovanni Rigano & Frédéric Brrémaud, chez Glénat)
- Lucha (d'Annick Kamgang & Justine Brabantn chez la Boîte à bulles)
- Lumière noire (de Claire Fauvel & Thomas Gilbert, chez Rue de Sèvres)
- Notre guerre contre le sexisme ordinaire (de Katia Vecchio, Kev Cherry & Helen Mullane, chez les Humanoïdes associés)
- Le portager rocambole (de Laurent Houssin & Luc Bienvenu, chez Futuropolis)
- Promethium (de Jérôme Lavoine, Séverine de La Croix & Guillaume Pitron, chez Massot)
- Réfugiés climatiques & castagnettes (de David Ratte, chez Grand angle)
- René.e aux bois dormants (d'Elene Usdin, chez Sarbacane)
- Urgence climatique (d'Etienne Lecroart & Ivar Ekeland, chez Casterman)
- Vivaces (de Pauline & Lucille Toregrossa, chez Des ronds dans l’O)

On note qu'un seul album fait consensus en étant présent dans les deux listes... Tiendrions-nous là l'album assurément le plus écolo de l'année ? Dans tous les cas, réponse fin janvier, à Angoulême...