L'histoire :
Après avoir fait de la BD jeunesse, plutôt d’humour, toute sa vie (Modeste et Pompon, Gaston Lagaffe, Spirou et Fantasio, la création du Marsupilami…), André Franquin bouleverse son monde et les codes de la BD en lançant en 1977 les Idées noires (1981 en album). Ce recueil de gags d’humour archi noir, mais faussement méchant, entièrement réalisé à l’encre de Chine – ou plutôt au stylo Rotring, un instrument récemment découverte et offert par Frédéric Jannin – puisait son inspiration dans tous les malheurs du monde. Cette possibilité qui lui était offerte, de s’amuser en toute liberté avec les angoisses, les pensées négatives, la bile de l’humanité, le gore ultime et néanmoins comme une grosse « rigolade », résonnait comme une catharsis. Elle est restée à la postérité comme une œuvre majeure, virtuose et génialement atrabilaire du 9e art. Cet épais recueil est préfacé par Isabelle Franquin et remis dans le contexte de l’époque par Gérard Viry-Babel, au sein d’un dossier préliminaire. L’éditeur a fait les fonds de tiroirs pour compiler les croquis préparatoires, les idées de scénar, les ébauches, les storyboards, les échanges manuscrits avec les proches de ce génie artistique que fut Franquin.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Aux Origines, les deux recueils d’Idées noires (1981 et 1984) furent un exutoire précieux et nécessaire pour permettre à Franquin d’exorciser ses angoisses existentielles. Car ça n’a jamais été caché : Franquin était pessimiste et dépressif. A priori, la catastrophe chimique de la baie de Minamata (Japon, 1972) a été la « goutte » de mercure de trop. Nées au sein du magazine Le trombone illustré , ces gags imbibés d’encre de Chine évoluèrent ensuite au sein du nouveau magazine de Gotlib Fluide Glacial. Ils permirent à Franquin de se distancier de sa déprime chronique par le rire, l’ironie et le sarcasme… tout en lui permettant de prendre aussi beaucoup de liberté avec les codes auxquels il se conformait avec discipline depuis ses jeunes années d’artiste. Car ce style nouveau est aussi né avec un outil utilisé depuis les années 50 pour le dessin technique, que lui offrit Frédéric Jannin : le Rotring Rapidograph. Et Franquin dessina des petits monstres en ombres chinoises dans toutes les marges hautes de ses gags. Réalisé sous la férule d’Isabelle Franquin, de Gérard Viry-Babel et de Numa Sadul (extraits de ses entretiens avec Franquin), ce luxueux ouvrage décrypte, recontextualise et fournit une somme impressionnante de documents préparatoires, légendés et souvent commentés par Franquin himself.