L'histoire :
Une ville européenne, sans doute Paris. L’auteur est assis à une terrasse de café avec le dessinateur, tous les deux échangeant sur la situation passée de Reza, quelques années auparavant et la possibilité de l’aider à réaliser un album témoignage. Celui-ci, né en 1980, est en effet un immigré afghan, ayant transité par l’Iran pour se réfugier à Paris, pourchassé parce que faisant partie de la communauté Hazara, minoritaire. Le 5 mars 2010, il est convoqué à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, afin d’être interrogé sur son parcours. C’est par le biais de cette convocation et interrogatoire, que le scénariste déroule le fil de l’histoire de son ami et impose un rythme à son histoire. Car la question posée principale est : « Monsieur, d’après votre carte de séjour iranienne et votre carte d’identité afghane, vous êtes né à Bâmiyân, en Afghanistan. Alors pourquoi déclarez-vous être né à Mashhad, en Iran ? »
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C'est tout d'abord la couverture qui attire le regard. Un vert profond et des calligraphies de type persan évoquant Les mille et une nuits. Yann Damezin, illustrateur et auteur issu d'Emil Cohl à Lyon, a été remarqué avec le magnifique Majnoun et Leïli - Chants d'outre-tombe, paru en 2022 à la Boîte à Bulle, où il revisitait un conte oriental avec un style ciselé. Passionné entre autres de miniatures persanes, il s'attelle ici à nous immerger dans l'univers de l’auteur, en utilisant un graphisme en 2D, fait de calligraphies et de traits superbement colorés, tout en rondeurs et déformations. Il se met d'ailleurs en scène, au départ et à certains moment, pour mieux jouer à l'ingénu, posant des questions à son interlocuteur. Cette mise en abîme est ingénieuse, en ce qu'elle permet à tout un chacun de mieux comprendre la vie parfois si différente de Reza et de sa famille, musulmans parmi d’autres musulmans. Au-delà de la prouesse graphique absolument remarquable, nous plongeant dans la richesse de cette culture Hazara, on se prend à se réconforter d'être né en France, à mille lieux des difficultés vécues par ces populations brimées, étouffées, harcelées, tiraillés entre groupes religieux antagonistes et enjeux de pouvoirs. Nous ouvrant les yeux sur beaucoup de points complexes de ces conflits passés qui ont entaché les années 90 en Afghanistan et en Iran, Hazara blues se pose comme un brillant documentaire autobiographique, dont la sincérité, le recul et la poésie nous touchent de plein fouet. La fin, porteuse d'un certain espoir, émeut, mais laisse cela dit sceptique sur notre capacité d'humains à vivre ensemble. Un blues majeur faisant office de conte, à recommander dés l’entrée en collège.