L'histoire :
En l'an de grâce 1539, quelques années après la conquête du pays aztèque par le conquistador Hernan Cortes, un petit indigène prénommé Antonio assiste à l'immolation publique d'un hérétique sur la place principale de sa cité, Tenochtitlan (actuelle Mexico). L'exécution et l'exigence du reniement qui l'accompagne sont spectaculaires. Ce jour là, Antonio repère aussi dans la foule un frère franciscain furibond. Il le suit jusqu'à l'église. Bernardino est en colère contre cette administration qui brûle les indiens que eux s'évertuent à transformer en chrétiens. Le frère repère Antonio et lui propose d'assister à la messe. C'est le début d'une longue amitié. Dans les semaines et les mois qui suivent, Antonio est baptisé et reçoit un enseignement occidental complet : latin, grec, chant... Il est convaincu par ce « vrai » dieu et les bienfaits de la civilisation qu'il véhicule. Bernardino demande officiellement à sa hiérarchie pour que l'enfant rejoigne 4 autres novices de son âge, tous d'origine indigène. Ils deviennent de vrais bons chrétiens au service de l'Eglise, et ils ont tendance à mépriser et harceler les gens de leur ethnie qui demeurent attachés aux rites et croyances ancestraux. Bernardino a cependant conscience de l'importance de bien connaître la culture précolombienne, afin de mieux faire assimiler la leur aux autochtones. Il va se lancer dans un challenge un peu fou d'en établir un codex, avec l'aide de ses novices...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette histoire est authentique : dans la seconde moitié du XVIème siècle, Antonio Valeriano et son mentor franciscain Bernardino de Sahagun ont réellement réalisé l'un des codex les plus précieux qui soient sur la culture aztèque, avant qu'elle ne soit totalement recouverte par la conquista espagnole. Or les bâtons que leur administration a mis dans leurs roues pour conserver intactes les traces de cette civilisation, sont tout aussi historiques. Jean Dytar et Romain Bertrand focalisent sur cette entreprise au long cours qui s'est heurtée aux réticences politiques de son temps, en un pavé formidablement documenté. Mais surtout, pour ce faire, Dytar réinvente lui-même un langage séquentiel mâtiné des éléments visuels de la culture aztèque, dans l'objectif de mieux nous immerger dans cette civilisation antique-exotique, d'une grande richesse. Grand format carré, forte pagination, papier couleur parchemin, adoptions des codes colorimétriques des originaux, utilisation des symboles traditionnels, variation des hyéroglyphes, pour s'affranchir parfois des phylactères, et régulièrement de grandes doubles pages ... le tout sans perte de sens ! Accompagné par un dessin tantôt ligne claire, tantôt aquarellé, on découvre cette culture aztèque en participant à la manière de communiquer des aztèques. C'est très très fort ! En prime, la question du recouvrement civilisationnel redevient tragiquement d'actualité et fait sens avec notre époque. Un chef d'œuvre dans le fond et dans la forme, un outil de compréhension majeur des processus géopolitiques délétères.