L'histoire :
C’est l’été. Dans les lumières d’un théâtre kabuki, un enfant monte sur scène pour se produire. Blessé au doigt, son sang coule. Il décide de l’utiliser pour rougir ses lèvres, puis il allonge ses cils, s’éveille, se voit en femme au travers d’un miroir et danse… avant d’être durement rabroué par tous ceux qui sont autour de lui. À partir de là, honteux de ses agissements, et pour ne pas décevoir ses proches, il décide de porter un masque et de cacher son visage au monde entier pour toujours. Il a maintenant la ferme intention d’être celui qu’on attend qu’il soit, renonçant ainsi à sa propre identité pour répondre aux attentes de ceux qui l’entourent. Et si se fondre parmi les hommes lui permettait d’y trouver sa place ? Rien n’est moins difficile… C’est l’automne. Son corps entravé s’est maintenant transformé en prison au fil du temps qui passe. Le présent, l’idée du futur, tout est douleur. Errant sans but et sans âme, Kabuki se perd dans les opiacés et le désespoir, jusqu’à sa rencontre avec la fantomatique Alma. Celle-ci lui apporte son soutien et lui apprend à se nourrir du monde afin de faire face aux questions sans réponse qui le hantent depuis toujours… jusqu’à l’arrivée d’une promesse, une métamorphose. Mais l’hiver arrive et, avec lui, la peur, l’affrontement, la violence et le rejet. Reste lors du printemps, saison de la renaissance, de la force et de la résistance, à redonner vie au corps de Kabuki…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Guilherme Petreca et Tiago Minamisawa propose d’emblée une œuvre d’une intensité rare, à la croisée du roman graphique, du manifeste identitaire et du théâtre traditionnel japonais. Inspirée d’un projet initial en stop-motion, cette bande dessinée retrace la métamorphose intérieure de Kabuki, une femme trans cherchant à s’affranchir des normes sociales étouffantes. A la fois contemplatif et métaphorique, le récit s’éloigne parfois de la narration classique (et perd parfois en lisibilité) mais gagne en force émotionnelle. En arrière-plan du récit, l’ombre de la violence transphobe confère à l’album une portée politique forte. L’album est un hommage à Dandara dos Santos assassinée en 2017. Portée par un graphisme bien ficelé aux couleurs vibrantes et aux mouvements stylisés, l’histoire prend la forme d’une pièce en quatre actes, chacun lié à une saison. Kabuki danse, tombe, se relève, puis se révèle enfin à elle-même grâce à Alma. À ce titre, chaque planche déborde de symboles, comme le masque, le papillon, le miroir… autant d’éléments qui traduisent avec poésie les douleurs et espoirs d’une identité en devenir. Bref, plus qu’une BD, Kabuki est un livre-objet à la beauté saisissante, complété d’un cahier passionnant sur le théâtre japonais et la genèse du projet. Un hommage bienvenu et vibrant à la liberté d’être…