L'histoire :
Dans un petit appartement d'Almaty, en Octobre 2018, Erkin Azat recueille clandestinement le témoignage d'une jeune femme qui a été détenue plusieurs mois dans un camp de rééducation du gouvernement chinois. Elle décrit le fonctionnement du camp d'apprentissage, expliquant la fausse accusation dont elle a été victime, le faux enthousiasme des autres détenus qui organisaient de spectacles de danse, espérant être libérés plus tôt. Forcée à poser nue avant d'être relâchée, Adana ne peut pas parler à visage découvert sous peine de voir la honte s'abattre sur elle. Quelques années plus tôt, Riiem n'avait pas encore choisi d'être lanceur d'alerte sous pseudo pour dénoncer le traitement des Ouïghours dans la région du Xinjiang. C'était un jeune homme qui s'occupait de ses parents, grâce à son travail au Kazakhstan. Employé d'une entreprise pétrolière chinoise implantée dans le pays voisin de son Xinjiang natal, il pensait représenter l'équilibre parfait entre les deux régions que l'histoire avait placées sous influence russe à l'Ouest et chinoise à l'Est. Mais un contrôle à la douane lors d'un trajet entre travail et famille va trouver sur son ordinateur une page wikipedia qui évoque le Turkestan oriental. Il n'en faut pas plus pour qu'il soit arrêté et que les ennuis commencent.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A travers le portrait d'un jeune ingénieur né au Xinjiang mais d'origine turcophone, les auteurs nous éclairent comme rarement sur la situation des Ouïghours dans la région chinoise du Xinjiang. On entend souvent parler de cette minorité maltraitée par les autorités de Pékin, mais rarement on a accès à un témoignage vécu, de l'enfance à l'âge adulte, de la machine terrifiante qui soumet tout un peuple. Tout est décrit avec patience, les interrogatoires truqués, l'arbitraire de petits chefs des autorités locales soutenus par une politique chinoise impitoyable. Mais aussi la surveillance permanente par des anonymes, prêts à dénoncer tout propos un tant soit peu contestataire, des pratiques religieuses non acceptées par l'état, le moindre signe de non soumission. On apprend aussi beaucoup de choses sur les origines de cette région sensible entre Russie et Chine, les deux puissance tenant chacune à garder leurs positions conquises dans les siècles passés. Le courage incroyable de Riiem force le respect, même si son évolution est présentée comme tout à fait naturelle, ne mettant pas spécialement en avant la force qu'il faut pour risquer ainsi sa vie. C'est Erkin Azat lui-même qui co-scénarise cet album, avec la dessinatrice Luxi, d'origine chinoise qui vit en France. Le récit est d'une grande authenticité, très peu d'artifices sont employés pour renforcer un propos d'une grande profondeur.