L'histoire :
Le 25 août 1819, le peintre Théodore Géricault assiste dans un salon du Louvre au vernissage de sa dernière œuvre magistrale, Les naufragés de la Méduse. A l’exception de son confrère Eugène Delacroix, le public embourgeoisé est plutôt critique. On trouve la représentation morbide, triste… voire mal peinte ! Le commissaire fait alors entrer un authentique rescapé du naufrage, Jean-Baptiste Savigny, qui se lance devant le pupitre dans une exposition de la tragique mésaventure qu’il a vécue. Trois ans plus tôt, le 2 juillet 1816, la Méduse, l’un des 4 navires qui avait mis le cap depuis l’île d’Aix sur Dakar au Sénégal, vient de s’enliser sur un haut-fond sablonneux du banc d’Arguin (au large de l’actuelle Mauritanie). Impossible de s’en extraire… Trois jours plus tard, le capitaine Duroy de Chaumareys, qui n’a pas commandé en mer depuis 25 ans, décide de construire un grand radeau, afin d’y entasser un maximum de monde. 17 marins resteront à bord de la Méduse. Le radeau doit être tiré par les 6 uniques chaloupes, à bord desquelles montent les femmes, le capitaine, des officiers et les rameurs. Blanche, l’épouse d’Ambroise, insiste pour rester sur le radeau, avec son mari. L’ambiance est délétère entre les soldats, qui tentent de faire respecter les décisions, et les marins. Elle se détériorent encore plus lorsque le capitaine, qui s’aperçoit que le radeau n’avance pas, décide de couper les cordes qui le relient aux chaloupes. Le radeau est abandonné, tandis que les chaloupes mettent le cap vers les côtes, à 120km de là…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Evoquerait-on aujourd’hui l’histoire tragique du naufrage de la frégate la Méduse, survenu au large des côtes africaines deux semaines après la défaite de Waterloo, s’il n’y avait le célèbre et monumental tableau de Géricault (5 mètres sur 7, aujourd’hui exposé au Louvre) ? Pour sa réalisation, le peintre a exceptionnellement creusé son sujet, en frisant la fascination morbide. Il a rencontré des survivants, construit un modèle réduit très détaillé de la structure du radeau. Il a même été étudier la couleur de la peau des cadavres dans des morgues ! Et pourtant, lors de sa parution publique, la critique fut d’emblée controversée et très clivante. Thierry Soufflard (scénario et dialogues) et Gilles Cazaux (scénario et dessin) reviennent dans cet album sur le déroulé précis de cette dérive atroce qui a duré 2 semaines et qui a réduit le nombre de naufragés de 147 à 15. Ils focalisent leur histoire sur la seule femme à bord du radeau. S’il est authentique qu’il y eut une seule femme, une cantinière noire, ce n’est pas le cas de la bien-nommée Blanche dans cette BD, donc quelque peu arrangée avec l’Histoire. La longue séquence de dérive montre bien la démence engendrée par la panique et la rage d’avoir été abandonné. Les hommes s’entretuent, ils cèdent à l’anthropophagie, ils s’enivrent (il y a 3 fois plus de vin que d’eau douce à boire…), ils essuient des tempêtes. La spirale infernale de leur malheur est longue, répétitive et psychologiquement assez lourde à supporter… mais elle est authentique ! Le dessin encré et semi réaliste, en grand format (rare chez Marabulles !), a du caractère et de la persévérance. On peut lui reprocher quelques erreurs « de script » (pourquoi y a-t-il 10 chaloupes p.16 ?) et une palette d’expressions faciales réduite à la représentation de la souffrance… mais elle aussi fut authentique.
