interview Bande dessinée

Damien

©Delcourt édition 2008

Damien et Jean-Pierre Pécau n’en finisse plus de collaborer ensemble ! Après Les fées noires (série achevée) et Arcane majeur (toujours en cours), tous deux ont trouvés le temps de lancer un projet ambitieux : adapter en BD le livre de Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir. Le résultat étant franchement réussi, nous avons pu revenir avec le dessinateur sur le début de sa carrière, mais aussi sur ses projets à venir, et cela dans le cadre idyllique de la librairie Bédélire à Tours. Une rencontre détendue, se soldant par une petite mousse !

Réalisée en lien avec l'album Une brève histoire de l'avenir T1
Lieu de l'interview : Librairie Bédélire (Tours)

interview menée
par
8 décembre 2008

Pour faire connaissance, peux-tu te présenter brièvement, ton parcours, comment en es tu arrivé à faire de la bande dessinée ?
Damien : J'ai lu de la BD depuis que je suis tout petit et bêtement j'ai suivi ma passion. J'ai suivi une orientation pour faire des études dans le dessin, ce qui m'amène à devenir maquettiste en agence de publicité. J'y ai travaillé pendant un an puis j'ai arrêté pour revenir vers mes premières amours, la BD. Je suis donc parti à Bruxelles pendant une année pour y suivre des cours à Saint Luc, j’y suis resté 6 mois, je n’y ai pas trouvé ce que je cherchais. Puis retour en France, pour intégrer les Beaux Arts d'Angoulême, et là idem, mais au moins j’avais un statut d’étudiant…

Arcane Majeur est ta seconde série avec Jean-Pierre Pécau après Les fées noires, comment l'as-tu rencontré ?
Damien : En fait, j'avais réalisé un titre qui s'appelle La Meute chez le Cycliste, et qui faisait office de book de présentation, en noir et blanc, pour les « gros » éditeurs. En le présentant chez Delcourt, on m'a dit que c'était génial mais que ce serait mieux que je revienne avec un scénariste (rires). J'ai eu la chance que Jean-Pierre travaille avec Def (Zentak et Little Blade) qui était aussi aux Beaux Arts. Sachant que je cherchais un scénariste et que Jean-Pierre avait plusieurs histoires sous le coude, nous avons été rapprochés par son intermédiaire, merci Def.

Comment se passe votre collaboration, te laisse-t-il une marge de manœuvre ?
Damien : En fait, c'est moi qui fais tout (rires) ! Je travaille avec Jean-Pierre depuis pas mal de temps et j’avoue être toujours surpris par son univers et sa productivité, on peut dire qu’il maîtrise, le bonhomme. J’apprécie beaucoup la liberté qu’il laisse à ses dessinateurs. Enfin qu’il me laisse, je ne suis pas certain qu’il travaille de la même façon avec tout son « cheptel ». La marge de manœuvre se situe surtout au niveau du story-board, dans notre collaboration je diraiss que Jean-Pierre s’occupe du phrasé de Pandora et moi de la gestuelle. Je veux dire par là que si j’ai envie de rajouter un strip ou un petit détail, qui nourrit le personnage, cela ne pose pas de problème. Enfin, quand j’arrive à trouver une petite place, ce qui devient de plus en plus difficile, parce qu’il en a des trucs à dire le Jean-Pierre !

© Guy Delcourt Productions – Pécau - DamienComment travailles-tu sur ta série phare, jusqu’à présent, Arcane majeur ?
Damien : Jean-Pierre m'envoie la moitié du scénario d'un bloc, ce qui fait une vingtaine de pages. Ensuite, j'entame le storyboard par séquence de cinq ou six pages, que je renvoie à Jean-Pierre et à Fred Blanchard, le directeur de collection de Série B. J’attaque le crayonné avant leur validation, et quand il y a des corrections, je n'en tiens pas compte ! Donc on peut dire que la collaboration se passe très bien (rires) ! Non sans rire, ce qui est intéressant avec Fred, c'est qu'il amène un regard extérieur, en tant que dessinateur ou scénariste, nous sommes plongés dans la construction de l’album pendant un certain nombres de mois, et il peut arriver qu’on oublie une information, tellement elle est évidente pour nous. Et puis tout de même, c’est monsieur Blanchard quand même ! Quand au storyboard, comme j’ai dit plus haut, j’ai beaucoup de libertés. J’en profite pour tenter quelques expériences narratives surtout lors de grandes scènes dialoguées. La relecture de Fred me permet de voir si cela fonctionne. C’est un bon indice de compréhension, si ça passe pour lui, ça passe pour tout le monde (rires).

Tu as travaillé pendant quelques années en atelier avec Benoît Springer, est-ce que l'expérience te retenterait ?
Damien : Oui, on était juste tous les deux, c'était une sorte de mini-atelier ! C'était à mes début quand j'ai commencé sur Les Fées noires, cela m'a aidé à progresser sur énormément de choses. En plus, de travailler avec un dessinateur comme Benoit Springer c’est une chance. J'avais un caractère de cochon et quand je bloquais sur le dessin ou sur quelque chose, je me mettais à grogner. C’était gérable à deux, Benoît faisait preuve d’une infinie patience avec son jeune padawan . Maintenant que je suis beaucoup plus calme, l'expérience en atelier me parait moins improbable, je ne mords plus et cela me permettrait de sortir de chez moi (rires) !

As-tu envie d'écrire tes propres scénarii ?
Damien : C'est une chose qui me tentera peut-être, mais pas pour l'instant. En attendant, j'aime bien mettre mon grain de sel dans le scénario des autres. Quand je lis les scénarii de Jean-Pierre, j'ai plutôt des idées de rajouts, mais cela reste anecdotique, plus en rapport avec les personnages comme j’expliquais plus haut. Le syndrome de l’auteur complet, On verra plus tard...

As-tu défini avec Jean-Pierre le nombre de tomes qu'aurait Arcane Majeur ?
Damien : Non, rien n'est défini. Le tome 5 est une sorte de récréation au sein de la série. Il est indépendant des autres, on se concentre uniquement sur Pandora, on rappelle le fonctionnement des cartes. On y retrouve quand même des liens avec la grande histoire, en l’occurrence la naissance de Las Vegas. Pour le tome 6, on va sûrement se baser sur un cycle de deux tomes, avec les grands complots et les grands méchants. Sur le tome 5, j'avais demandé à Jean-Pierre un scénario plus ciblé sur Pandora car dans le tome 4, le scénario étant très dense. Je n'avais pas pu m'amuser avec mon personnage. Il m'a donc fait ce tome « récréatif » que, je trouve très réussi.

© Guy Delcourt Productions – Pécau - DamienQui a eu l'idée de relooker Pandora pour ce tome ?
Damien : En fait, c'est venu du tome 1, elle change de fringues par nécessité du scénario et je me suis donné comme défi de les changer à chaque tome. Dans le tome 2, elle porte une combinaison à la Emma Peel. Dans le tome 3 je me suis débrouillé pour quelle passe du treillis à la jupette. Pour ce tome, c'est Jean-Pierre qui la voulait en blonde. Ce qui est étonnant, c'est qu'on veut sortir des stéréotypes : elle est brune, a des petites seins et au final dès qu'elle est devenue blonde, on me dit c'est génial ! A quand les gros seins ? (rires)

Concernant la colorisation, tu as passé la main, pourquoi ?
Damien : J'ai été puni (rires) ! En fait, l'idée était de gagner du temps afin que je puisse enchaîner plus vite les tomes suivants. J'arrivais aussi à un point où pour faire de véritable progrès à la couleur, il m’aurait fallu y passer beaucoup plus de temps. J'avais aussi la curiosité de voir mon travail interpréter par un coloriste. J'avais des vues sur Emanuele Tenderini depuis 100 âmes que j'avais trouvé magnifique avec son travail sur les lumières et les jeux d'ombres. Lorsque l'on a fait une réunion, très formelle, pour trouver le coloriste avec Fred (Blanchard), Jean-Pierre (Pécau) et Grégoire (Seguin), nous sommes tombés d'accord sur Tenderini et j'en suis ravi. Il a fait un travail formidable ! La seule contrainte que je lui ai donnée est que se soit lumineux. L’exercice n’était pas évident, sur ce tome j’avais laissé beaucoup de zones sans dessin, tous les plafonds du casino, mise à part la verrière, j’y voyais un traitement à la couleur, très sombre avec des spots de lumière et au final il a fait l’inverse, très clair avec des formes géométrique lumineuse, il a habillé ça de superbe façon.

Cette année, tu sors aussi le premier tome d’Une brève histoire de l’avenir adapté du livre de Jacques Attali, de nouveau avec Jean-Pierre Pécau. Comment t’es-tu retrouvé sur ce projet, tu aimais le livre ?
Damien : Je dois avouer que non, je ne connaissais pas le livre, je ne suis pas un très gros lecteur en général. En ce moment, mes enfants occupent une très grosse partie de mon temps libre ! De plus, je lis principalement des polars ou des romans, à défaut des essais… C'est Jean-Pierre Pécau et Fred Blanchard qui m’ont proposé de les rejoindre sur ce projet. Ils m’ont résumé le livre et décrit comment ils voulaient traiter le sujet. Ils m'ont menacé, molesté… (rires). J'ai fini par être très enthousiaste pour ce magnifique projet… J’ai donc lu le livre de Mr Attali, que j'ai trouvé fort intéressant, et l'idée de Jean-Pierre de faire évoluer 4 personnages qui vont se croiser dans un futur proche m’a aussi beaucoup séduite. Je travaille avec Jean-Pierre depuis 10 ans et je suis toujours surpris, séduit et impressionné par ses scénarii, sa capacité de travail et sa faculté à rebondir en cas de besoin. J'avoue que m'attaquer à un projet d'anticipation m'effrayait un peu, je n'avais fait que de l'historico-fantastique jusqu'à maintenant. Mais le projet se faisait au sein d'une équipe avec qui je travaille maintenant depuis longtemps. Tout était là pour tenter une nouvelle aventure avec de nouveaux personnages dans les conditions les plus confortables qui soient.

Le choix d’une trilogie te semble-t-il judicieux ?
Damien : C'est le choix du scénariste, et oui cela me parait judicieux, ni trop long, ni trop court. D'abord ça permet d'indiquer dès le départ au lecteur qu'on l'emmène sur 3 albums. Ce qui nous évite de nous éloigner de la trame principale et mine de rien, 3 albums en BD, c'est court, surtout pour développer le futur de 4 personnages !

As-tu du effectué des modifications sur ton style afin de l’adapter à ce type de récit ? Si d’habitude, Pécau te laisse une certaine marge de manœuvre, cette fois-ci cela a-t-il été différent ?
Damien : Non, je n'ai pas du adapter mon style. J'ai surtout du dessiner des trucs que je n'avais jamais dessiné et que je ne veux plus jamais dessiner (rires) : une vue en légère plongée de Los Angeles, la ville de Jérusalem détruite, un stade de foot rempli de spectateur ! Merci mon scénariste !

Jacques Attali a-t-il pu voir ton travail, si oui qu’en a-t-il pensé ?
Damien : Oui, c'était une des rares exigences de Mr Attali : il voulait un droit de regard sur le choix du dessinateur. On lui a présenté 4 pages qu'il a validées, j'en conclue qu'il a apprécié mon travail.

Comment trouves-tu le temps de faire les deux séries ? Arcane majeur est en pause ?
Damien : Je ne le trouve pas, j'ai beau chercher... Mais Arcane Majeur est seulement en pause, les 15 premières pages du tome 6 sont aujourd’hui faites. Je pense que Pandora a encore pas mal de chose à dire, mais il faudra être patient, ce qui n'est pas son cas.

Quelles sont tes références ?
Damien : Si j'oublie quelqu'un, on va me taper dessus (rires) ! Je suis un gros lecteur de bande dessinée depuis mon plus jeune âge et la liste serais trop longue... Si je devais citer deux noms, je dirais Régis Loisel et Hermann, dont je suis un grand fan. Sa narration et son dessin sont somptueux. Il a un talent fou ! En tout cas, si j'avais un fantasme, ce serait de reprendre le temps d'un tome, un épisode de Jeremiah. J'aime beaucoup aussi le travail de Bengal, qui a fait Meka, sa narration et ses dessins sont brillants.

Quel personnage de BD aurais-tu rêvé de créer ?
Damien : J'aime beaucoup Hellboy, on le balance dans un monde ésotérique et il résout tout à coup de poings (rires) ! C'est débile et génial en même temps. Il y a aussi Tao Bang, l'histoire est du genre : mince on n'a plus de putes, on va aller chercher des putes à l'île aux putes, c’est débile a souhait et très récréatif ! (rires) !

Si tu étais un bédien, quelles séries conseillerais-tu aux terriens ?
Damien : La mienne (rires) ! Cela va dépendre à qui ça s'adresse, Bois-Maury et Jeremiah. Sinon pour les novices Quartier Lointain de Taniguchi et A la recherche de Peter Pan de Cosey.

Si tu avais une gomme magique pour corriger une partie ou un détail d'une de tes BD, souhaiterais-tu l'utiliser ?
Damien : Tous les jours ! En fait, il me faudrait aussi un stylo magique pour dessiner plus vite.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de B.D. pour en comprendre son génie, qui irais-tu visiter ?
Damien : Van Hamme ! Pour passer un week-end avec sa carte bancaire ! (rires).

Y a-t-il une question que tu aurais aimé que je te pose ?
Damien : Est-ce que tu as soif ?

La réponse ?
Damien : Oh oui ! (rires)

Merci beaucoup Damien !

D’après Une brève histoire de l’avenir de Jacques Attali », © Librairie Arthème Fayard, 2006. © Guy Delcourt Productions – Pécau - Damien - tome 2, p.5