L'histoire :
Marcel et Odette, jeunes mariés en 1962, reprennent la gérance d’un hôtel dans le Cantal au bord du lac et au pied du viaduc de Garabit. Les années passent et, dans ce cadre idyllique, la clientèle revient chaque année, créant un microcosme sympathique. Puis un enfant naît et Marcel se met à avoir des insomnies et des pensées lugubres. Et si Odette le trompait ? Dès lors, plus rien ne sera comme avant. Chaque pas, chaque sourire, chaque discussion, chaque visite dans le village proche devient prétexte à une jalousie et une scène systématique. Des visions démentes envahissent le jeune papa et des voix l’assaillent quasi quotidiennement. L’ambiance s’alourdit à l’hôtel, devenant irrespirable...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il faut peut-être avoir vu le très bon documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea, réalisé en 2009, consacré à ce tournage désastreux de 1964, pour bien percevoir l'excellent travail accompli ici par Nicolas Badout. Parti du matériel original : scripts, scénario, essais, notes d'Henri-Georges Clouzot... l'auteur parvient en effet à réaliser l'impensable : aboutir une œuvre, ou plutôt son adaptation jumelle, dans un autre média. Car ici, les plans, les décors, les costumes, sont respectés, les visages des acteurs d'époque étant aussi repris pour mettre en scène et donner vie à ces personnages embarqués dans un cauchemar éveillé ; l'enfer pour au moins l'un d'entre eux. Nicolas Badout, dont c'est le premier roman graphique, utilise un trait encré dont certains aspects – en dehors de la tonalité fantastique – tels les contours au pinceau, peuvent évoquer Mezzo, si ce n'est l'utilisation de trames dans la plupart des cases. Le noir et blanc prédomine et les gueules sont légèrement difformes, comme pour mieux appuyer l'aspect irréel de cette déchéance psychique. La couleur étant, elle, introduite avec des gammes oscillant entre bleu, vert et magenta, rappelant celles utilisées dans les effets spéciaux du film, pour illustrer les délires. Les répétitions maladives des pensées de Marcel étant aussi ici reprises habilement. On appréciera tout autant l'apparition du réalisateur lui-même, entre autre à l’occasion d’une scène de projection de prises aux alentours de l'hôtel, réservée aux résidents. Ce moment qui apparait dans le film agit ici comme une mise en abîme à sa propre fiction (le film dans le film de la BD). Une séquence clé particulièrement savoureuse. Cerise sur le gâteau : la fin est enfin présentée ! Nicolas Badout a brillamment réussi son pari. Reste à savoir quelle suite il donnera à son entrée dans le milieu de la bande dessinée.