interview Comics

Ed Brisson

©Akileos édition 2016

Comme beaucoup d'auteurs, Ed Brisson est fan de comics depuis son plus jeune âge. Après des débuts en tant que lettreur dans les années 90, il a progressivement passé une étape en scénarisant divers travaux de commandes lui permettant de lancer ses propres projets ensuite. Grâce aux éditions Akileos, les lecteurs ont l'opportunité Cluster et Sheltered, deux titres très différents mais marqués par la volonté d'Ed Brisson de raconter des choses intéressantes dans des registres déjà maintes fois exploitées par d'autres. Alors qu'il fait sa place petit à petit dans l'industrie des comics mainstream, nous avons eu le plaisir de rencontrer Ed Brisson lors de la cuvée 2016 de la P.C.E. !

Réalisée en lien avec les albums Cluster, Sheltered
Lieu de l'interview : Paris Comics Expo

interview menée
par
28 juin 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.

Ed Brisson Bonjour Ed Brisson, peux-tu nous dire qui tu es et comment tu as débuté dans l'industrie des comics ?
Ed Brisson : Je m'appelle Ed Brisson et j'ai débuté dans les années 90. À l'époque, j'écrivais et j'illustrais mes propres comics et j'ai commencé par auto-publier. J'ai fini par arrêter d'illustrer car je déteste dessiner. Je me suis alors concentré sur l'écriture – c'était aux alentours de 2010 – et c'est là que des éditeurs m'ont remarqué et que j'ai commencé à faire des choses comme Comeback, Sheltered, Murder Book, Cluster, etc.

Quelles ont été tes influences, artistiquement parlant ?
Ed Brisson : Mes plus grandes influences comics ? Une des toutes premières a été une histoire de Spider-Man intitulée La dernière chasse de Kraven, sortie dans les années 80. Plus tard, ce fut Stray Bullets de David Lapham et les Sin City de Frank Miller. Dans les choses qui m'ont influencée mais qu'on ne voit pas forcément dans ce que je fais, il y a Chester Brown, David Clowes et... Dave Cooper, voilà, désolé pour l'hésitation.

Des styles très différents !
Ed Brisson : Les comics que j'apprécient forment une palette assez étendue, oui !

Peux-tu nous présenter Cluster et Sheltered ?
Ed Brisson : Cluster parle d'une prison située sur un autre monde et de la fille d'un sénateur qui se retrouve dans celle-ci. La planète en question est en cours de terraformation et le truc avec cette prison, c'est qu'elle n'a pas de mur. Par contre, chaque prisonnier a en lui un appareil surnommé le « punch » et qui, si jamais le prisonnier passe plus de 24h au-delà du périmètre de la prison, explose et fait en quelque sorte fondre le prisonnier de l'intérieur. L'histoire débute alors que le vaisseau de la protagoniste, Samara, se fait abattre. Elle se retrouve loin de la prison et elle a donc 24h pour la rejoindre sous peine de voir son « punch » s'enclencher. Sheltered est ce que l'on appelle une histoire pré-apocalyptique. Ça parle d'une bande de Doomsday preppers [NDT : terme américain désignant ceux qui se préparent à l'apocalypse en construisant, par exemple, un abri anti-Ed Brisson atomique dans leur jardin et en faisant des stocks] qui pensent que le monde arrive à sa fin et qui s'y préparent. Pensant que cette fin est imminente, ils prennent des mesures drastiques afin d'assurer leur survie. Celles-ci impliquent, par exemple, de tuer nombre des leurs. Et Sheltered raconte ce qui se passe quand ils prennent ces mesures et que... Rien ne survient, le monde est toujours là. Ça parle de comment ils vont gérer les répercussions de leurs actes et des conséquences de ceux-ci dans leur communauté.

Une des caractéristiques de ta narration sur ces deux titres est que tu prends le temps de donner des conclusions satisfaisantes à tes histoires, ce qui devient rare par les temps qui courent.
Ed Brisson : Je suis un grand fan des choses qui ont une conclusion concrète et définie. Et, donc, à chaque fois que l'on commence à travailler sur une histoire, on essaye d'abord d'en définir la conclusion avant toute chose. En tant que lecteur, j'aime ce qui a une fin. Je finis par m'agacer quand je lis des histoires qui s'étendent en longueur. Rien n'a de conséquence s'il n'y a pas de fin en soi, non ? Si on ne voit pas une conclusion se profiler, on est moins impliqué dans ce qui se passe, ça compte moins.

Pourquoi avoir choisi le point de vue des survivalistes, dans Sheltered ? C'est pour le moins original.
Ed Brisson : Au départ, je faisais des recherches pour une histoire post-apocalyptique que je comptais faire et je suis tombé sur ces types, les Doomsday Preppers comme on les appelle, aux USA. Plusieurs groupes de ces gens-là sont disséminés à travers les USA. Je faisais donc beaucoup de recherche sur eux, je lisais pas mal de leurs écrits, j'écoutais aussi leurs podcasts... Tout ça pour essayer de comprendre comment ces gens vivraient dans un environnement post-apocalyptique. Je faisais donc ça pour une toute autre histoire mais, à mesure de mes recherches, j'ai commencé à m'intéresser de plus en plus à leur cas et j'ai réalisé qu'il n'y avait encore jamais eu d'histoire consacrée à cette culture. Avec Johnny [Christmas], on a fini par créer l'histoire de Sheltered en nous consacrant à l'avant plutôt qu'à l'après [apocalypse].

Ed Brisson Je pense que Sheltered est une série idéale à adapter en série ou en film. As-tu été approché dans cette optique ?
Ed Brisson : Oui, un film est en cours de développement : il y a un script en cours d'écriture ainsi que des réunions en cours, cette semaine-même. Est-ce que ça va aboutir ? Je n'en ai aucune idée. Mais, oui, il y a une producteur et un réalisateur qui y travaillent en ce moment-même.

Avec Cluster, tu as développé une vraie série d'action, prenant place sur une autre planète. Mais il y a aussi un aspect politique avec cette prison et sa gestion. Penses-tu qu'une bonne histoire, c'est aussi un bon mélange de genres ou de concepts ?
Ed Brisson : En tous cas ça l'a été pour Cluster. Au départ, il s'agissait surtout d'une critique de la privatisation. Je ne sais pas où vous en êtes, en France, mais aux USA – je suis canadien mais je vis aux Etats-Unis –, le système carcéral est entièrement privatisé. Quand on se penche sur la question, on est effrayé par le taux croissant d'incarcérations ! Quand quelqu'un profite de l'incarcération d'autrui, on a plus de gens en prison puisque ça génère plus de profit ! Ce n'est pas un bon système. Cluster, de bien des manières, est une critique de la privatisation galopante. Et puis, quand j'étais jeune, dans les années 80, je passais beaucoup de temps dans les vidéo-clubs et je louais des tonnes de films d'action. J'ai donc souhaité que Cluster ait cette ambiance caractéristique d'un film de science-fiction des années 80 mais avec, aussi, donc, ces éléments critiques sur la privatisation des secteurs publics sans pour autant en faire l'objet principal du récit. C'est avant tout un récit d'action.

Et quels sont tes autres projets ?
Ed Brisson : Pour le moment, je travaille sur une série, pour Image – je ne sais pas si elle est disponible ici, en France – qui s'intitule The Violent. C'est une histoire criminelle qui se déroule à Vancouver, où je vis, et ça parle un couple d'ex-criminels, des anciens drogués, qui essaient de reprendre le droit chemin. Ils ont un enfant qu'ils essaient d'élever comme il faut. C'est une histoire qui traite aussi des problèmes immobiliers à Vancouver – c'est aujourd'hui une des villes les moins bon marché dans le monde, sur ce plan – tout en racontant l'histoire de cette famille qui essaie de s'en sortir. J'ai aussi une autre série, chez Boom!, qui vient de sortir et qui s'appelle The Last Contract. C'est assez standard : un ancien tueur à gages sort de sa retraite pour un dernier job. Mais il Ed Brisson a 80 ans et il souffre d'une sorte d’Alzheimer et sa mémoire est bancale. C'est une histoire assez fun, en quatre numéros. Et je viens juste de finir travailler sur Batman and Robin Eternal, pour DC Comics. Je suis aussi en train de finir Captain Canuck, qui est un super-héros canadien et aussi le premier comics que j'ai lu, enfant. Il ont ressorti la série il y a peu et j'ai eu la chance de pouvoir travailler dessus, c'était plutôt cool.

Tu sembles avoir une prédilection pour les polars, je me trompe ?
Ed Brisson : C'est vrai que j'apprécie particulièrement les récits de ce genre, les trucs plutôt sombres. Ça m'attire mais un jour, promis, j'écrirai un truc avec des chiots et des chatons, un truc léger et mignon. Mais, oui, je suis plus attiré par les histoires de crimes, les histoires un peu scabreuses.

Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'une personne célèbre, passée ou présente, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Ed Brisson : C'est peut-être un peu facile mais je dirais Elmore Leonard. C'était un auteur américain de romans policiers – un de mes préférés – qui nous a quitté il y a quelques années maintenant. Il était un si bon auteur. J'aimerais aller dans sa tête et lui piquer ses idées.

Tu chercherais à lui piquer quelque chose de précis ?
Ed Brisson : Sa façon d'écrire des dialogues. Ses dialogues étaient si bons, très vifs, précis. J'adore. Il écrivait de très bonnes histoires, simples, a priori, mais pourtant très complexes.

Trouves-tu le temps de lire des comics ?
Ed Brisson : Oui.

En as-tu des préférés ?
Ed Brisson : Oh, Southern Bastards, Criminal, d'Ed Brubaker, j'aime bien. Lazarus, de Greg Ruka et Michael Lark, Saga.... Voilà ceux qui me viennent à l'esprit. Ah, et aussi la nouvelle série Black Widow de Mark Waid et Chris Samnee, c'est très bon.

Merci Ed !

Ed Brisson