L'histoire :
Edmée, 16 ans, quitte Bruxelles après la mort de son père. Elle doit rejoindre à Maeseyck, en Flandre, la famille de son oncle, chez qui elle va désormais vivre. À la descente du train, elle est accueillie par Jef, son cousin germain, un garçon réservé et peu bavard. Le trajet en carriole jusqu’à la ferme se déroule dans un silence pesant, ponctué seulement de quelques mots dans le froid de l'hiver. La campagne défile, grise, nue, sous un ciel d’hiver sans éclat. En arrivant à la ferme, Edmée découvre un nouveau malheur : son oncle vient de mourir, encorné par une vache, trois jours plus tôt. L’atmosphère est lourde, les visages fermés. Sa tante, effondrée, s’affaire dans la maison, tandis que les fils aînés, Fred et Jef, tentent de contenir leur chagrin. Les jours suivants s’organisent autour des funérailles. Le curé arrive chaque matin à 9h, les voisins passent saluer la famille, les hommes se rassemblent pour le cortège. La pluie fine tombe sans discontinuer, détrempant les chemins et les habits. Le jour des obsèques, Edmée croise l’oncle Louis, un parent de Maeseyck, qui a prospéré comme fabricant de cigares. Pendant que les hommes suivent le cortège funèbre, les femmes restent à la maison, occupées à préparer le repas. C’est là, dans la chaleur étouffée de la cuisine, qu’Edmée va devoir trouver sa place...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est le quatrième « roman dur » de Georges Simenon que Dargaud choisit d’adapter, et cette fidélité n’est pas anodine : ces œuvres sans commissaire Maigret, écrites à vif, auscultent et déshabillent les turpitudes humaines dans toute leur noirceur. La Maison du canal ne fait pas exception. Tout y respire la tension contenue, la fatalité qui monte, le drame qui s’installe (ou qui s'instille) lentement comme un poison. Jean-Louis Bocquet et Édith respectent cette lente montée du trouble. Leur adaptation épouse le rythme du texte original, ses silences, ses ellipses, sa rigueur... sa noirceur grisâtre. Le dessin d’Édith, d’une douceur trompeuse, donne chair à cette Flandre humide et grise où la lumière semble avoir pris congé. Sous son trait rond et tendre, on sent pourtant la dureté des vies paysannes empêtrées dans la fatigue et la boue. Chaque planche semble chargée de secrets. C’est un univers où les femmes s’effacent derrière les hommes, où la pudeur sert de carapace, où la jeunesse d’Edmée vient déranger un équilibre fragile et tacite. Fille de la ville, orpheline, un peu étrangère quelque part, elle cristallise les tensions autour d’elle jusqu'à un épilogue dramatique. On pense à Steinbeck dans Des souris et des hommes : à cette humanité rustique, pleine de maladresse, de pulsions et d’aveux impossibles. Jeff, le cousin taiseux, évoque presque Lennie, ce colosse fragile prisonnier de son propre corps. Et c’est sans doute ce qui rend l’album si juste : il sent la terre, la pluie, la résignation mais aussi le trouble et le désir d'une vie différente.