L'histoire :
Le 9 novembre 1938, à Vienne, en Autriche, Benjamin retrouve Hakim. Benjamin est juif, Hakim est musulman. Ils se prennent dans les bras, ravis de se revoir après tant d’années. Benjamin présente son épouse Anna, qui est heureuse de rencontrer Hakim dont elle a souvent entendu parler. Les deux amis commencent à discuter autour d’un thé, évoquant des souvenirs communs. Retour au 15 septembre 1915, à Wadi al-Sakhra, au Yémen. Hakim et Benjamin, alors enfants, jouent ensemble dans les arbres. Hakim essaie de récupérer des fruits, une janbyia tombe, Benjamin la ramasse. Ils rentrent ensuite au village. Là-bas, on parle de la grande guerre qui dévaste l’Europe. Hakim rêve d’aller à Sana’a pour devenir apprenti chez les meilleurs calligraphes et passer ses journées à recopier le Coran. De son côté, Benjamin doit rentrer chez lui pour Shabbat. Pendant ce temps, Hakim garde les brebis et les moutons. Son maître lui annonce que les cours de calligraphie vont s’arrêter. Hakim est déçu. Son père souhaite qu’il apprenne un métier. Le maître pense qu’il serait capable de devenir un grand calligraphe, mais il estime qu’il vaut mieux qu’Hakim apprenne à lire et à écrire les lettres occidentales. En effet, de nombreux Anglais recherchent des jeunes capables de recopier leurs documents à Aden. Selon lui, le monde des calligraphes est en train de disparaître. Il confie un livre à Hakim et lui demande de tenter de le recopier. De son côté, Benjamin rentre chez lui. Sa mère l’accueille et lui dit qu’il faut préparer le Shabbat. Elle commence à éteindre les bougies.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Alors que la guerre fait rage dans le Moyen-Orient, théâtre de haines inutiles, Frères d'Orient apporte un souffle d'espoir bienvenu, fraternel, presque salvateur. BeneDì construit un récit habile et tendu, porté par une narration double qui entrelace deux époques, comme pour mieux éclairer les racines du conflit. En partant d’un simple moment de retrouvailles à Vienne, en 1938, l’autrice nous entraîne bien plus loin, dans les souvenirs enfouis de deux enfants qui ont grandi au Yémen au début du siècle, unis par une amitié sincère et indéfectible. Ce qui pourrait être un conte sur l’enfance devient peu à peu une allégorie politique et religieuse. En provoquant sans le vouloir la libération d’un « Djinn », BeneDì déclenche un enchaînement de peurs et de soupçons qui embrasent tout le village. Le démon imaginaire n’est qu’un révélateur : de rancunes larvées, de préjugés, d’intérêts divergents. Très vite, la méfiance s’installe entre communautés, nourrie par les hommes reclus et attisée par des forces aveugles. En tissant cette fable aux airs de récit initiatique, BeneDì fait résonner les tensions anciennes avec l’histoire contemporaine. La scène finale à Vienne agit comme une claque : là où Hakim parle d’hallucination collective, Benjamin, marqué par les pogroms en cours, crie au réel. Ce différend scelle la lucidité tragique du récit : les causes de la haine sont multiples, mais ses conséquences, elles, sont toujours concrètes. L’enfance ne protège pas. L’amitié ne suffit pas toujours. Pourtant, Frères d’Orient continue de croire qu’un lien tissé tôt peut résister longtemps. Le dessin de BeneDì est en noir et blanc, tout en finesse et en douceur. Le trait, souple et fluide, semble tracé avec une retenue qui tranche avec la gravité du propos. Ce contraste crée une tension silencieuse mais puissante : la tendresse du trait souligne la violence larvée du récit. Il y a dans chaque page une forme de pudeur graphique, de retenue expressive, qui donne une profondeur supplémentaire aux émotions des personnages. Un peu de fraternité est nécessaire par les temps qui courent.