interview Bande dessinée

A.Dan

©Bamboo édition 2012

Le dessinateur vosgien Daniel Alexandre est surtout connu via son pseudo original : A.Dan (sans Eve). Après des études d’éthologie (l’étude comportementale des animaux) et un premier ouvrage d’heroïc-fantasy qui restera sans suite (Jo-Bo), il se fait une petite notoriété en dessinant Tahia El Djazaïr pour Laurent Galandon (une histoire de la guerre d’Algérie, en diptyque). Puis de poursuivre aux côtés de ce scénariste avec Pour un peu de bonheur et de poursuivre les collaborations dans le registre de la BD engagée avec Maximilien Le Roy (La vie Sublime, au Lombard fin 2012). Découvrez un auteur volontaire et curieux, qui aime ce qui fait sens et mérite d’être plus largement connu…

Réalisée en lien avec l'album Pour un peu de bonheur T1
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
2 mai 2012

Bonjour A.Dan, pour faire connaissance avec les lecteurs qui ne te connaissent pas, peux-tu nous dire qui tu es ?
A.Dan : A.DAN n'est ni plus ni moins que le A de Alexandre (mon nom) et Dan le diminutif de Daniel (mon prénom). 42 piges, toulousain de cœur expatrié dans une bien belle région : les Vosges Haute-Saonoises.

Quel est ton parcours et comment en es-tu venu à faire de la BD ? Notre petit doigt nous a dit que tu pouvais faire une toute autre carrière... laquelle et pourquoi avoir tranché en faveur de la BD ?
A.Dan : Je suis illustrateur (« artiste auteur », c'est ce qu'il y a sur mes papiers administratif ...) depuis 2002 officiellement. J'ai publié ma première BD en 2008. En effet, je suis autodidacte dans le milieu mais c'est – comme beaucoup – un désir qui date depuis que je sais tenir un crayon. Mais comme mes parents (de conception scolaire classique) voulaient que je « réussisse », et puisque j'étais un bon élève, en tant que Toulousain, il fallait que je fasse de longues études (pourquoi pas dans l'aérospatiale, vu que j'avais toujours le nez dans les étoiles... haha). J'ai donc fait mes looongues études, mais dans la Nature, à suivre les animaux sauvages (éthologie). J'aimais bien, d'ailleurs, mais le dessin ne me quittait pas et pas de ronds dans la Recherche (INRA, Fac., CNRS, etc.)... Donc petits boulots. L'occasion me fut donnée de dessiner et gagner des pépètes (tiens, tiens ?) quand des institutions comme l'ONF ou autres me passèrent commande sur commande. Je passais alors pro dans l'espoir de réaliser un vieux rêve : dessiner et à terme faire de la BD.

Pourquoi avoir choisi « A.Dan » pour pseudo ?
A.Dan : Initialement je voulais Alex mais c'était déjà pris par un oncle qui, à l'époque de Métal Hurlant avait publié des choses aux côtés de sieur Moebius. Alexandre, par expérience, on confond toujours avec un prénom, alors j'ai signé A.DAN qui peut se prononcer Adam. Mon Eve restera secrète mais ça n'a aucun rapport: je suis agnostique.

Ta première BD, Jo-Bo, était résolument heroïc-fantasiste et montrait une griffe semi-réaliste... et elle n’était pas mal du tout. Pourquoi ne pas avoir poursuivi dans cette voie ? Qu’est-il arrivé à la série, a priori abandonnée ? Qu’est-ce qui t’a poussé à œuvrer dans un style de dessin plus réaliste ? Ta rencontre avec Laurent Galandon ?
A.Dan : Ces questions sont liées. En fait, le hasard (comme toujours), m'a fait rencontrer Benjamin Leduc (scénariste de Jo-Bo) et nous avons publié des « courtes » dans Lanfeust Mag'. L'idée nous fut proposée de tenter un album. Mais en fin de compte, Soleil n'en a pas voulu. Benjamin a lancé sa bouteille à la mer et ce sont les Éditions Joker qui ont répondu banco. Mais pour une première BD (que je ne peux plus ré-ouvrir d'ailleurs) ce fut un flop monumental, tant dans les ventes que dans sa construction graphique. Et surtout, une expérience avec des gens qui se prétendent éditeurs. Bref, à oublier. Laurent Galandon a vu mes dessins sur le net, via des forums ou des zines : malgré mon penchant pour le fantastique, il voulait que je fasse un essai sur une histoire sur la guerre d’Algérie (Tahya El-Djazaïr), dont le scénar' était validé par Bamboo / Grand-Angle. J'ai d'abord refusé : troquer mes dragons pour des jeeps ne me mettait pas à l'aise... mais il m'a envoyé le scénario complet… Et comme les écrits de Laurent me plaisaient dans leur engagement et la façon qu'il a de dépeindre les personnages, j'ai pris ça comme un challenge. Et puisque je « prétends » vivre du dessin et que je suis de ceux qui pensent qu'on doit essayer de tout dessiner... Après, chose qui n'arrive pas toujours entre dessinateur et scénariste, on a développé un bon feeling et on est devenu amis. Donc...
Quant au réalisme, je pense m'en détacher de plus en plus. Faire des « gueules », par exemple, me plaît de plus en plus : ce qui pour moi passe par le fait de faire un peu moins réaliste. J'ai tenté le coup, par exemple, dans notre dernier album, Pour un Peu de Bonheur.

Dans l’avenir as-tu envie de t’essayer à d’autres styles de dessin, d’autres registres du 9ème art ?
A.Dan : Je suis du genre à ne pas trop avoir confiance en moi. Ce qui veut dire que j'écoute ce que me conseillent les gens du métier, techniquement j'entends. Mais avec le temps, je prends de l'assurance. Donc par exemple, j'utilise de plus en plus le pinceau, je noircis, j'épaissis, je suis un vrai fan du noir et blanc et j'apprécie le travail nerveux que le pinceau procure chez d'autres. J'aimerais m'en rapprocher. Question « genre », j'avoue être tenté par un retour aux sources : je n'aime pas le terme heroïc-fantasy, mais j'aimerais assez revenir à des histoires saupoudrées d'imaginaire.

© A.DanAprès Tahia El Djazaïr, qui a connu un joli succès critique et public, Pour un peu de bonheur est ton second diptyque en compagnie de Laurent Galandon. Est-ce le début d’une grande fidélité ? Comment travaillez-vous ensemble ? Quels sont les points forts et les points d’équilibre dans votre collaboration ?
A.Dan : On s'entend bien avec Laurent et on refera des choses ensemble. Le décalage qui existe entre un scénariste qui – pour vivre – soit « tomber » plusieurs histoires par an, et un dessinateur qui – techniquement – aura du mal à faire plus de deux projets par an, nous amène à faire des choses séparément, évidement. Mais le désir de faire conjointement est là. Certaines chroniques et critiques sur Pour un peu de Bonheur disent d'ailleurs que le duo est réussi. J'ose croire qu'ils voient juste.

Plus généralement, cherches-tu à faire des BD qui ont « du fond » ?
A.Dan : Oui et non. Je me rends compte que j'ai vraiment deux intérêts dans la vie : le merveilleux, celui qui permet une évasion des plus libres et des plus totales, et les choses qui font sens. Laurent s'intéresse à ces dernières, ça me va... pour l'instant. Mais les deux ne sont pas forcément incompatibles : je dis souvent que l'HF n'est plus que divertissant, que les messages sont minces et les personnages sans trop d'épaisseur. A quand un Galandon à l'écriture d'un scénar' fantastique ? Il va hurler quand il va lire ça ! Mais Certains se disent que c'est pas si mal de dessiner des jeeps, pourquoi d'autres ne tenteraient pas de dépeindre des univers peuplés de dragons ? Hum ? Ce qui compte, me semble-t-il, du moins c'est ce que j'aime en tant que lecteur, c'est des histoires solides. Des histoires fantastiques comme celles que tenta Loisel ou Bourgeon (Les Compagnons du Crépuscule) sont des exemples pour moi.

Dans Pour un peu de bonheur, notre chroniqueur a fait un parallèle entre le masque que porte le héros et Le fantôme de l’opéra... Il a vu juste ?
A.Dan : Honnêtement, non. Je comprends le lien qu'il a pu faire, ce n'est pas idiot, mais franchement, nous n'y avons pas pensé, ni avant ni après. Ceci dit, le masque cache des choses, aux autres plus qu'au héros. De même que les sentiments qui ont – du coup – une « fenêtre » très réduite pour s'exprimer, comme pourraient l'être les trous des yeux d'un masque... celui du fantôme de l'Opéra par exemple.

© A.DanUn dossier annexe didactique sur les gueules cassées de la première guerre accompagne le premier tome... Ce diptyque t’a demandé beaucoup de documentation ? Qu’est-ce que t’a apporté un tel projet, en plus du plaisir de faire une BD ?
A.Dan : Je tape en touche : le dossier a été conçu par le personnel du Val-de-Grâce de l'Hôpital militaire et son musée. Cependant, oui au niveau doc. Même si je ne suis pas un perfectionniste à la Tardi, il fallait faire un effort, puisqu’on allait irrémédiablement nous caser dans l'Historique. Beaucoup de recherches ? ... non. Google® est notre ami. Mais comme j'aime assez le contact, des rencontres étaient nécessaires : aller au Val-de-Grâce, au Musée du Train à Mulhouse, revoir mes Pyrénées, etc...

Sur ton blog, tu avoues avoir du mal à confier la colorisation à d’autres auteurs... Souci d’égo ou perfectionnisme ?
A.Dan : Les deux mon colonel : je sais, ce n'est pas bien. Albertine Ralenti, qui fit les colos de Tahya El-Djazaïr, est une vrai pro et elle a fait du bon boulot. Mais quand je dessine, j'ai déjà des idées très arrêtées sur les couleurs qui pourraient accompagner la chose. Pour le coup, j'ai donc mis mon égo de côté et elle avait un champ assez libre, à raison d'ailleurs. Mais je voulais qu'on puisse me donner ma chance pour m'exprimer à l'occasion de Pour un peu de Bonheur : je ne sais si c'est réussi, mais j'y ai pris plaisir.

Ton prochain one-shot, La vie sublime, qui sortira fin août 2012 au Lombard, aux côtés de Maximilien Le Roy, semble encore plus engagé... Tu peux nous en parler ?
A.Dan : Max est un mec fascinant surtout. Jeune, beau, il sent le sable chaud... Hum. Sérieusement, nos discussions avec lui et Laurent sur le « sens de la vie » et sur la politique sont passionnantes. Ce fut d'abord ça qui créa un fil entre nous. Ensuite, il m’a parlé de la vie sublime, une biographie de Thoreau, dont je ne connaissais que quelques écrits et ses dires au travers de films comme Le Cercle des Poètes Disparus. Je ne suis pas un dévoreur de livres comme Max ou Laurent, mais l'idée, une fois de plus, de s'engager, n'est pas pour me déplaire... surtout à l'époque actuelle. Maximilien cherchait plusieurs dessinateurs pour plusieurs projets de la même veine. Et je savais aussi qu'un tel projet me replongerait dans la Nature, des paysages, et une philosophie de vie et de pensée que j'affectionne. Bref, ça se tentait...
Sinon, un pitch sur le principe du bouquin, son contenu : Maximilien l'a articulé un peu comme son livre, Nietzsche » : quelques tranches de vie de Thoreau, philosophe et naturaliste de la fin XIX7me dans le nord des USA et abolitionniste féroce. C'est d'abord un homme qui incita à la désobéissance civile (un thème d'actualité, par ailleurs) et qui interroge sur le sens de la vie. Une vie qu'il a vue « sublime »... et inspira des gens comme Gandhi, Marx et d'autres penseurs plus connus.

© A.DanEs-tu anti-militariste ? Quel regard portes-tu sur notre société actuelle ?
A.Dan : Mon beau-père était para et pas loin d'être communiste. Il y en a plus qu'on croit... Je fus antimilitariste, je le suis moins : je ne suis plus antimilitaire, par exemple. J'ai un regard sur la société empreint de tristesse, mais aussi d'espoir. Les gens qui gouvernent et décident sont déconnectés des réalités quotidiennes et profondément communautaristes envers les leurs, le tout avec deux principes : vite et pourvu que ça rapporte. Des principes qui obligent à ne pas voir plus loin que le bout de leur nez. Triste donc. Mais je place mon espoir dans les gens qui ne sont pas si cons que ça : quoiqu'on en dise, il faudra bien que les gens s'indignent, vraiment, d'une manière ou d'une autre, par le vote, la violence ou pas. Et je crois que les gens en sont capables. Ceci dit, ils sont encore trop frileux (moi y compris), trop attachés à nos portables ou nos écrans plats (je n'ai ni l'un ni l'autre)... et l'essence n'est pas encore assez chère. La preuve : on roule toujours et on n’est pas prêt d'avoir des voitures électriques à des prix abordables.

Quels sont tes autres projets ?
A.Dan : Pour l'instant, finir La Vie Sublime. Le story-board complet du tome 2 de Pour un Peu de Bonheur est achevé, donc j'embraye aussitôt sur les planches. Après on verra.

N’as-tu jamais eu envie de travailler en tant qu’auteur complet, de raconter ta propre histoire ?
A.Dan : Et bien oui, évidement. Si personne ne va vers moi il va bien valoir que je m'attèle moi-même à la tâche du fantaisiste... Mais je concède que si trouver des idées (même bonnes) n'est pas si difficile. Par contre, les articuler et faire prendre la sauce est une autre paire de manches. De même, établir des dialogues riches et percutants n'est pas évident : je le vois en côtoyant Laurent, ou d'autres scénaristes. Là aussi, j'ai du boulot !

As-tu des envies particulières de collaborations avec d’autres auteurs ?
A.Dan : Oui : Laurent ! Il y a des gens que j'aime bien aussi, comme Olivier Jouvray. On verra bien également.

Quelles sont tes influences, en matière de BD ou d’art en général ? (ciné, musique…)
A.Dan : Je suis très éclectique, en fait : je regarde un peu tout, même si mes influences sont ancrées chez Giraud, Boucq, Lauffray, etc. Les peintres flamands et les préraphaélites, Klimt ou Mucha. La musique que j'écoute en permanence, c'est plutôt au pif : quand c'est sur Deezer®, je pioche dans les genres dits « Electro », « Rock », « Bleus » et « Alternatif ». Le cinoche : je manque cruellement de temps. Je citerai Tim Burton, les bons vieux westerns, Blade Runer, Excalibur, Jeremiah Johnson, Tarentino ou Smoke... éclectique j'ai dit.

Si tu avais le pouvoir cosmique de rentrer dans le crâne d’un autre auteur (afin d’en comprendre les ficelles, le génie), chez qui irais-tu faire un petit tour ? Et pour y trouver quoi ?
A.Dan : Un seul ne suffirait pas : la disparition de Moebius engendra des hommages vidéo, écrits et autres qui permettaient de rentrer un peu plus dans la tête du génie. C'est rassurant, d'ailleurs, de voir que son talent n'est pas dû à tel ou tel outil de travail... Quant à être dans sa tête, je crois sincèrement qu'on n'y trouve pas de potion magique et de poudre de fée qu'il suffirait de boire ou de balancer sur une feuille de papier pour y voir l'incroyable. Je crois plus à l'image de la popote, de la marmite où, avec le temps, on rajoute des ingrédients, et qu'il faut touiller longtemps, s'acharner à observer, et surtout consacrer beaucoup de temps à être à proximité, bref à bosser.

Merci Daniel !

© A.Dan