L'histoire :
En novembre 2022, Emmanuel Lepage embarque à bord du Marion Dufresne pour rejoindre l’archipel des Kerguelen. Ce navire, qui assure quatre rotations annuelles sur près de 9000 kilomètres, ravitaille les îles françaises de l’extrême Sud du globe. Déjà monté à bord en 2010 pour un précédent album, Emmanuel Lepage s’apprête cette fois à rester sur place, coupé du monde, au cœur d’un territoire découvert au XVIIIᵉ siècle et jamais habité durablement à cause de ses conditions hostiles. Les Kerguelen sont devenues un véritable laboratoire naturel où se relaient des scientifiques pour étudier et préserver une faune et une flore uniques, adaptées au froid, au vent permanent et à l’isolement. Emmanuel Lepage accompagne une équipe chargée de tourner un documentaire pour Arte : François, porteur du projet et coscénariste avec sa femme Cécile ; Alexis, chef opérateur expérimenté ; et Paul-François, débutant pour la chaîne. Le tournage s’annonce exigeant, tant pour les déplacements que pour les conditions météorologiques. Parmi les espèces étudiées figure l’éléphant de mer, dont les plongées pouvant atteindre 1000 mètres interrogent les biologistes : gestion de l’oxygène, résistance aux variations physiologiques, comportement entre terre et océan. Mais l’observation ne se limite pas à ce mammifère : le séjour permet aussi de documenter une biodiversité rare – oiseaux marins, espèces endémiques, paysages volcaniques, plages battues par les vents – et de comprendre comment ce milieu extrême façonne la vie sur l’un des territoires les plus isolés de la planète.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quinze ans après Voyage aux îles de la Désolation, Emmanuel Lepage retourne aux Kerguelen et signe un nouvel album où il fait du Lepage dans ce qu’il a de plus pur : un récit de voyage introspectif, vibrant, entièrement happé par la nature. Cette terre sans habitants permanents, battue par les vents et isolée du monde, crée un sentiment puissant de décentrement. On y vit loin de tout, dans une forme de « bout du monde » radical, presque déshumanisé – et pourtant profondément humain. Lepage partage le quotidien d’une campagne d’été en compagnie de spécialistes des éléphants de mer et d’une équipe d’Arte avec laquelle il va passer deux mois en immersion. Autour d’eux, une petite communauté cosmopolite de scientifiques, militaires, ouvriers polyvalents : des reclus volontaires qui tentent de comprendre et protéger un milieu unique. Chaque découverte ouvre une brèche, laisse place au doute, interroge les limites du vivant et donne l’impression de toucher physiquement les frontières du monde connu. Moins nostalgique que son premier séjour, ce retour porte une promesse : celle d’un territoire resté intact dans sa naturalité. Lepage y explore ce que signifie habiter l’espace, ressentir la solitude, éprouver la beauté brute. Comme toujours dans sa griffe, on ne peut dissocier le texte de l’image. La narration et le dessin respirent ensemble, nous entraînant dans un voyage autant sensoriel que contemplatif. On voit des aurores australes, on sent la fatigue, le froid, le silence dense, et on partage l’émerveillement de l’auteur. Côté dessin, Lepage déploie un réalisme lumineux : visages, corps, paysages se fondent dans un même souffle, celui des Kerguelen. Le trait, précis et vibrant, capte la vie, la rudesse, l’infime beauté des gestes. C’est une œuvre profondément incarnée, d’une grande puissance émotionnelle, qui fait du bien dans un monde saturé de technologies et de vitesse. Une parenthèse où la réalité semble presque irréelle – mais intensément vraie.