interview Comics

David Heatley

©Delcourt édition 2010

En débarquant de (presque) nulle part avec J’ai le cerveau sens dessus dessous, David Heatley a mis tous les grands noms du comics indépendants d’accord, dont Chris Ware et Daniel Clowes. Ce titre complexe, de prime abord, cache en fait une formidable leçon de vie. A l’occasion de la venue de l’auteur à Angoulême, l’envie de partager avec lui nos ressentis n’en était que trop grande. En ressort, au final, la certitude que cet artiste gentil et timide risque de faire fortement parler de lui à l’avenir…

Réalisée en lien avec l'album J'ai le cerveau sens dessus-dessous
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême 2010

interview menée
par
12 avril 2010

© David Heatley - Casewrap for Best American Comics 2007, edited by Chris WarePour te présenter à nos lecteurs, peux-tu te présenter et nous dire comment tu en es arrivé à faire de la bande dessinée ?
David Heatley : Je m’appelle David Heatley et j’ai commencé à faire de la bande dessinée quand j’étais tout petit. Il y avait beaucoup de comics chez mes parents et j’ai commencé en essayant de les recopier. Je devais avoir 10 ans quand j’ai découvert Spiderman, X-Men etc. Au lycée, je me suis mis à lire d’autres genres de comics comme ceux de Chris Ware, Daniel Clowes puis vers 17 ou 18 ans, j’ai tenté de créer mes propres histoires. A ce moment là, j’ai essayé de raconter des choses qui se sont passés pour moi, les relations avec mon père, mes relations au sexe, etc. J’ai fait cela durant 5 années et j’ai ensuite tout compilé pour en faire un livre, J’ai le cerveau sens dessus dessous. Ce fut un processus extrêmement long. J’aurais aimé que cela soit facile.

Ce que l’on voit dans ce livre est impressionnant ! Tu as vécu toutes ces choses ?
DH : Oui, c’était assez dur de raconter ces choses. C’est un peu comme se prendre un râteau avec une fille et que tout le monde t’a vu. Au final, une fois le livre achevé, ça n’a rien changé, la vie est toujours la même. Je suis très heureux d’avoir pu partager ce qui m’est arrivé avec d’autres personnes car certaines disent que cela les a aidés dans leur quotidien, et ça me touche.

Certaines personnes trouvent cependant le contenu du livre assez dur…
DH : Je peux comprendre que certains trouvent mon album difficile dans son contenu, mais je leur suggèrerai de le relire pour mieux comprendre, ce sont juste mes souvenirs. La seule chose que j’ai véritablement envie lorsque les lecteurs découvrent mon titre est de voir ce qu’a pu être une réalité, la mienne. J’ai essayé de mettre mon âme et d’ouvrir mon cœur dans ce livre, j’espère qu’au moins, ils ressentiront ma sincérité.

© David Heatley - Illustration for Small country by Nick Hornby, 2005Tu ne t’es donc mis aucuns tabous ?
DH : Non, la seule chose dont je n’ai pas voulu parler est ma femme. Cela n’aurait rien apporté au livre.

Lorsque j’ai découvert J’ai le cerveau sens dessus dessous, l’idée que le titre était une sorte de puzzle de ton âme m’est venue immédiatement…
DH : C’est exactement ça, cela m’a permis d’exorciser des démons, de me soigner en quelque sorte. J’ai voulu montrer que de ma douleur, j’ai parfaitement pu me montrer positif. Les étapes du passé ont bon avoir été très douloureuses, je suis très heureux aujourd’hui. C’est un procédé assez spirituel, en fait, tu as raison !

© David Heatley - Painting commissioned by pianist Greenberg, 2006Pour J’ai le cerveau sens dessus dessous, tu as même composé une bande originale (ici)…
DH : J’ai toujours aimé la musique et j’ai commencé à en jouer à l’Université. C’est assez drôle parce que j’adore vraiment faire ça, j’ai passé beaucoup de temps pour écrire les titres. Pour moi, cela fait parti de mon procédé de création.

Et au final, préfères-tu faire de la bande dessinée ou de la musique ?
DH : Je préfère dessiner et concevoir mes histoires, mais j’aspire juste à être un artiste.

A quoi peut-on s’attendre pour la suite ?
DH : Mon prochain livre prend mes rêves pour base. Cela s’annonce assez sombre, on retrouvera des thèmes comme la sexualité ou des éléments totalement fantastiques. Cela risque encore de me prendre quelques années !

Quels titres conseillerais-tu à nos lecteurs ?
DH : Je lis beaucoup de comics mais depuis que je suis à Angoulême, j’ai découvert des artistes français fantastiques comme Mathieu Sapin, David B, Lewis Trondheim. Lisez leurs livres, ils sont fantastiques, j’apprécie ce qu’ils font car leur style est assez épuré et très explicite en même temps. Je préfère ce genre d’artistes à ceux poussant très loin le réalisme.

Si tu avais la possibilité d’utiliser une gomme magique pour remplacer ou corriger un détail sur J’ai le cerveau sens dessus dessous, souhaiterais-tu l’utiliser ?
DH : C’est une tentation extrêmement dangereuse que tu me proposes ! J’aime à penser qu’une fois que ton livre est terminé, tu ne reviens plus dessus. Si je le refaisais aujourd’hui, je le ferais différemment, donc je le laisse comme ça.

© David Heatley - Illustration for Metropolis, 2005Si tu avais la possibilité de visiter le cerveau ou l’esprit d’un artiste pour mieux comprendre sa démarche ou son art ?
DH : Juste un ! C’est une bonne question… Art Spiegelman, je connais bien sa carrière et un titre comme Maus est un monument.

Merci David !