L'histoire :
Tim émerge dans un métaverse qui lui donne une projection plausible d’un futur proche et urbanisé. Les gens sont gros, asiatiques, ils se déplacent tous en trottinette et la météo est archi pluvieuse. De pauvres gens entassés dans un campement de fortune se font tabasser. Et puis il croise une jeune punkette, toute menue, un peu garçonne avec une crête et… il en tombe immédiatement amoureux. Il la suit jusque sur le quai d’un port, où la tempête redouble. A quelques centaines de mètres du rivage, Chloé regarde interloquée « l’archipel » qui part à la dérive… c’est-à-dire l’épave d’un immense paquebot retourné sur le flanc, au sein duquel elle squattait jusqu’à présent avec tout un tas de laissé-pour-compte. Tim drague Chloé un peu lourdement. Et tandis qu’ils désescaladent un cumul de blocs de bétons en bordure de mer, il est emporté par une grosse vague. Il se réveille essoufflé dans son lit, dans la réalité. Cette expérience virtuelle a été particulièrement immersive et éprouvante. Il a une érection et il part vomir dans les toilettes. Son drône-IA prénommé Sabrina lui donne un médicament. Il est bien de retour dans sa confortable villa de riche. Il va pouvoir se pomponner pour sortir retrouver ses amis et sa fiancée Ivanka…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Sacha Goerg, fondateur des éditions L’employé du moi, se fait régulièrement publier ailleurs que chez lui. Son œuvre est généralement pointue et aborde plutôt frontalement les sujets de notre époque. C’est encore le cas de cet Archipel, qui convoque en même temps le multivers, les IA, les assistants robotiques, les conséquences d’une crise énergétique grave, d’une fracture des classes et les projections peu ragoûtantes d’un monde qu’on a climatiquement laissé se dégénérer. Goerg ne nous prend pas par la main et nous propulse dans l’idylle improbable de ces Roméo et Juliette d’un futur proche aussi plausible qu’anxiogène. Tim, jeune riche insouciant et athlétique, tombe amoureux d’une punkette, pauvre, fluette et socialement impliquée. On assiste à leur rapprochement confus et compliqué par la technologie, les préjugés, la manipulation des IA, les réseaux sociaux, le marketing numérique, le dérèglement climatique, sans oublier leurs préalables relations réciproques. En percutant sans ménagement notre paradigme actuel à l’aide de nos craintes légitimes, cette vision du futur nous donne assurément à réfléchir (et à angoisser). Cependant, à vouloir narrer tout cela aussi vite que la vie connectée post-moderne, avec son jargon post-branché et ses usages sociaux de post-demain, ainsi qu’un dessin rapidement jeté et sommairement colorisé avec un lavis à la truelle, Sacha Goerg nous perd régulièrement. Puis il nous rattrape. Puis il nous abandonne à notre destin. Que va-t-on en faire ?
