L'histoire :
2015, Détroit, USA. Deux jeunes femmes, une blonde et une noire aux cheveux très courts, se posent dans un motel, à bord de leur vieille Ford Galaxy. Ces deux copines, dont on ne sait rien, semblent être parties dans un road trip dont elles seules connaissent la destination. Le destin de Summer, la blonde, fille de l'ex starlette du cinéma muet Gloria, vivant enfermée à l'étage de son immense villa, est lié à celui de Becky, serveuse, laissant tomber son job pour venir assister Gloria. Celle-ci est dessinatrice et grapheuse à ses heures perdues. Elle a fait connaissance avec Summer lors d'un de ses bombages. Dans un Détroit en pleine décrépitude, sous couvert d'un scandale sanitaire touchant entre autres personnellement le père de Becky, toutes deux se mettent en tête de remonter le fil de leur histoire familiale, jusqu'à Rome, petite bourgade américaine n'ayant d'antique et de charmant que le nom...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Des routes encadrées se croisant, dans un mix de techniques graphiques, douces ou rudes ; des interstices faisant office de motifs géométriques, des réminiscences fulgurantes de vieux films sur l'écran géant de pleines pages ; des impressions, furtives ; des raccords, abstraits, mais puissants de sensations, et beaux comme un tableau laissé là en pâture... Détroit Roma c'est tout cela, au cœur d'un récit maitrisé tel un film d'auteur, jonglant avec nos sens, nos émotions et nos propres références culturelles. Et puis il y a ces dessins au stylo, croquis posés là entre deux chapitres, comme une fenêtre ouverte sur le carnet de Becky. Elene Usdin nous avait déjà impressionné avec l'étrange René aux bois dormants en 2022, pour lequel elle avait reçu le Grand Prix de la critique ACBD. Ses magnifiques techniques plurielles lui permettent d'exposer des dessins dans les plus prestigieuses galerie de Paris, Bruxelles ou New York. C'est en partie lors d'une courte résidence à la villa Médicis de Rome, aux côtés de Joseph Boni Siran, artiste pluridisciplinaire : compositeur, scénariste, artiste visuel, multi instrumentiste et développeur sonore, que le groman graphique Détroit Roma est né. Sans aucun doute en partie aussi sur la base du précédent travail photographique d'Elene sur la ville de Détroit : We are Woodbridge (Wayne State University Press 2020). Il fallait bien la collaboration étroite de ces deux forces vives créatives pour venir à bout d'un projet aussi exigeant, apportant autant sur le fond que sur la forme. Le grand format oblong de 365 pages nous invitant avec éclat à un road trip autant esthétique que culturel. L'immersion se fait dans un univers aux mille facettes, noir et coloré à la fois, sombre d'histoires intimes réalistes, tout autant que riche de fragments de pellicules cinématographiques cultes du passé, ricochant en superposition sur le récit du duo, lui aussi bigarré. Ce Détroit Roma est un chef d'œuvre, que l'on déguste avec passion, émotion et grand respect ; une mise en abîme sublime que l'on rêverait de retrouver sur grand écran.
