interview Bande dessinée

Christophe Chabouté

©Vents d'Ouest édition 2008

Au regard des albums de Christophe Chabouté, les lecteurs s’imaginent peut être l’artiste hirsute, vivant dans une grotte et aux traits de yéti… Il n’en est rien : nous l’avons rencontré et avons découvert un auteur gentil et modeste, qui s’est prêté à un exercice qu’il déteste : l’interview ! Il a même su se montrer disponible pour compléter la rencontre depuis lors, de quelques réponses concernant son dernier chef d’œuvre : Tout seul. Une nouvelle fois, Chabouté nous épate en alliant un scénario passionnant et émouvant à des encrages N&B impeccables. Un futur grand ? Non, il l’est déjà !

Réalisée en lien avec l'album Tout seul
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
1 octobre 2008

Bonjour Christophe ! Peux-tu rapidement nous dire comment tu es arrivé à faire de la BD ?
Christophe Chabouté : J'ai eu un parcours assez classique, j'ai été aux Beaux Arts de Mulhouse, je suis venu faire un concours à Angoulême. J'en suis parti puisque ça ne me convenait pas. Ensuite, je suis allé à Strasbourg aux Arts Déco mais je n'ai pas pu y rester car cela coûtait assez cher. Je me suis donc lancé en freelance dans la pub pendant 15 ans. Les deux dernières années, j'alternais mon travail dans la pub et la BD.

Comment vois-tu l'évolution de ton style tout au long de ta carrière ?
CC : Je ne sais pas trop... J'ai eu la chance de faire les albums dont j'avais envie, de les sortir sous la forme que je voulais. J'essaie de faire chaque bouquin avec sincérité, d'abord vis à vis de moi-même. Je crois que si je commence à me mentir en premier, le lecteur le ressentira. Je mets donc mes tripes dans ce que je fais. Dans ce métier, il faut garder la tête froide. Les retours de lecteur sont bons, les papiers des journalistes sont bons, on s’intéresse plus à ce que je fais, mais la bataille est avec la feuille blanche, pas avec la notoriété. Sinon, il y a certainement une évolution dans mon dessin et dans plein de choses. Et heureusement, car si au bout de 10 ans, cela n'a pas changé cela serait triste. Je pense qu'un lecteur serait plus apte à répondre à cette question car je ne pense pas avoir le recul nécessaire.

Copyright Christophe Chabouté 2008 L'une de tes qualités est la gestion des dialogues qui ne sont présents que dans leur stricte nécessité...
CC : Je ne vois pas l'intérêt de surenchérir avec des phrases quand l'image raconte tout d'elle même. C'est ma manière de travailler.

Sur Construire un feu, pourquoi ne pas avoir gardé ce silence jusqu'au bout ?
CC : C'est une très bonne question, car j'y ai pensé au début. Je pensais le faire sans texte, le problème est qu'il ne se passe rien, il n'y a pas de ressorts scénaristiques qui poussent le lecteur à tourner les pages, il fallait que je mette un minimum en place pour que l'on sache un peu qui était ce héros sans que l'on sache vraiment. Il fallait comprendre pourquoi il était là et où il va. C'est la première fois où je mets une voix off dans un bouquin, dans la nouvelle de Jack London c'est une voix neutre, je préférais mettre une voix qui parle au gars parce que la porte est ouverte pour le lecteur. Cela peut être la mort, le froid, le pays, le chien. C'est assez ouvert pour que le lecteur se l'approprie et l'interprète à sa manière. J'aurais pu le faire sans texte mais cela aurait été bancal. Déjà que c'est une adaptation casse-gueule tant il ne se passe rien, il n'y quasiment pas de paysages, c'est tout blanc, il n'y a qu'un personnage, un chien, le scénario tient en une phrase, il n'y a pas les ingrédients habituels que l'on trouve dans une BD. C'est tellement puissant de simplicité. Mon but était que le lecteur ait froid aux mains en le lisant. Et puis je suis un garçon qui ne parle pas beaucoup, je suis assez timide en règles générales, j'aime bien aller à l'essentiel.

Construire un feu, Henri désiré Landru, ce sont des titres inspirés de faits réels ou de romans. Adapter une chose existante à ta vision est une chose qui te plaît ?
CC : Je ne sais pas si je referais une adaptation. Ce sera peut être la seule que je ferais. J'ai flashé sur cette nouvelle et je ne me suis même pas posé la question de l'adaptation, je me suis juste dit que je devais la mettre en images parce que cela me parlait vraiment. On part toujours d'une base, d'une atmosphère, d'une émotion pour écrire un scénario. Là où j'estime avoir réussi mon coup, c'est quand il reste quelque chose au lecteur une fois que le livre est refermé. C'est le cas avec Construire un feu ou Henri Désiré Landru, j'avais envie que le lecteur se dise qu'il ne doit pas avaler tout cru ce qu'on lui donne. Je ne promène pas le lecteur de la même façon, c'est plus facile de faire accepter Henri désiré Landru aux lecteurs. D'un côté, sur Construire un feu, je n'avais pas envie d'être là où on aurait pu m'attendre, faire un Jack l'éventreur par exemple ou un autre serial killer. Maintenant, je n'adapterais plus de Jack London, je travaille tout seul et c'est déjà tellement difficile de ne pas tourner en rond.

Copyright Christophe Chabouté 2008

Cela a-t-il été compliqué d'avoir les droits d'adaptation de la nouvelle de Jack London ?
CC : La nouvelle en langue anglaise est dans le domaine public, il y a juste les traductions qui sont protégées mais je ne m'en sers pas. Dans une adaptation, le plus important c'est de retrouver l'âme de l'auteur.

Comment t’est-il venu l’idée de faire un récit de Tout seul ?
CC : Il y a dix ans, on m’a posé la question : quel livre emmènerais-tu sur une île déserte ? J’y ai répondu aujourd’hui en 376 pages. Un auteur comme moi qui dessine tout seul, qui écrit tout seul et qui passe ses journées à bosser tout seul... je suis seul en face de et avec mes feuilles blanches.

Jours d'été - Copyright Christophe Chabouté 2008Le choix du titre semblait tout indiqué alors…
CC : Evidemment, il n’y avait pas d’autres choix de titre possible. Il n’y avait pas de doutes là dessus.

Le choix du noir et blanc est une chose qui te semblait obligatoire pour ce type de récit ?
CC : L’histoire demandait à être en noir et blanc et pas en couleurs. Je ne voyais pas l’intérêt de mettre de la couleur, elle n’apportait rien de plus. C’était une évidence par rapport au récit.

Comment t’es-tu dit que ton récit devait s’étaler sur autant de pages ?
CC : Au départ, je m’étais donné entre 400 et 500 pages. Je m’étais dit que j’allais laisser aller les choses comme elles venaient. J’avais une structure de base mais je ne me posais aucune contrainte. Avec ce genre de bouquin et la façon dont apparaît le dictionnaire, il y aurait matière à faire deux milles pages.

Comment as-tu présenté le projet à ton éditeur ?
CC : Il m’a dit banco tout de suite. J’ai cette chance avec Vents d’Ouest, c’est qu’ils me font vraiment confiance. Il y a des contraintes techniques aussi, c’est clair que si c’était pour faire un livre de 400 pages mais qui coûte une fortune, ce n’était pas la peine. Pour le format, j’ai tendance à adapter mon livre à l’histoire que je veux raconter. Je voulais quelque chose d’assez intimiste et qui tienne bien dans la main, petit, que l’on puisse prendre contre soi et le format s’y prêtait bien. Je ne voulais pas un grand livre. Je voulais un livre que l’on puisse lire au lit ou emmener dans un sac. Je voulais vraiment faire un roman graphique.

Ex libris - Copyright Christophe Chabouté 2008

Tu t’attardes à nouveau beaucoup sur les décors, tu t’es documenté en visitant des phares ?
CC : J’ai lu des bouquins sur les phares pour voir comment était la vie quotidienne. Cela ne m’a pas apporté grand-chose pour le récit mais m’a plutôt aidé pour me plonger dans l’atmosphère. Pour ce qui est de la représentation du phare, je me suis inspiré du phare de Chassiron, sur l’île d’Oléron, mais celui-ci est sur terre et pas sur une île. J’ai donc fait une petite maquette de phare pour pouvoir tourner autour et pour avoir une bonne base de travail. Je me suis un peu imprégné de l’atmosphère des vagues et de la mer, ce qui est plutôt facile puisque j’habite sur l’île d’Oléron, et au bout de l’île, il y a le phare. Je n’avais pas trop loin à chercher. Ce titre me trotte dans la tête depuis longtemps et je n’avais pas envie de me jeter à l’eau sans que cela soit bien en place. Les bouffées d’iode et de vagues aidant, cela m’a permis de mettre tout ça en place et de le concrétiser.

Combien de temps te faut-il pour réaliser un album ?
CC : Environ un an. Sur Henri désiré Landru, je dirais deux ans car j'ai pas mal bouquiné sur la période et le personnage.

Copyright Christophe Chabouté 2008Comment crées-tu tes bandes dessinées ?
CC : J'ai tendance à crayonner un bouquin en bloc, construire l'ensemble des pages, je laisse reposer quinze jours puis j'attaque l'encrage. Je le fais relire à ma femme qui est très objective. Si elle aime ou pas une partie, je vois où ça peut pécher, mais c'est assez rare. Je ne me lance quasiment jamais dans une histoire si elle n'est pas ficelée en entier. J'utilise beaucoup de documentations, de photos. Internet est une mine d'informations pour ça. Je n'utilise pas l'informatique dans la création, par contre.

Pour créer, tu pars d'un dessin ou d'un scénario préalablement écrit ?
CC : Pour La bête, j'avais envie de dessiner de la neige et des arbres. Tu mets ça de côté et puis tu y penses quand même. Au bout d'un moment, à force de cumuler toutes les envies et les idées, ça ressort. Avant, j'avais des carnets qui traînaient partout. Maintenant, je mets tout dans l'ordi. J'ai plein de pistes et de directions, j'attends que mes idées mûrissent et je reviens dessus plus tard pour voir ce que je peux en faire.

La chute - Copyright Christophe Chabouté 2008 Cela ne te fait pas peur de ne pas avoir le temps de le faire ?
CC : Si. J'aimerais bien avoir le temps de faire un truc tranquillement, mais il faut bien manger. Je mets en forme un scénario lorsque j'encre les planches du bouquin précédent. Pendant quatre ou cinq mois, je vais avoir l'esprit libre pour le faire.

Tes derniers titres ont tous reçu un accueil dithyrambique, ça fait quel effet ?
CC : Très plaisir évidemment, il ne manquerait plus que je râle ! (rires) C'est flatteur, je suis content d'avoir des prix mais pour moi le plus important c'est lorsqu'un lecteur vient te voir et te dit avoir trouvé excellent ton bouquin. On bosse pour les lecteurs ! Le plus important c'est d'être sincère, ce qui n'empêche pas des fois de se planter, mais bon...

Quelles sont tes influences ?
CC : Tout m'influence. Plus beaucoup la BD, car je n'en lis plus, mais pas mal de films. Je suis assez bluffé par ce que fait David Fincher. Je suis bon client pour plein de choses, j'aime bien Vargas en littérature, ce que faisait Signac. Je peux quand même trouver mon bonheur dans Mon curé chez les nudistes si un angle de vue me plaît. (rires)

Copyright Christophe Chabouté 2008 Est-ce qu'il y a tout de même quelques lectures récentes que tu conseillerais ?
CC : Le maître de Balantray et Le Dernier modèle de Levallois.

Si tu avais une gomme magique pour corriger un détail ou une partie d'un de tes albums, t'en servirais-tu ?
CC : Je ne relis jamais mes bouquins parce que sinon je fais une syncope, j'aurais envie de tout redessiner. Je les feuillette pour voir s'il n'y a pas des coquilles, mais je ne les lis pas.

Si tu pouvais visiter le crâne d'un autre auteur de BD afin de voir comment il travaille ou même apprendre de lui, qui irais-tu visiter ?
CC : J'aimerais bien faire un tour dans la tête de Fincher, de Siniac, d'Alberto Brescia, d’Hugo Pratt etc... La liste serait trop longue.

Y a-t-il une question que l'on ne t'a jamais posée et à laquelle tu meurs d'envie de répondre ?
CC : J’aime pas les questions...

Merci beaucoup Christophe !

Golem - Copyright Christophe Chabouté 2008