L'histoire :
Début 1916, Beckadou est un jeune homme qui vit dans la région de Dakar au Sénégal. Mais un décret français impose une conscription forcée auprès des populations masculines de cette colonie d’Afrique occidentale, afin de renforcer les troupes alliées qui se battent sur le sol européen. Le gouverneur local établit alors des quotas par villages. Beckadou fait partie des conscrits forcés et il est bien triste d’être ainsi arraché à sa famille. Il est envoyé avec des centaines d’autres camarades (20 000 au total) à bord d’un cargo, direction Bordeaux. A l’automne 1916, Beckadou intègre le camp du Courneau. Il a reçu une formation de tirailleur en Afrique et rejoint d’autres soldats sénégalais qui hivernent ici. L’expérience du front rapportée par les « vétérans » est atroce. Ils racontent les hommes coupés en deux par des obus, ceux qui meurent étouffés ensevelis dans les tranchées, ou braisés au lance-flammes, les gaz…C’en est trop pour Beckadou. Il décide de s’enfuir en solitaire du camp pour éviter de rejoindre les cadavres de ses amis. La nuit suivante, il s’éclipse discrètement du dortoir avec son uniforme à la main, s’habille à l’extérieur, empoigne une machette, franchit les fils de fer barbelés et court à s’époumoner vers la forêt de pins la plus proche…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A travers Déraciné, Thibault Rougès fait un travail mémoriel notable (qui lui a demandé 5 années de boulot) sur le sujet des tirailleurs sénégalais recrutés de force pour se battre sur le front de la première guerre mondiale. Le lecteur suit le personnage de Beckadou, authentique jeune soldat durant sa tentative d’évasion – de désertion ! – du camp de Courneau, à côté de la Teste-de-Buch (Arcachon), à l’automne 1916. Par le prisme d’un dessin en noir et blanc encré et réaliste, aux clairs-obscurs radicaux, Beckadou court à travers la forêt et se planque, terrorisé, via la narration au présent. Et régulièrement, lorsqu’il se repose et fait le point sur sa situation, l’auteur retrace sa mésaventure via des flashbacks qui débutent 6 mois plus tôt. La narration est très majoritairement muette et déroule tantôt son hallali en planches découpées, tantôt des doubles planches ou des pleines pages de cauchemars, de souvenirs ou de prémonitions, ou tout s’entremêle de manière très chargée. Sans divulgâcher ce récit, on se doute que ce destin sera de courte durée. Lors du cahier pédagogique final de 14 pages, puis graphique, l’auteur revient en détail sur le mécanisme de ces recrutements coloniaux forcés. Il dément aussi le raccourci souvent fait : les tirailleurs sénégalais n’ont pas été de « la chair à canon » pire que les soldats blancs : tous étaient logés à la même enseigne.