L'histoire :
Un voyou surnommé Jones s'apprête à sortir d'une impasse après avoir commis son larcin : un magnétoscope Toshiba qu'il vient de voler. Il n'est pas mécontent. Il se réjouit même de la bêtise des ces familles qui ont à peine de quoi nourrir leurs gosses mais se payent un scope. Un méchant sourire se dessine sur ses lèvres quand il pense aux 100 billets qu'il va sûrement en tirer. Mais aussitôt, le sourire s'efface car un type de deux mètres de haut lui barre la route. Surpris par sa silhouette et aussi son allure singulière due à un étrange maquillage, Jones lâche le magnétoscope, qui finit fracassé à ses pieds. Et ça, c'est du pognon de perdu. Donc, dans l'esprit de Jones, le gars qui se tient devant lui, impassible, va abouler la thune ou ça va mal se passer. Le cran d'arrêt sort mais le mec bizarre sourit face à cette menace. Dommage, le voilà planté, mais il ne bronche pas d'un cil, au contraire, il continue à sourire et sort le couteau de son épaule, pour le redonner poliment. La seule chose que veut ce mec qui ne doit pas être humain, c'est que Jones prévienne les gars de sa bande qu'il va venir les trouver...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Débutée en 1981, The Crow est devenue une série culte. Le succès commercial alors que l'éditeur est indépendant, de grands dessinateurs qui collaborent par la suite avec James O'Barr, une adaptation pour la télé et le film, dont le tournage est marqué par la mort accidentelle de Brandon Lee, tout cela explique la notoriété mondiale de ce personnage de comics. Triste, gothique, romantique et violent, ce sont les adjectifs qui collent à sa peau diaphane. Mais The Crow, c'est avant tout une tragédie moderne. Une histoire de vengeance qui place la mort et la souffrance au centre de tout le récit. Alors certes, l'esthétique punk du personnage et des dessins en noir et blanc de O'Barr a trouvé un parfait écho dans les années de sa création, mais si le public a été touché, c'est certainement parce que l'auteur y a mis beaucoup de lui-même. Cette œuvre est même pour lui une thérapie cathartique. En effet, O'Barr n'a pas eu la vie facile : une mère qui a de nombreuses fois navigué entre prison et séjours en psychiatrie, un placement en famille adoptive qui ne fonctionne pas et c'est à 17 ans qu'il s'installe avec sa copine, qui lui amène enfin l'amour. Mais peu de temps après, il vit un drame qui bouleversera sa vie à jamais : son amoureuse est percutée par un conducteur ivre et elle perd la vie. O'Barr rentre alors dans le dur. Pour fuir la vie civile, il s'engage dans les Marines mais quitte le célèbre corps deux ans après, résolu à buter le chauffard. Quand il commence à le chercher, il apprend qu'il est mort... Privé de sa raison de vivre, il se défonce à l'héro, mais dessine aussi... et crée l'histoire de The Crow. Il crée le personnage d'Eric, un garçon assassiné avec sa copine par des junkies, mais qu'un corbeau place sous son funeste pouvoir, faisant de lui un ange de la mort. Dès les premières planches, le portrait de son anti-héros est marquant : il rappelle le sourire du Joker (on peut imaginer que le thème de la vengeance du Batman a aussi inspiré O'Barr) mais la finesse de ses traits et son maquillage le rapprochent un peu de l'élégance de David Bowie... O'Barr donne aussi immédiatement le ton de sa série : la ville est aussi sale qu'une catin défoncée et les voyous que The Crow est venu tous tuer les uns après les autres sont ses enfants en perdition. Avec cette édition « définitive » car elle contient des planches que l'auteur avait dû couper compte tenu du format des mensuels, des séquences qu'il avait imaginées mais pas pu inclure pour diverses raisons, un chapitre supplémentaire et du rédactionnel, les fans seront ravis. Maintenant, si on met tout le contexte de côté et qu'on se concentre uniquement sur les qualités artistiques de ces 270 pages, on en ressort avec un sentiment mitigé. D'abord le dessin, qui oscille entre un style un peu gauche (que l'auteur perfectionne à force de travail) et des planches au graphisme beaucoup plus classique, qui mettent en scène le couple heureux. Ce découpage sert le manichéisme de l’œuvre : après les passages gore (accrochez-vous il y a de la cervelle sur les murs et dans le caniveau), l’idylle paradisiaque d'un gentil couple. Après le glauque, le sublime dont le héros est privé... Cela fonctionne, mais c'est assez caricatural. D'autre part, le baroud vengeur du Crow tire aussi un peu trop en longueur. Une descente parmi les loubards, ça va, une autre passe encore mais le massacre final est gros comme la maison qu'il finit par incendier dans sa folie meurtrière. Ce climax s'inscrit donc dans une mécanique narrative un peu trop répétitive. Alors oui, The Crow c'est culte, parce qu'il est aussi sans concession, mais finalement c'est une série B. Une série B réussie, inspirée et qui transpire une forme d’authenticité, celle de la noirceur de l'âme de son créateur, mais certainement pas non plus un chef d’œuvre. C'est une œuvre clivante car elle fait appel à la violence des sentiments qui amène celle des actes et on peut au moins lui reconnaître cette qualité : elle n'a rien de mièvre. C'est certes une œuvre au romantisme désespéré mais elle cède un peu à la facilité, dans ce sens où elle recourt à la violence, pour illustrer celle des sentiments qui animent la victime qu'est Eric, l'homme transformé en monstre vengeur...