L'histoire :
La Louisiane, les Cajuns, le Bayou. Une petite bicoque sur pilotis et une barque, au milieu de nulle part où vivent les sœurs Duvall. L'aînée, Perle, affiche une quarantaine bien usée. A voir les traits de son visage, elle n'a plus rien d'une beauté de nacre. Il faut dire que quand on bosse 20 piges pour Levasseur, le caïd du coin, y'a de quoi vieillir plus vite que prévu. Le gars trempe dans toutes le magouilles et Perle bosse pour lui. Elle se charge des clients qu'il envoie depuis suffisamment longtemps pour que ce soit désormais Jacky, sa cadette bientôt majeure, qui prenne la relève. Mais la môme ne l'entend pas de cette oreille, ce qui déclenche une brouille entre les deux sœurs. Perle ne comprend pas : ne pas se plier aux volontés de Levasseur, c'est non seulement dangereux, mais en plus ingrat. Agacée, elle sort fumer une clope. Jacky en profite pour se saisir de la Winchester qui est posée sur le conduit de la cheminée. Si sa sœur considère que faire la pute doit être sa vie à venir, c'est qu'elle ne mérite pas que la sienne continue. Le coup de feu retentit. La gamine démonte une latte de plancher et prend le fric amassé pour le maquerau. Puis c'est le début d'une cavale qui va la conduire à New York, où elle va demander la protection au célèbre flic Nick Raider. Le truc, c'est qu'elle ne lui dit pas tout, car elle compte bien garder le magot pour elle...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Au début des années 2000, Sergio Toppi est à un tournant de sa carrière. L'artiste italien a toujours œuvré pour proposer des BD qui sortent des sentiers battus de la BD industrielle et son travail graphique s'inscrit dans ce souci. Il lit peu, très peu de BD et s'il s’intéresse à la photographie et au cinéma, c'est pour introduire une dose de réalisme, mais surtout pour travailler sur plusieurs plans dans une même case, avec une technique d'encrage qui mêle trames et hachures. Progressivement, il parvient à trouver un équilibre quasi parfait entre l'ombre et la lumière, entre le Noir et le Blanc. Pour ce qui est de la narration, il s'éloigne aussi des récits et des personnages traditionnels. Ainsi, il est un des contributeurs de la collection Un homme, une aventure, publiée en Italie de 1976 à 1980 (essentiellement éditée chez nous par Dargaud). L'aventure éditoriale est brève : 4 ans. Mais elle accouche de 25 albums traduits en France. Parmi les auteurs, on compte, entre autres, Dino Battaglia, Guido Crapax, Attilio Micheluzzi, Milo Manara, Hugo Pratt (pour des rééditions) et un certain Gino d'Antonio. Puis Toppi s'affranchit de la figure classique du héros, avec son mythique Collectionneur, à la toute fin des années 90. Mais d'Antonio et Toppi assistent alors à une forme d'échec commercial de la BD indépendante transalpine. Et c'est la raison pour laquelle ils signent chez Sergio Bonelli Editore, en étant « affectés » à la série policière Nick Raider, crée en 1988. Ces Traces de Sang sont le premier des trois polars qu'ils publient chez ce poids lourd de l'édition italienne (Tex, c'est chez lui). Si c'est un travail de commande, c'est surtout un vrai régal pour lecteur. D'Antonio concocte une trame classique, celle d'une cavale effectuée par une gamine rudement déterminée à se venger d'un salopard. Le mécanisme ne joue pas sur le suspense mais sur la dramaturgie, parfaitement maîtrisée au milieu des stéréotypes des récits policiers. Quant au dessin, Toppi n'est plus libre, mais cela ne l'empêche pas de jouer avec un talent de virtuose sur les contrastes entre une New-York crasseuse qu'on sent fourmillante de vie et le Bayou, dont la nature en apparence calme et placide cache en réalité une vraie sauvagerie. Un petit bijou, à ne surtout pas rater.