L'histoire :
Dans les années vaguement 1950, Pierrot est simple facteur en ville. Il a une tronche abominable (strabisme, oreilles décollées, nez bossu, dents de travers, implantation de cheveux roux en vrac), mais en raison d’un sortilège, il se voit d’une grande beauté à chaque fois qu’il se regarde dans un miroir. Il ne comprend donc pas pourquoi il collectionne les râteaux avec les filles. De fait, il fantasme sur le mannequin en plastique de la vitrine de lingerie Lola. Ce jour-là, à l’issue de sa tournée, il se dépêche de retirer son uniforme et saute dans un tramway pour aller fêter l’anniversaire de son père, dans une lointaine banlieue. Il est alors pris d’un profond émoi, lorsqu’il croise le regard d’une jeune femme qui ressemble à s’y méprendre à sa Lola. Bien apprêtée avec une belle robe à fleurs, Mimi se rend à un rendez-vous au terminus de la ligne de tramway. Et elle espère que ce pervers hideux ne va pas la suivre jusqu’à l’adresse que lui a envoyée sa cliente. S’ils descendent bien tous deux au terminus, Pierrot fait halte à la pâtisserie pour acheter le dessert préféré de son père, un Paris-Brest. Mimi continue à pied jusqu’au point de rendez-vous fixé, la dernière maison juste avant la forêt, alias le manoir des Cormolan. Elle sonne à la porte et c’est un grand noir qui vient lui ouvrir. Gildas Paterne parle franglais, il porte un fez et une minerve, et il est au service d’Yvette, la mère de Pierrot, qui a commandé les services de Mimi pour faire une surprise à son mari colonel, un buste en gré…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Annoncé comme « le grand retour de Régis Loisel au dessin », cet album très grand format de 160 planches, qui lui a demandé 3 ans de boulot, aurait pu être découpé pour constituer une trilogie. Il semble surtout avoir été composé expressément pour les talents artistiques de Régis Loisel, s’emparant et recomposant un mégamix délirant de tous les thèmes avec lesquels l’artiste a frayé au cours de sa carrière. On retrouve en effet les relations familiales tarabiscotées et sentimentales de Magasin général, le fantastique de la Quête de l’oiseau du temps, la noirceur de Peter Pan, mais aussi l’érotisme de Troubles fêtes ! Cet aspect reste tempéré à la friponnerie (fesses et tétons) et quelques répliques potaches… mais il réserve tout de même cet album à un public de +16 ans. Cette histoire rocambolesque met en scène des personnages picaresques, dans le huis clôt d’un manoir halloweenesque au parc luxuriant : une sorcière manipulatrice qui tend des sortilèges ; son fils laid qui se trouve beau, faussement avocat mais vrai facteur ; une escort-girl trop prétentieuse pour s’en sortir indemne ; un majordome noir et élégant qui parle franglais ; une famille de gentils monstres improbables ; deux objets vivants, le buste du colonel et la bouée canard ; sans oublier des plantes carnivores, très pratiques. On découvre le contexte fantastique et foutraque, parfois grotesque, mis en place par Jean-Blaise Djian et Régis Loisel au fur et à mesure des pages, qui semblent également avoir été écrites en allant... De fait, il y a quelques longueurs, des morceaux de séquences superfétatoires, qui tournent autour du pot, et le sentiment que l’histoire part dans tous les sens. Un condensé aurait pu tenir en une cinquantaine de pages, en se montrant narrativement plus efficace. Mais certes, on serait alors passé à côté de très jolies cases, géniales d’équilibre et d’inventivité dans leurs compositions, et surtout déjantées à souhait.