L'histoire :
Il est 15h. Une mère écoute les infos en voiture : 3500 mineurs non accompagnés arrivent chaque année en Belgique, et les centres d’accueil débordent. Elle gare sa voiture, récupère ses enfants. Juste à côté, sur un banc, un adolescent attend. Il s’appelle Moheeb. Il pleut. Des élèves font du sport sous la conduite d’un prof d’EPS. Moheeb les observe, invisible. Il tape dans un ballon contre un mur, rejoint ensuite les autres pour jouer. Son prof lui donne rendez-vous plus tard. Moheeb boit de l’eau, attend. Il retrouve Qaïs, un autre mineur exilé, qui file un rencard à Manal, une lycéenne belge. Les deux amoureux s’embrassent. Qaïs demande à Moheeb où il dormira ce soir. Il évoque un ami de « Madame Sonia ». Qaïs, lui, retrouve Manal et ira chez « Madame Julie » pour se doucher demain. Et le lendemain, il dormira chez Madame Sarah avec Qaïs. Moheeb allume une cigarette. Puis s’assoit. Il attend. Il évite les ennuis. Il joue au foot. Il parle peu. Son quotidien est rythmé par des instants suspendus, des petites aides, des silences. Il traverse ce lieu en bordure de tout, ce parking bétonné, en quête de repères et de stabilité. Pas de grand drame ici. Juste la chronique d’un jeune garçon exilé, qui tente de meubler le temps sans s’effondrer. Dans l'attente. En salle d'attente.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Moheeb sur le parking, Clara Lodewick continue son travail d’orfèvre sur les zones grises de nos sociétés. Après Merel, chronique d’un village flamand figé par les regards, elle choisit ici un décor de béton et d’attente : un parking en lisière de Bruxelles. C’est là que vit Moheeb, mineur afghan isolé, en sursis administratif et existentiel. Il attend ses papiers, mais aussi quelque chose de plus diffus : un signe, une forme d’ancrage. Le décor est réduit à l’os – une dalle, un grillage, un banc – mais tout s’y joue. L'auteure excelle dans l’art du minimalisme sensoriel. Chaque scène, chaque geste, chaque interaction devient signifiant : un ballon, une cigarette, une conversation esquissée avec Hugo ou Qaïs. L’autrice déploie une narration en demi-teinte, tendue vers le hors-champ, habitée par les non-dits. Loin d’un reportage, l’album adopte les codes de la fiction sensible, portée par un dessin aux couleurs sourdes et aux cadrages ciselés. Le récit donne à voir la lente dépossession de soi, mais aussi la chaleur ténue des liens, qu’ils soient amicaux, amoureux ou solidaires. Dans ce théâtre de l’attente, Moheeb semble presque figé… et pourtant, c’est une vie entière qui circule, silencieuse, entre les cases. Une œuvre précieuse, pudique et politique, absurde à souhait, avec une pincée d'En attendant Godot de Beckett.