interview Comics

Christopher Sebela

©Vestron édition 2019

Mine de rien, le scénariste Christopher Sebela commence à se faire un petit nom au pays de l’Oncle Sam dans la mesure où on le trouve à la manœuvre de pas mal de comic books chez les grands éditeurs comme Marvel, DC, Image ou Dynamite avec plusieurs nomination aux Eisner Award à la clé ! À l’occasion de la sortie française de Kiss Vampirella chez Vestron, nous avons posé quelques questions à l’ami Christopher histoire d’en savoir plus sur la gestation de ce comic book et sur sa façon de travailler dans une industrie où chaque minute compte…

Réalisée en lien avec l'album Kiss Vampirella
Lieu de l'interview : Paris

interview menée
par
5 octobre 2019

Bonjour Christopher ! Kiss Vampirella, l’une de vos toutes dernières créations a été éditée il y a quelques semaines via Dynamite Entertainment et Vestron en France. Quel a été le retour du lectorat ?
Christopher Sebela : Apparemment, la plupart des gens semble avoir aimé ce comic book ! Tous les retours que j’ai eus jusqu’ici ont été plutôt positifs. Je pense que les lecteurs ont adhéré à ce titre car personne ne s’attendait à une telle rencontre entre les personnages de Kiss et celui de Vampirella. Ceci étant, je dois avouer qu’une poignée de fans m’a reproché de ne pas avoir utilisé le costume habituel de Vampirella dans mon récit. Mais rien de bien méchant...

Copyright Christopher Sebela


Les univers de Kiss et Vampirella sont aux antipodes l’un de l’autre. Comment vous y êtes-vous pris pour les faire se côtoyer ?
CS : Je crois que c’est l’éditeur qui m’a suggéré de mettre en place cette histoire au début des années 1970. À moins que l’idée ne soit venue de moi… je ne sais plus trop. Bref, j’avais le concept de base sur la rencontre entre Kiss et Vampirella, puis, j’ai réfléchi pendant toute une nuit à quelques idées pour les faire évoluer ensemble. Et vu que c’est mon nom qui est mis en avant en tant que scénariste et que ça le restera pendant des années et des années, j’ai fait en sorte d’avoir des idées intéressantes et qui sortiraient de l’ordinaire ! J’ai donc envoyé un premier jet de mon pitch à Dynamite pour avoir leur retour. À ce stade, je me suis dit que si mes idées étaient refusées alors j’abandonnerai le projet. Mais au final, mon script de base a été accepté et j’ai donc dû me creuser la tête pour faire en sorte que cette histoire originale marche bien.

Kiss Vampirella est assez intéressant dans la mesure où c’est la première fois que les personnages de Kiss ne sont pas représentés en héros avec des super pouvoirs. Ici, ce sont juste des musiciens maquillés… et qui sont même un peu lâches. Avez-vous dû vous battre pour imposer cette idée ?
CS : Je n’ai pas eu à me battre sur quoi que ce soit dans ce comic book. Tout le processus créatif s’est parfaitement bien déroulé, sans aucun problème particulier. De mon côté, j’en avais un peu marre de voir les personnages de Kiss dépeints comme des héros puissants avec des super pouvoirs dans de très nombreuses histoires. J’ai donc fait en sorte de casser cette image-là pour en faire de simples musiciens, des superstars en devenir. Dans ce récit, ils sont loin de chez eux pour enregistrer leur second album (Hotter Than Hell - Ndr) et découvrent un monde dont ils ne soupçonnaient pas l’existence mais dont Vampirella en connait tous les arcanes. On les voit donc réagir à des choses qui les dépassent complètement avant qu’ils unissent leur force avec celles de Vampirella.

Combien de temps cela a-t-il pris pour mettre en place un scénario aussi dingue qui voit des démons s’emparer de l’industrie du disque afin de remplacer le rock par la pop et pour y intégrer des messages subliminaux destructeurs ?
CS : En fait, l’écriture du script a pris moins de temps que prévu. À partir du moment où j’ai reçu un mail de l’éditeur pour me demander de plancher sur une idée de scénario avec Kiss et Vampirella, les choses sont allées très vite. Comme je l’ai dit plus haut, j’ai élaboré un premier jet du script avec quelques idées en vrac et tout était terminé en quelques jours. En temps normal, ça me prend des semaines pour mettre en place des intrigues ainsi que pour définir les contours d’une histoire. Cette fois, j’ai mis de côté mes habitudes de travail pour me concentrer vers une écriture plus spontanée en ayant en tête le début et la fin du comics. Tout s’est fait très naturellement et rapidement, en fin de compte.


Gene Simmons et Paul Stanley sont connus pour être très attentifs à l’image de Kiss et à la trademark du groupe. Est-ce qu’ils ont lu ce comic book ? Ont-ils donné leur aval ? Avez-vous eu des instructions particulières ?
CS : Je dois avouer que je ne sais pas s’ils ont lu ce comic book ou non. J’espère que oui… Quoiqu’il en soit la simple idée de me dire que les gars de Kiss aient pu lire mon histoire me paraît d’ores et déjà démente ! En ce qui concerne le scénario, je pense qu’il a été validé par Kiss sinon il n’aurait pas pu voir le jour… Pour ma part, je n’ai pas d’instructions particulières et on ne m’a pas demandé non plus de modifier une ligne de mon script. Je savais ce qui était attendu de moi en tant que scénariste et j’ai fait en sorte de respecter le cadre fixé par l’éditeur.

L’artiste Annapaola Martello a fait du très bon boulot dans Kiss Vampirella avec une approche graphique directe à la manière d’un vidéo clip. Est-ce qu’elle a eu les pleins pouvoirs pour ses illustrations ou lui avez-vous donné des indications strictes pour ses dessins ?
Copyright Christopher SebelaCS : Moi, mon rôle c’est d’écrire un script complet avec quelques descriptions des scènes et de me concentrer sur les dialogues. Annapaola a donc eu une totale carte blanche pour illustrer mon script de la manière qui lui convenait le mieux.

En tant que scénariste mais aussi en tant que designer graphique professionnel, comment travaillez-vous avec les artistes ? Êtes-vous quelqu’un intrusif qui aime contrôler le côté graphique du rendu de votre histoire ou avez-vous tendance à laisser l’artiste faire comme il le souhaite ?
CS : Quand je travaille sur un projet, je dis toujours aux artistes avec lesquels je collabore que mon script donne des indications générales sur la direction à prendre dans 90% du temps. Pour les 10% restants, je suis beaucoup plus spécifique. Cependant, je fais en sorte de dire que "j’ai besoin de ce dessin-là car c’est important pour la suite de l’histoire" plutôt que "tu dois faire ce dessin parce que je te le demande". Je suis un scénariste qui respecte le travail de l’artiste. J’ai conscience que c’est lui, et lui seul, qui fait en sorte de mettre mon script en images... C’est pourquoi il faut travailler en bonne intelligence avec les illustrateurs. Un artiste heureux fait de meilleurs comic books !

En ce qui concerne votre collaboration avec Annapaola, aviez-vous connaissance de son travail avant de bosser avec elle ?
CS : Oui, j’avais déjà jeté un œil sur son travail au travers de ses fill-in chez Marvel et j’avais adoré. Son style est très organique, très fluide avec énormément de mouvement dans ses dessins même lorsque ces derniers ne sont pas des scènes d’action. C’est Dynamite qui nous a fait travailler ensemble et force est de constater qu’ils ont fait le bon choix. Je suis super content d’avoir pu travailler avec elle. Je pense qu’elle a énormément de talent et qu’elle ira très loin !

Vous vivez tous les deux sur des continents différents. Je suppose que votre collaboration s’est effectuée exclusivement par le biais d’Internet ? .
CS : Oui. C’est assez commun dans ce métier. La plupart des personnes avec qui j’ai collaboré vit dans d’autres villes ou pays que moi. De ce fait, Internet est la façon la plus facile et la plus rapide de communiquer. On n’est donc pas obligé d’interrompre le sommeil de quelqu’un ou son dîner juste pour lui donner une information !

Durant votre carrière, vous avez travaillé pour de nombreux éditeurs comme DC, Marvel, Image, Dark Horse, IDW et bien d’autres. Après tant d’années, comment voyez-vous l’évolution de l’industrie des comics ?
Copyright Christopher SebelaCS : Pour être honnête, ce n’est pas évident de se positionner là-dessus. Il y a eu pas mal de changements drastiques dans cette industrie et tout le monde semble vouloir tout repenser pour partir du bon pied. Pour ma part, je pense que le comic book est devenu un media incontournable depuis quelques temps avec des offres en format papier ou bien numérique. Mais l’industrie des comics est un autre animal que le média lui-même… En effet, si les comic books évoluent très vite et gagnent en qualité, l’industrie elle, s’adapte beaucoup moins vite si bien que le futur ne s’annonce pas très radieux…

Vous avez été nominé plusieurs fois pour les Eisner awards. Qu’est-ce qu’on ressent quand on apprend sa nomination ?
CS : J’adore ça. C’est très gratifiant d’être nominé par un parterre de professionnels dont la réputation n’est plus à faire. Et ça l’est d’autant plus quand on sait qu’il y a de nombreux excellents comic books qui sortent chaque année. Le fait d’avoir été nominé plusieurs fois m’a permis de faire taire la petite voix dans ma tête qui me disait que je n’étais pas un bon scénariste… Remporter un Eisner award serait évidemment génial, mais je suis heureux lorsqu’il m’arrive d’être nominé. Pour moi, c’est une véritable reconnaissance de mon travail de tous les jours.


Que peut-on attendre de vous dans un futur plus ou moins proche ?
CS : La série ongoing Crowded va sortir d’ici peu chez Image Comics, puis le mois prochain ce sera au tour de Test d’être édité via Vault Comics et ce, quelques semaines avant la sortie de Trustfall chez Aftershock. J’ai aussi quelques projets creator-owned sous le coude mais ils sont encore secrets pour l’instant !

Vous êtes toujours en train de travailler sur votre roman ?
CS : C’est génial que vous m’interrogiez là-dessus parce que je me suis aussi posé la même question il y a un petit mois ! J’ai du mal à avancer sur ce roman car j’ai l’impression que personne ne s’y intéresse. Dans ma tête, il me semble être tout le temps en train d’y travailler dessus… mais il est vrai que j’ai du mal à trouver le temps de me poser devant mon écran pour mettre ce projet sur pied !

Un message pour les lecteurs de Planete BD ?
CS : Oui ! Gardez en tête ces deux règles : ne soyez pas quelqu’un de mauvais et ne faites pas perdre du temps aux gens. Sinon, je vous aime tous.

Si vous aviez le pouvoir de visiter l’esprit d’un autre artiste. Qui choisiriez-vous ?
CS : Charles Burns. Même si c’est un délire digne du film Dans la tête de John Malkovich, j’aimerais bien savoir comment ça se passe dans la tête Charles Burns et ce qu’il fait chaque jour qui passe. Mais d’un autre côté, je pense que ça ne doit pas être si différent de tout le monde et ça serait peut-être même décevant…

Merci Christopher