L'histoire :
Dans le contre-jour du salon, deux petites filles sont attablées. Leur maman, qui leur ressemble beaucoup, met son doigt sur sa bouche pour leur signifier de ne pas faire de bruit. Elles se cachent sous la nappe de la table. La maman regarde par le judas de la porte d'entrée. C'est la bigote, une vieille femme malade du quartier, qui lui apporte un poupon. Elle lui tend la poupée, en lui souhaitant qu'il lui vienne en aide : il représente l'enfant Jésus. Une fois la bigote partie, la maman indique à ses filles de sortir de leur cachette et leur montre la poupée. Ici, c'est une tradition de faire passer l'enfant Jésus de maison en maison dans le quartier, et c'est un honneur de le recevoir. Alors les petites filles n'auront pas le droit d'y toucher. Ce petit interlude se termine et les filles reprennent leur leçon avec leur maman. Elles étaient en train de parler des insectes. La plus petite, Rosita, dit qu'ils sont très moches... Mais quand elle réfléchit un peu, elle aime bien les papillons, surtout les plus colorés. Sa grande sœur aussi, mais elle sait qu'il en existe des plus sombres et des bizarres, comme les mites ou les papillons de nuit. Elles observent ces papillons dans un livre, font leur petit commentaire, voient des motifs apparaître sur leurs ailes. Leur mère fait une drôle de tête et indique que leur beauté est différente, qu'ils s'adaptent à leurs conditions de vie... Puis elle laisse ses enfants pour aller préparer le repas, avec les maigres victuailles qu'il reste dans sa cuisine.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après Le songe du Corbeau, l'espagnol Alberto Martin Curto revient avec ce Saturnia intrigant, étonnant, parfois un peu dérangeant, mais très prenant ! Nous découvrons une famille composée d'une mère et de ses deux filles. Elles vivent à Madrid, dans les années 1930. Nous comprenons rapidement que cette femme a eu des enfants hors mariage et qu'elle est célibataire. Or cela est très mal vu par la société. Par amour pour ses filles et afin qu'elles ne lui soient pas enlevées, elle garde le secret et ne les laisse jamais sortir de l'appartement. Chaque soir, les enfants voient ainsi leur mère sortir, vêtue d'un élégant châle qui ressemble à des ailes de papillon : où va-t-elle ? L'auteur crée une ambiance relevant du fantastique. Des événements déroutants se produisent, des présences sombres rôdent près des fillettes... Le lecteur ressent le danger. Cette mère pourra-t-elle continuer à cacher à tout le monde qu'elle a des filles ? Toute une réflexion se met en place sur la vie privée, mais aussi sur la curiosité mal placée de la société et de l'entourage. Et puis pour échapper à un quotidien morose et difficile, la maman met en place des stratégies pour développer l'imaginaire de ses filles, en leur permettant de s'évader de cette famille-prison par le simple pouvoir de la pensée : elle fait référence à des contes, à des personnages imaginaires... Les illustrations d'Alberto Martin Curto sont très réussies. Réalisées à l'aquarelle, elles apportent un aspect brumeux et fascinant, qui colle parfaitement au récit. Un très bel album, le récit d'une métamorphose, mais aussi de l'amour d'une mère pour ses enfants, prête à tout pour les protéger, malgré un environnement politique et social qui les rejette.