L'histoire :
Marie déambule dans les rues sombres. D'abord fuyant une ombre qui lui fait peur – un chat devenu tigre et la mordant – elle rencontre Monsieur Chouette. Celui-ci lui avoue être psychopompe, celui qui guide les âmes vers le pays de la mort. Il lui propose un RDV le lendemain, dans un bar. Le bijou bar, lieu frontière. Éveillant la curiosité de la demoiselle, monsieur Chouette va lui proposer un voyage et lui faire franchir le mur séparant le monde des vivants et des morts. Marie doit cependant enlever ses oripeaux humains et s'habiller d'une autre peau, spécialement conçue pour elle, afin de se fondre dans la masse. Car Cerbère, le chien à trois têtes, arpente les rues de ce côté-ci, prêt à dévorer tout ce qui n’est pas vraiment mort. D’ailleurs, ce n’est pas le seul stratagème à utiliser, car il est aussi interdit de manger et de dormir vraiment, ici. Marie, petit à petit, va se familiariser avec cet étrange univers, tout en essayant de rejoindre son lieu d’origine...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Six ans après la Mort détective, où il était auteur complet, chez l'Association, et après d'autres aventures, comme scénariste, ou à l'occasion d'un épisode de la série Donjon Monster, revoilà David Beauchard, alias David B, dans un beau récit complet donnant libre court à sa verve fantastique si particulière. Il faut en vouloir pour consacrer plus de 250 pages à une course-poursuite improbable dans le royaume de la mort, tout en arabesques et foules de personnages iconoclastes dessinés enchevêtrés, tout comme les décors d'ailleurs, maisons mouvantes s'effondrant les unes sur les autres. On connaît et on apprécie David B. Depuis ses premiers petits albums La Bombe familiale ou Le Cheval blême, au début des années 1990, puis la série phare L'ascension du haut mal l'ayant révélé. Son univers onirique fort et déroutant, tout de noir profond vêtu, nous est rappelé ici avec force, car c'est au sens propre que la mort est traitée. On plonge toujours avec autant de délice dans les noirs profonds du dessinateur et ses inventions spectaculaires, surréalistes, comme ces êtres et objets morts arrivant dans la nuit et cherchant de la compagnie. Quatre pages où l’auteur nous présente un squelette avec son placard, une literie complète dont on n’a plus l’usage, une maison abandonnée, un feu éteint, une échelle brisée, un enfant malade, un porc devenu saucisse, un dieu oublié… autant de choses improbables, représentées ici avec une grande poésie, sous forme de fiches compactes se faisant suite. Concernant le scénario, le séjour est relativement long et les découvertes sont nombreuses, offrant une belle galerie de rencontres au personnage principal. Celle-ci s’affranchissant de son guide à un moment, prête à s’enticher de ce nouveau monde étrange, où finalement elle s’éveille quelque peu en actant. C’est à dire en révélant une envie, une action, une sorte de cri libérateur. David B sait ce qu’il a voulu exprimer avec ce conte. Et si on ne tentera pas trop longtemps une analyse philosophique de la chose – son univers étant bien trop riche de légendes et de cultures diverses – on se réjouit de pouvoir suivre Marie dans ce dédale, soit inquiétant soit bienveillant, selon les personnes que l’on croise. Un peu comme dans la vie au final. Ouvrez grands vos yeux, ce conte ne manque pas de... sel.
