L'histoire :
3 janvier 2020 : de fortes tensions opposent le régime iranien et les États-Unis. Ce jour-là, Ghassem Soleimani, haut gradé de la révolution islamique est assassiné dans un bombardement déclenché par le président Trump. Son organisation para militaire est particulièrement détestée par la population depuis les représailles sanglantes aux manifestations iraniennes déclenchées par la fraude électorale de 2009. La mort de ce militaire est donc accueillie avec un mélange de soulagement et d'inquiétude par la partie progressiste du peuple iranien. Cinq jours plus tard, alors que chacun se demande ce qui va survenir en représailles, un avion civile ukrainien, transportant de nombreux iraniens entre leur pays et Toronto, Canada, se crashe, tuant l'intégralité des 176 passagers. Shadi, une jeune femme, amie des trois dessinateurs, qui était rentrée au pays voir sa famille, en fait partie. Après le choc, l'heure des questions et de la vérité sur les raisons de ce drame arrive, apportant son lot d'incompréhension et de colère...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Shadi ! Un prénom, pour la mémoire. Il est des livres qui n'ont pour unique but que de donner à cracher son désarroi, sa tristesse, son désir de vengeance, son amour sans aucun doute aussi. L’ouvrage de ces trois exilés iraniens, vivant à Toronto et Paris, est de ceux-là. Amour, car au delà de la surprise et l'émotion, puis la colère et la volonté de dénoncer les responsables de ce drame, Shaghayegh, Mana et Touka finissent par exprimer un peu de positif, dans l'amour qu'ils éprouvaient tous pour leur amie disparue tragiquement. Il est déjà difficile de quitter son pays, encore plus de devoir le critiquer faute de pouvoir trouver des circonstances atténuantes à ses dirigeants corrompus englués dans le mensonge et les exactions. Mais pardonner la tuerie volontaire de 176 civils, plus un fœtus, est impossible. Mana Neyestani, déjà publié depuis 2012 chez Çà et là, ouvre le récit avec une certaine retenue. Il est d’ordinaire difficile de faire ressortir la noirceur de son trait de dessin de presse hachuré, tant il prête à l'humour et la satire. Son frère aîné Touka enchaîne, dans un style davantage perturbé, crayonné relevé de lavis gris se prêtant bien à la bande dessinée. Lui aussi dessinateur satirique dans les journaux, il a dû adapter son travail à la répression du régime en ne publiant plus quasiment que via les réseaux sociaux. Il s'agit de sa première grande œuvre publiée en France, au delà de sa participation au collectif Femme, vie, liberté (l'iconoclaste 2023). Shaghayegh, déjà connue avec ses deux précédents ouvrages Hantée et Les coquelicots de Ridgewood (2021-2024 Ça et là), nous permet de re-goûter à sa sensibilité féminine, cela dit pleine de révolte, et à son style au feutre, reconnaissable entre mille. D'ailleurs, des clins d’œil sont fait à son précédent récit, liant les publications de manière sympathique. Les trois amis enchaînent leurs témoignages de manière fluide et complémentaire, dans des styles personnels marqués et remarquables, d'où ressort une vive critique. Un hommage sincère et réussi à leur amie disparue, qu'on prend beaucoup de plaisir à lire.