L'histoire :
Virginie Lorentz, journaliste indépendante, part à la rencontre d’Ali Oulkadi, l’un des accusés des attentats du 13 Novembre 2015. Un des trois assis sur les strapontins à comparaître libres au procès. Il vit avec sa femme et ses enfants à Molenbeek, dans le croissant pauvre de Bruxelles. Il raconte son histoire : cette journée du 14 novembre où il a conduit Salah Abdeslam d’un point A à un point B, puis son arrestation, sa détention, son transfert et enfin son jugement. Il revient aussi sur la naissance de son amitié avec Brahim Abdeslam, terroriste mort le 13 Novembre et grand frère de Salah. Une histoire d’amitié, de confiance et de soutien entre deux hommes, une relation que l’un pensait connaître. Une amitié simple : jouer, boire, fumer ensemble, s’inviter à leurs mariages, se rendre service, s’offrir des cadeaux. Ali ne cesse de chercher à comprendre. Pendant ses années à l’isolement, il « cogite à s’en brûler la cervelle ». Pourquoi Brahim, son frère de cœur, a-t-il fait ça ? Pourquoi, lui, n’a-t-il rien vu venir ? Quels étaient les signes ? Il ressasse leur histoire point par point, les détails qui auraient pu lui échapper. Mais aussi, cette fameuse question ou plutôt se reproche personnel : pourquoi, ce jour-là, a-t-il décroché son téléphone ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi… tourne en boucle. Il est désormais lié à ce drame pour toujours, fiché comme terroriste. Il assiste au procès seul, isolé. Quand Virgnie le rencontre pour la première fois, il lui montre son carnet. Il prend des notes, il inscrit méticuleusement sur un carnet les témoignages des victimes. Il veut se souvenir, transmettre, pouvoir en parler à ses enfants et l’expliquer. Il a honte.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans cette « biographie » poignante, Virginie Lorentz offre un point de vue rare : celui d’un accusé des attentats du 13 Novembre. Elle donne la parole à un homme qui longe les murs lorsqu’il se déplace, un homme écrasé par la honte, qui reconnaît ses erreurs et s’excuse encore et encore. Un homme condamné à cinq ans de prison, dont trois avec sursis, pour avoir conduit Salah Abdeslam sur quelques hectomètres, sans comprendre ce qu’il se passait, sans mesurer l’ampleur de ce qu’on lui reprocherait ensuite. Au scénario, Anaële Hermans tisse avec finesse un récit à la fois intime et implacable. Elle navigue du présent au passé, des dialogues à la voix off, laissant émerger l’isolement d’Ali, son épuisement psychique, mais aussi l’histoire de cette amitié jusqu’au basculement. La structure narrative, précise et maîtrisée, nous fait ressentir l’étau qui se referme sur lui. Le dessin de David Cénou, aux contours noirs marqués et aux ombres lourdes, adopte un style quasi stéréotypé qui colle parfaitement au propos : un monde rigide, oppressant, sans échappatoire. Mais ses illustrations, parfois un peu robotiques, aux mouvements saccadés, manquent de fluidité, un choix graphique qui semble raide. Une lecture forte, dérangeante, qui donne voix à celui qu’on n’attendait pas, et qui interroge sans jamais excuser.