L'histoire :
En mai 1658, après des années de tournées théâtrales à travers la France, la troupe de « l’illustre théâtre » dirigée par Madeleine Béjart et Jean-Baptiste Pocquelin, dit Molière, revient dans sa ville d’origine, Rouen. Ils font route en péniche, plus pratique pour trimballer leur matériel conséquent. Et tandis qu’ils tuent le temps, tractés depuis le chemin de halage, ils espèrent que leur ami et illustre confrère Pierre Corneille a bien reçu leur courrier. Molière est certain qu’il fera bon accueil à leur projet de rejouer une de ses pièces, étant donné que jadis, Corneille n’était pas insensible aux charmes de Madeleine. Autre atout dans sa manche : il a recruté deux nouvelles jeunes actrices, toutes aussi craquantes : Marquise du Parc et Catherine de Brie. Si l’adoubement de Corneille pourrait donner un second souffle à la compagnie, en perte de vitesse, Molière peut toujours compter en attendant sur les largesses de son père, tapissier réputé et fortuné, pour renflouer les caisses. De son côté, Corneille a bien reçu le courrier de Molière. Il se souvient effectivement très bien de Madeleine… et aussi de Molière, auquel il reconnaît un petit talent, mais surtout pour le genre un peu vulgaire de la comédie. Cependant, il a arrêté d’écrire pour le théâtre, vexé par le flop de sa dernière tragédie. Il se consacre désormais à la traduction de textes en latin, chaperonné par l’évêque. Et il corrige inlassablement ses anciennes œuvres, laissant les affres de l’écriture à son fils Thomas…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bien que fantaisiste et étayée par rien du tout, c’est une thèse tout à fait intéressante – et parfaitement plausible – que propose ici Lukino. On vous la résume par cette supposition : et si les pièces du plus célèbre auteur de théâtre français – Molière ! – avaient été écrites par un autre que lui, et pas des moindres : Pierre Corneille ? A priori les biographies officielles, très partielles, permettent d’entretenir le doute et les éléments sont réunis pour broder cette version sans doute fictive de la littérature historique. D’une part, Molière devait avoir bien suffisamment de boulot pour la direction de sa troupe… D’autre part, Corneille ne parvenait plus à recueillir un succès aussi important que celui de son Cid. En outre, Corneille méprisait tant le registre de la comédie, qu'il aurait pu accepter de servir de nègre discret à son ami, se contentant du succès de celui-ci par procuration dans ce sous-genre… pourvu qu’il puisse légèrement batifoler avec ses actrices. L’équation est excitante et érudite, même si sa mise en bande séquentielle s’avère un peu longuette. Elle est en tout cas posée dans ce premier tome dessiné à l’aide du trait stylisé rapide et le lavis monochrome de Lukino… qui sera suivi d’un autre (à venir). Elle permet surtout de se plonger de manière crédible, tour à tour, dans la vie de bohème d’une troupe de théâtre du XVIIe siècle, et dans celle d’un dramaturge génial, mais torturé par une quête de perfection contrariée par celle du succès.
