Rorbuer

L'histoire :

Au large des côtes de l’Océan Arctique, des pêcheurs rapportent des tonnes de poissons dans leurs filets. Les mouettes s’agglutinent en surface pour picorer cette prise. Une vague un peu trop forte emporte l’un des marins à la baille. Ses compères lui jettent une bouée. Mais il semble qu’il soit aspiré par les courants et les bancs de poisson. Il coule. Les autres marins rentrent au port et déchargent leur cargaison. A quai, la famille du disparu est éplorée. Mais étrangement, l’âme de ce pêcheur est là. Il se voit parmi eux, en tenue civile. Ses mains brassent les caisses de poisson. Il se confectionne une sorte d’immense cape avec les algues, aidé en cela par des compagnons virtuels. Ainsi vêtu, il précède la procession pédestre qui quitte le port et rejoint la grande halle centrale où se déroulent les réunions importantes et cérémonies rituelles. En marge de ce moment ésotérique, les pêcheurs procèdent au vidage et au séchage des poissons…

Ce qu'on en pense sur la planète BD :

Avec cet album ovniesque inspiré des folktales (contes folkloriques transmis oralement depuis des générations) des pays scandinaves, Aurélie Wilmet s’est additionnée de sacrées contraintes graphiques, narratives et contextuelles. Primo, le propos général n’est pas vraiment le plus accessible au lectorat grand-public : bienvenue à la découverte de l’ésotérisme dans le milieu contemporain des pêcheurs des pays du grand nord. Deuxio, la technique graphique des feutres et crayons de couleur, appliqués à des paysages, des montagnes de poissons ou des ciels chargés, ne laisse aucun vide dans l’espace intérieur des cases. Elle aboutit par définition à une saturation visuelle sans faille. Ajoutez à cela des cases empilées sans la moindre gouttière blanche de respiration. La confusion optique semble être un parti-pris en contre-pied des canons narratifs. Tertio, l’album alterne 4 chapitres à la fois indépendants les uns des autres et décontextualisés (a priori), uniquement reliés entre eux par le propos général. Quatro, à l’exception des titres des chapitres, la narration est 100% muette. Ces titres, qui ressemblent tous à des noms d’étagères Ikea®, sont enfin explicités sur le rabat à la toute fin de l’album… qu’on est alors bien forcé de relire pour essayer de comprendre ce qu’a voulu nous raconter Aurélie Wilmet. Car oui, le gros défaut de toutes ces contraintes empilées, est qu’on n’y comprend pas grand-chose. La libre interprétation est souvent laissée au lecteur, dans le milieu du shamanisme piscicole norvégien. Respirez un coup. Bonne chance.

Ce qu'un autre en pense sur la planète BD :

Rorbuer est ce qu'on appelle un ovni. Ni livre d'art malgré son aspect très esthétique, ni vraiment bande-dessinée au sens grand public du terme, malgré qu’une narration soit bien là, nous tendant ses petits bras rachitiques au travers de larges dessins aux aplats de crayons de couleur et de marqueur Copic hyper colorés. Tons verdâtre, jaune inquiétant ou tons orangés, et du noir, pour faire bonne mesure. Nos yeux se calent sur ces petits tableaux hypnotiques, tentant de se frayer un passage à travers eux afin de comprendre l'indicible, mais qu'est-ce que l'indicible pour Aurélia Wilmet ? Cette autrice belge née en 1991 a profité d'un voyage en Norvège lors de sa dernière année de Master en 2017 afin de s'immerger dans les Folktales nordiques, par le biais de livres tels l'Edda poétique de Snorri Sturluson, the Norse Myths : a Guide to the Gods and Heroes par Carolyne Larrington, ou Norwegian Folk Tales par Asbjornsen and Moe. Ce qui lui a fait imaginer ce récit fortement chamanique. Le projet a bénéficié d'une bourse « Découverte pour jeunes auteurs » de la région Wallonie Bruxelles, permettant aussi à Aurélia, passionnée de légendes, de rites et de cérémonies, en lien avec la mer, de réaliser un autre voyage au Canada. Dans ce premier ouvrage, précédemment paru chez le même éditeur en 2020 et ayant obtenu le prix « Première œuvre de bande dessinée » de la fédération Wallonie Bruxelles, elle tente de nous happer dans les mystères du grand Nord et de ses faces les plus ésotériques, en lien avec la nature. Les âmes passent par la chair du poisson, le loup rode et semble servir de gardien ou de guide, tandis que le sang de petits animaux de compagnie est répandu sous un arbre, lequel sera abattu par les mêmes hommes exécuteurs, à la lueur des aurores boréales. Cela afin de construire le drakkar qui emmènera la dépouille du défunt, vers le Takeland, la terre de brouillard. A moins que... Rien n'est sûr dans ce livre, et l'on se prend à plusieurs reprises à contempler les superbes planches colorées et sombres, dans un récit muet ne nous aidant pas vraiment à comprendre les détails. Dès lors, cette incursion « initiatique » se solde avant tout par une forte impression, une sorte d'hallucination fascinante. Beau, étrange, et angoissant.