L'histoire :
Alex, une jeune femme photographe, vit en colocation. Elle occupe régulièrement la salle de bain pour développer ses photos argentiques, au grand dam de sa colocataire. Ce jour-là, Alex reçoit un coup de téléphone inattendu. Elle qui passe son temps à guetter sa boîte mail pour recevoir des commandes et des paiements pour vivre décemment, ne s'attendait pas à être contactée par le festival des Rencontres de la photographie d'Arles. Et pourtant, elle va pouvoir y exposer ses travaux, sur un thème libre, pour le concours Jeunes Talents. Elle va devoir travailler sur une série photographique inédite, et elle en est persuadée, ce festival lui donnera de la visibilité. Ça serait encore mieux si elle gagnait la bourse du vainqueur ! Elle sort avec ses amies, boit des verres, danse, prend de la drogue… et après cette soirée agitée, elle rentre se coucher. Le lendemain matin, comme après chaque nuit d'excès, elle se dirige vers le miroir, et constate avec effroi que sa peau ne la laissera pas tranquille. Elle est immonde, un monstre. A la moindre fatigue, à la moindre contrariété, son visage se couvre d'eczéma. Elle a tout essayé pour s'en débarrasser, mais rien n'y fait. Alors, elle camoufle ses rougeurs avec du fond de teint et essaye de les oublier. Surtout, elle ne veut pas les montrer. Elle cherche des idées pour sa série d'Arles. Elle feuillette les travaux de ses photographes préférés. Panne d'inspiration. Elle lâche l'affaire pour aujourd'hui. Elle fait un tour sur Tinder et se demande pourquoi elle se fait du mal plutôt que de se faire du bien. Elle s'écoute et se donne du plaisir en solitaire. Et elle atteint l'orgasme, pour la première fois. La voilà son idée de sujet pour ses photographies : la représentation du désir, vu par une femme ! La femme deviendra le sujet désirant et non plus l'objet désiré.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après La guerre de Catherine, Phoolan Devi reine des bandits ou encore La nuit est mon royaume, Claire Fauvel propose ce nouveau one-shot, en tant qu'autrice complète. A travers son personnage féminin d’Alex, une jeune photographe sélectionnée pour un festival à Arles, elle remet en question le rapport à la sexualité et au désir que peuvent avoir les femmes. Alex va choisir comme sujet photographique de représenter le désir, en ne prenant pas en compte le traditionnel prisme du patriarcat, des photographies pensées par et pour les hommes, mais au contraire, en renversant la tendance. Mais comment réinventer un imaginaire érotique, quand on n'a rien connu d'autres que le regard masculin ? Tout est à défaire et à reconstruire. En parallèle, Alex chemine individuellement sur son rapport au corps et à la sexualité, en tentant d'apprivoiser sa peau, son vrai visage, qui ne répond pas aux normes pré-établies par la société. Claire Fauvel signe un ouvrage fort, très agréable à lire, qui remet en question de nombreux stéréotypes et donne à voir autre chose qu'une vision patriarcale des arts et des femmes. Visuellement, elle réinvente un imaginaire érotique, nous propose une version plus ouverte et plus éthique, nous montre d'autres voies possibles. Graphiquement, elle utilise la couleur directe : nous reconnaissons son trait, tout en découvrant une nouvelle facette de ses qualités de dessinatrice. On notera aussi quelques clins d'œil, notamment à Thomas Gilbert, avec qui elle a co-écrit Lumière noire. Un album résolument contemporain et féministe !