L'histoire :
Orphelin de mère, le jeune Béril vit à longueur d’année avec son papa, berger et artisan fromager, et ses brebis, dans les estives. Il suit vaguement des cours par correspondance, son apprentissage du monde et de la vie est entièrement tourné vers les collines champêtres et les espèces qui y vivent. Ainsi, chaque jour, pendant que son papa s’occupe de la traite, de confectionner ses fromages ou de conduire ses ouailles à divers endroits de la montagne, lui rejoint ses deux amis les plus proches : Coltaire le lièvre et Anour la coccinelle. Il joue avec eux comme s’ils étaient des camarades humains de son âge. Il apporte aussi chaque jour un livre à Mireille, une chèvre qui, il en est persuadé, apprécie la lecture. Dans les faits, il essaie surtout d’apprendre à Mireille à ne pas boulotter les pages du livre. Son papa y tient : ils appartenaient tous à sa maman. Pourtant, les jours passent et Béril s’aperçoit que le temps est différent pour chacun : Anour est devenue une femelle reproductrice, alors même que Coltaire et lui-même sont restés jeunes. Bientôt, elle va mourir, car le cycle de vie d’une coccinelle est très court.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quel étrange récit d’apprentissage, à la fois naturaliste et doux-amer, foncièrement pessimiste. Sur plus de 180 pages, Adèle Maury raconte l’histoire d’un « enfant sauvage », mais différent de celui de Truffaut. Le seul rapport au monde de Béril est celui de la nature qu’il côtoie 365 jours sur 365, un univers d’estives campagnardes retiré des humains et de la vie moderne. Sa sociabilisation passe uniquement par les contacts avec son papa, ses chèvres, un lièvre et une coccinelle. Son papa essaie certes de former l’enfant, puis l’ado, aux rudiments de son métier artisanal, qui reste lui-même une frange très réduite de la civilisation humaine. Cette activité se limite à faire des fromages, faire des factures, et enfin, ouverture au monde ultime : livrer les fromages aux gens en solex ! De fait, Maury nous propose deux façons de voir le monde : à travers les yeux de Béril, Mireille, Coltaire et Anour sont anthropomorphes, avec des bras et des jambes, et ils discutent comme vous et moi. Et dans les faits – dès que le papa les regarde – ce sont une chèvre, un lièvre et une coccinelle. En dehors du récit initiatique, rappelant que l’homme est avant tout un animal social, il y a aussi une dimension relativiste sur la futilité de l’existence. L’angoisse du temps qui passe, certes différemment en fonction de sa nature, et qui in fine annihile la vie est aussi très pesante. Le récit prend son temps de refourguer le spleen et reste très léger, notamment sur le plan graphique, avec tout de même une insistance sur les lumières rasantes… évidemment crépusculaires.