L'histoire :
Après avoir travaillé pendant des années en Afghanistan en tant qu’ingénieur agronome, spécialiste de l’irrigation, Yves Faivre est sur le point de quitter Kaboul, le 6 juin 2022. Avec le retour des talibans au pouvoir et l’évacuation des forces de l’OTAN du pays, son travail est devenu impossible. Mais alors qu’il se rend à l’aéroport, une voiture se met en travers de l’autoroute. Des hommes amés de kalachnikovs en descendent et le forcent à monter dans leur véhicule. On lui bande les yeux et on l’emmène dans un bunker souterrain. Quand il peut enfin revoir, il aperçoit juste par un soupirail les antennes de communications de la colline de la télévision. Il en déduit donc qu’il est dans le quartier de Shar-e Naw, la ville nouvelle de Kaboul, pas loin du ministère de l’intérieur. Il est emprisonné entre quatre murs de béton et sent que sa détention va être longue. Il est suspecté d’être un espion français, ce qu’il n’est évidemment pas. Il avait du parfum et des savons dans son sac, c’est suspect. On lui demande le code de son ordinateur. On ne lui apporte pas toujours d’eau potable. Il peut parfois se laver, mais sans savon. Il réclame du papier et un crayon et il écrit. Il essaie de retracer par écrit toute son aventure an Afghanistan, qui a commencé 30 ans plus tôt ! A l’époque, il s’était engagé auprès d’une ONG et devait entrer dans le pays en passant par le Pakistan. Et déjà, à l’époque, ça avait commencé par une phase de détention arbitraire…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce qu’on appelle « Les cieux noirs » en Afghanistan, c’est le couvercle gris foncé de nuages qui recouvre les grandes plaines du Logar et de Ghazni durant la saison hivernale, parfois accompagnés de neige. Pour partager le sentiment pesant qui en exhale, il faut s’appeler Yves Faivre, ingénieur agronome français, qui a passé 27 ans de sa vie là-bas à tenter de développer l’agriculture et l’irrigation, au mépris des choix de société pénibles inhérent au fanatisme religieux et à l’obscurantisme radical. Quelle vocation et quel destin ! Avec l’aide d’Alain Bujak au scénario et d’Andrés Abiuso au dessin, Faivre se raconte à deux époques opposées : son arrivée en Afghanistan, en 1992, qui passe par des semaines de détention et son départ de Kaboul, en 2022, qui passe par… des semaines de détention. Entre deux, il y a certes eu une parenthèse de 3 ans (1998-2001) durant laquelle il est revenu vivre en France, mais après les attentats du 11septembre, sa dévotion envers sa cause agricole et le sentiment d’y faire quelque chose de vraiment utile a été plus fort. Dans sa dernière geôle en béton, Faivre rédige ses mémoires et ce sont ces écrits qui servent de base à ce curieux « carnet de voyage », récit d’un engagement scientifique et écologique bienveillant, au service d’un pays qui croule sous les besoins, contrarié par l’une des civilisations les plus crasses. C’est un témoignage rare qui nous parvient là, tant les talibans cherchent à réprimer l’information, à contraindre la pensée. Ce livre, certes un peu désordonné et longuet dans sa construction narrative, n’est pas sans rappeler Le photographe (de Didier Lefebvre et Emmanuel Guibert) et il en est aussi quelque peu l’héritage.
