interview Comics

Bruno Redondo

©Urban Comics édition 2016

Lorsque l'on parle de bande dessinée ou de comics adapté d'un film, d'une série télé ou d'un jeu vidéo, il est rare de tomber sur une vraie réussite. Pourtant, les miracles existent et c'est le cas d'Injustice, une série qui reprend les éléments issus d'un succès vidéoludique pour tisser l'une des histoires les plus nerveuses et imprévisibles que DC Comics ait pu publier depuis un moment. Prévue à l'origine pour une sortie uniquement en web-comics, le titre s'est avéré si populaire qu'une édition papier a vite été mise sur le marché. Parmi les artistes qui travaillent d'arrache-pied sur la série, nous avons découvert un certain Bruno Redondo, un dessinateur espagnol dont le style dynamique et soigné fait des merveilles et participe à la réussite de l'ensemble. Nous avons jugé intéressant d'évoquer avec cet auteur prometteur son parcours ainsi que le succès rencontré par Injustice.

Réalisée en lien avec les albums Injustice - Les Dieux sont parmi nous T4, Injustice - Les Dieux sont parmi nous T5, Injustice - Les Dieux sont parmi nous T3, Injustice - Les Dieux sont parmi nous T2, Injustice - Les Dieux sont parmi nous T1
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
6 janvier 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.

Bonjour Bruno, peux-tu te présenter et nous dire comment tu es arrivé dans les comics ?
Bruno Redondo : Je m'appelle Bruno Redondo et j'ai commencé dans ce métier en faisant tous les petits boulots pourris requérant l'usage d'un stylo afin de pouvoir payer mon loyer. Puis, j'ai rencontré le grand Scott Peterson, de Wildstorm, qui m'a confié mon premier projet comics aux USA, Push. Et depuis, je ne me suis plus arrêté et c'était il y a 6 ans, aujourd'hui.

Bruno Redondo Injustice Quelles ont été tes influences ?
Bruno Redondo : Il y en a beaucoup... Au début, il y a eu Akira Toriyama ainsi que d'autres grands artistes japonais. Avant eux, je m'intéressais à des gens comme Neal Adams, Alan Davis, George Perez, Bryan Hitch, Kevin Maguire... J'avais aussi pour habitude d'étudier des artistes classiques comme Leonard De Vinci, Michael-Ange et aussi les Tortues Ninjas. Aujourd'hui, et par chance, je suis ami avec des artistes géniaux comme Sergio Sandoval, Jorge Jimenez ou encore Javi Fernandez (pour ne citer que, il y en a beaucoup d'autres) et j'ai pour habitude d'étudier leur travail et j'en apprends beaucoup.

Comment décrirais-tu ton style ?
Bruno Redondo : J'aime aller vers un style synthétique mais je pense que, dans le fond, je suis un artiste plutôt classique/réaliste.

Souvent, les dessinateurs espagnols tentent leur carrière aux USA ou en France. Pourquoi as-tu choisi le marché américain ?
Bruno Redondo : À un moment, j'étais convaincu que ma place était dans le marché européen. Puis, j'ai passé quelques entretiens et certains des plus grands éditeurs français m'ont envoyé sur le marché américain avec un bon coup de pied au cul... Ahahahaha... Non, je plaisante (un peu).

Étais-tu un grand fan de comics au préalable et si oui, quels sont les titres cultes pour toi ?
Bruno Redondo : V For Vendetta (ou à peu près tout ce qu'Alan Moore a écrit), Grendel Tales: Devils and Deaths, Batman: The Dark Knight, New Frontier... Je pourrais continuer comme ça indéfiniment.

La première fois que j'ai pu te voir au sommaire d'un titre, c'est sur Push, la version comics du film sortie chez Wildstorm. Quel regard portes-tu sur cette expérience ?
Bruno Redondo : C'était un moment fabuleux mais en même temps, aussi, très difficile. J'étais confronté pour la première fois de ma vie à l'enfer des deadlines américaines. Il m'a fallu apprendre beaucoup, très vite, mais j'étais là où je souhaitais me trouver.

Bruno Redondo Injustice Nous t'avons vu ensuite sur des récits inédits de Human Target. L'équipe créative était prometteuse puisqu'en plus de toi, on retrouvait le légendaire Len Wein et le sympathique Sergio Sandoval. Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ?
Bruno Redondo : Travailler sur cette série, pour moi, c'était comme de voyager de par le monde tout en restant assis dans mon lieu de travail. Il m'a fallu étudier une ville différente pour chaque épisode et, donc, les visiter de manière virtuelle. J'ai beaucoup travaillé en amont de chaque script. En plus, c'était génial de partager l'affiche avec tant de légendes du comic et ce dès ma deuxième série.

Tu as ensuite travaillé sur Batman: Arkham Unhinged. Cette série, inédite en France, était publiée en numérique directement. L'expérience est assez différente de la création sur papier. A t-il été difficile pour toi de passer sur ce type de format ?
Bruno Redondo : Non, il me fallait surtout penser chaque planche à la fois en deux parties mais aussi comme un ensemble. Pour cela, j'ai fini par travailler avec des cases faisant la largeur de l'écran.

En 2012, tu as aussi illustré une saga en 4 épisodes de Star Wars et plus particulièrement sur Darth Maul. Es-tu fan des films ?
Bruno Redondo : Je le suis. Je suis impatient de pouvoir voir le dernier opus, cette semaine. J'espère qu'il va être réussi. Ça a été une expérience géniale et j'aime beaucoup ce que Marvel fait avec l'univers Star Wars en ce moment. Donc oui, j'aimerais vraiment pouvoir y retourner, un jour.

Ta saga s'est déroulée dans l'univers non 'canonique' développé par Dark Horse. Penses-tu que Disney/Marvel a eu raison d'éclipser tout le travail dantesque réalisé durant une vingtaine d'année ?
Bruno Redondo : Marvel a de nouveau rendu l'univers Star Wars sexy et ça, je crois que c'est une bonne chose pour tout le monde. En plus, les autres super comics sont encore là, personne ne les a fait disparaître. Le multivers, mec ;)

Bruno Redondo Injustice Passons maintenant à Injustice. Comment es-tu arrivé sur l'un des comics les plus étonnants sortis chez DC Comics ces dernières années ? Comment expliques-tu l'immense succès du titre ?
Bruno Redondo : Tom me voulait sur ce coup et a demandé à ce que je prenne part au projet. Ce dont je lui suis reconnaissant.

Le format original de parution, via le web, implique forcément un découpage et des compositions différentes pour un artiste. Qu'as-tu retenu de cet exercice ?
Bruno Redondo : Principalement, l'incroyable approche que Tom a choisie pour ces personnages. Il a fait quelque chose de génial d'Harley, de Green Arrow et de tout les autres. On entre de plain pied dans cet univers et ce dès le premier plan. On est collé aux personnages et on entre ensuite dans cette immense histoire. Je travaille avec énormément de cases larges, de la largeur de l'écran. Cela me permet de dissimuler la césure du milieu de page.

Participes-tu à la refonte des planches lors de l'adaptation au format papier ? Est-ce que tu anticipes certaines choses ou met en place des astuces pour faciliter cette bascule ?
Bruno Redondo : Je commence par travailler la planche sur papier. Je fais ça afin de m'assurer de ne rien laisser d'important au milieu de la page qui risquerait donc de se retrouver coupé, comme un cou, par exemple.

Injustice est un univers où tout est possible, y compris que des personnages majeurs meurent. Est-ce que cela rend la tâche plus palpitante pour le dessinateur ?
Bruno Redondo : D'une certaine façon, oui. Mais ça veut surtout dire que je prends le risque de tomber amoureux d'un personnage, tout ça pour finir par lui faire mes adieux au chapitre suivant [rires].

Bruno Redondo Injustice Injustice parait à un rythme très élevé, nécessitant que d'autres artistes travaillent avec toi dessus. Comment gérez-vous les différentes approches visuelles pour que l'ensemble soit homogène ?
Bruno Redondo : On échange beaucoup les uns avec les autres de manière à être sûr de tous prendre la même direction, d'harmoniser le design des personnages, des arrières-plans.

Parmi les nombreux héros que tu dois dessiner, lequel est ton préféré ? Et au contraire, celui que tu détestes ?
Bruno Redondo : J'adore Harley Quinn et, en ce qui concerne ceux que j'aime moins, je dirais qu'il est parfois difficile de ré-employer le design établi dans le jeu vidéo, notamment à cause du nombre de lignes et des pièces d'armures.

Injustice a été écrit au départ par Tom Taylor puis à présent par Brian Buccellato. Quelles sont les différences en terme d'écriture selon toi entre les deux ? Brian te laisse t-il plus de libertés ?
Bruno Redondo : Brian était dans une mauvaise passe mais il a fini par s'approprier Injustice, sans pour autant oublier ce que Tom avait fait. On travaille déjà sur l'année 5 et notre premier chapitre ensemble est très, très drôle.

As-tu le temps de travailler sur d'autres projets ?
Bruno Redondo : Non, j'ai à peine eu le temps d'envisager de faire quelque chose pour une émission de télé espagnole mais il aurait fallu que je prenne des congés, tout ça pour travailler encore plus dur donc non, ça ne s'est pas fait. Je n'ai pas l'habitude d'employer mon temps libre à travailler sur d'autres projets.

Sur le site, nous avons une question métaphysique. Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter et pourquoi faire ?
Bruno Redondo : Si tu m'avais posé la question il y a deux semaines, je t'aurais répondu Charlie Sheen mais aujourd'hui, je dirais David Bowie ou Frank Sinatra.

Merci Bruno.


Bruno Redondo Injustice