interview Manga

Elsa Brants

©Kana édition 2015

Au pays du manga français, Save me Pythie fait figure d'exception de par son univers très original et son énergie détonante. Revisitant l'antiquité grecque avec malice, l'histoire est bourrée de références et de gags bien sentis. Pour ne rien gâcher, son auteur, la belle Elsa Brants, est très agréable, pleine d'humour et de sincérité. Elle est aussi très bavarde : ça tombe bien, on avait tout plein de questions à lui poser... Une interview entre cocottes, en mode poulet (ne cherchez pas, ça n’a aucun sens...)

Réalisée en lien avec l'album Save me pythie T1
Lieu de l'interview : Salon du livre jeunesse de Montreuil

interview menée
par
18 août 2015

Bonjour Elsa. Peux-tu nous dire comment tu es arrivée dans le monde de la BD ?
Elsa Brants : J’ai d’abord rencontré mon mari, Guillaume Lapeyre (auteur de City Hall, NDLR) dans une association de bandes dessinées, en 1998, et quand on s’est vus on s’est dit deux choses. D’abord qu’on allait tomber amoureux et, ensuite, que ce qu’on voulait faire tous les deux, c’était de la bande dessinée. Au début, on ne savait pas comment. On a essayé des concours mais on n’a jamais été pris. Alors, ce qu’on a fait, c’est qu’on a appris en autodidactes. On avait des petits boulots pour vivre, pour payer le loyer, les repas, ce genre de trucs accessoires (rires). Et le reste du temps, on ne faisait que travailler : le soir, les week-ends, on dessinait, on montait des projets très différents, on a rencontré par mal d’auteurs en salon, on leur a montré notre travail, nos projets, et à chaque fois ils ont tous été adorables. Ils nous ont dit quoi faire pour nous améliorer, ils nous ont aidés à progresser en fait, à atteindre un niveau professionnel, et au bout d’un moment à force de nous voir, je pense qu’ils en ont eu marre car il y a Christophe Arleston qui nous a proposés de faire une histoire dans Lanfeust mag et voilà. Notre première série a donc été pré-publiée dans le magazine puis finalement, ça ne s’est pas fait avec Soleil et on est passé chez Delcourt avec le même projet, notre première série, qui s’appelait Les chroniques de Magon, où Guillaume était dessinateur et moi sa coloriste.


Elsa Brants Save me Pythie

Ce premier album date de 2003 et tu étais donc coloriste. Pourquoi 10 ans plus tard t’es-tu lancée en tant que dessinatrice avec Save me Pythie, et pourquoi en manga et pas en BD classique ?
Elsa Brants : Si j’ai d’abord commencé par être coloriste, c’est parce que le premier projet qui intéressait les éditeurs, c’était justement un projet où j’étais coloriste. C’était donc plus facile pour moi de continuer dans cette voie, de récupérer d’autres projets en tant que coloriste, comme Weëna, Les brumes d’Asceltis ou Les Contes du Korrigan... C’était plus facile de décrocher des contrats de coloriste donc, mais mon envie première c’était quand même de dessiner. Et notre envie commune à Guillaume et moi, c’était de faire du manga, sauf qu’à l’époque, il y a 10 ans, les éditeurs étaient quand même très, très frileux d’éditer des auteurs français comme ça. Raconter des histoires en bande dessinée, c’est quand même pas mal, donc on s’est un peu bridé, et on a un peu changé de style de manière à plaire aux éditeurs et voilà. On a donc fait nos premières histoires dans ce format-là. Sauf que nous, on est des grands fans de manga, on a été élevé au Club Dorothée, on a lu tout ce qui sortait au début - maintenant ce n’est plus possible de tout suivre, mais au début on avait tout, et on voulait vraiment écrire au format manga. Maintenant c’est possible, mais avant on n’y croyait pas. On ne pensait pas qu’un jour un éditeur nous donnerait notre chance, et on est super content de pouvoir finalement le faire. Pour moi, faire une bande dessinée au format franco-belge, c’est un peu plus compliqué car ce n’est pas mon format naturel. Je pense d’abord en manga, avec un découpage manga, pour moi c’est comme ça que ça fonctionne.


Elsa Brants Save me Pythie Peux-tu nous présenter Save me Pythie pour ceux qui ne connaissent pas déjà la série ?
Elsa Brants : Save me Pythie, c’est un manga complétement déjanté qui se passe dans la Grèce Antique, et dont l’héroïne, Pythie, va accueillir un soir un jeune visiteur au temple d’Apollon où elle travaille après le lycée, et ce jeune homme se trouve avoir des mains baladeuses, à vouloir la câliner, lui faire des bisous... Sauf que ce n’est pas le temple d’Aphrodite et que Pythie n’est pas là pour ça. Elle va d’abord lui dire poliment, sauf que le mec ne comprend pas le « non », alors il continue et commence même à se déshabiller, mais Pythie ne se laisse pas faire. Elle va lui envoyer une gifle, puis un coup de poing dans l’estomac, puis un mawashi-geri qui va l’envoyer valser dans les airs et va complétement le défigurer. Sauf que le mec, quand il revient, et bien en fait c’était le dieu Apollon, et il n’est pas tellement habitué à se faire éconduire. Il l’a mauvaise et va jeter une malédiction à Pythie qui va faire que, comme la Cassandre de la guerre de Troie, elle pourra prédire l’avenir sauf qu’elle ne verra que les catastrophes et que personne ne la croira jamais. Suite à ça, un poulet débarque, qui parle, et qui va dire à Pythie « J’ai besoin de toi. Voici mon fils, il veut devenir héros, mais il lui arrive plein d’embrouilles, donc j’ai besoin que tu veilles sur lui en le prévenant de ce qui va arriver de mauvais dans sa vie ». Et ce poulet n’est autre que la plus haute entité divine de l’époque, le roi des dieux, Zeus. Donc Pythie se retrouve chargée d’escorter ce jeune homme, avec pour récompense si elle arrive à le préserver de pouvoir se défaire de sa malédiction. Ca ne va pas être simple, ça se passe dans la mythologie grecque, et donc Pythie va rencontrer plein de monstres, de dieux, de rois, et ça va être très, très drôle !


Pourquoi avoir choisi ce thème de la mythologie grecque ?
Elsa Brants : C’est quelque chose qui m’a toujours fait rêver étant petite. Je devais avoir 9 ans quand on m’a offert mon premier livre sur la mythologie grecque. C’était magique, il y a plein de personnages, des pouvoirs spéciaux, des romances, des combats, des univers et surtout des caractères très différents, bien trempés, qui paraissent tellement humains que pour moi, à cette époque, c’était réel. Ca avait vraiment existé, c’était obligé ! Du coup, quand je me suis retrouvée à avoir la possibilité d’écrire mon histoire à moi, je me suis dit : qu’est-ce qui m’a fait rêver, qu’est-ce que j’ai envie de transmettre aux autres ? Et voilà, ça m’est venu en tête assez rapidement de parler de cet univers-là.


Est-ce que tu as revu tout ça, est-ce que tu t’es documentée à fond avant de te lancer dans cette histoire ?
Elsa Brants : Oui. Même si toute petite j’avais pas mal de bouquins sur le sujet, j’ai quand même fait une très grosse séance dans les médiathèques et bibliothèques, histoire de lire cette fois-ci le plus d’ouvrages différents pour récupérer vraiment la source de chaque histoire. Je me suis alors rendue compte qu’en fonction des ouvrages, tu avais souvent des différences de personnages, de lieux, d’action, plein de choses étaient différentes. Mais c’était quand même très intéressant de voir toutes ces versions. Et en fait ça s’explique : à l’époque, la Grèce, ça n’était pas « la Grèce », c’était plein de cités-Etats, et chaque endroit avait sa propre version des mythes.


Elsa Brants Save me Pythie Dans le deuxième volume, tu mets de plus en plus d’anachronismes, que tu assaisonnes évidement à la grecque. C’est pour te faire plaisir ou parce que tu as vu que cet humour-là marchait bien auprès des lecteurs ?
Elsa Brants : Je ne réfléchis pas trop à ce qui fonctionne ou pas chez les autres, parce que je pense que suivre une recette, c’est le meilleur moyen pour se planter. En tout cas, c’est mon impression. J’essaye avant tout de me faire plaisir, donc oui, je me suis amusée avec ces anachronismes, et j’espère que ça fera rire. Ca le fera ou pas, on verra, en tout cas moi je me suis amusée à les faire. J’ai eu énormément de retours de mes lecteurs après le premier tome mais, en fait, suivant les personnes, tu as des avis totalement différents. Donc bien sûr, je vais suivre s’il y a une grosse majorité. Par exemple si j’ai fait une grosse faute, que ça ne se reproduise pas. Mais si je devais suivre l’avis d’une personne en particulier, je risquerais du coup d’en décevoir une autre. Donc je pense qu’en étant le plus sincère possible, en suivant ce qui m’a plu dans le premier et en continuant comme ça, c’est ce qui plaira peut-être d’avantage, je ne sais pas... En tout cas j’essaye d’être sincère en écrivant mes histoires : si je le fait, c’est que ça m’a plu.


L’histoire était prévue en 3 tomes dès le départ : tu avais déjà toute l’histoire de prête ou juste les grandes lignes ?
Elsa Brants : J’avais la fin, les grandes lignes et quelques dialogues déjà. Mais je n’avais pas tous les chapitres, et en tout cas pas dans le même ordre. Chez Kana, ils ont signé pour 3 tomes et le 3ème est donc dès le départ prévu pour être une fin de cycle. Et il y a eu des modifications, mais sur des détails. En gros, tout ce qui était vraiment important, les étapes des évolutions entre les personnages, tout était déjà écrit bien avant de dessiner. Tout comme j’ai déjà prévu mon deuxième cycle - si deuxième cycle il y a, je sais comment il va commencer, comment évoluer, ainsi que sa chute.


Elsa Brants Save me Pythie Et si deuxième cycle il y a, y aura-t-il également un troisième cycle potentiellement ? As-tu des idées à foison pour encore de nombreux opus ?
Elsa Brants : J’ai pas mal d’idées oui. J’aimerais bien pouvoir continuer comme ça encore longtemps. C’est très, très riche, c’est vraiment un terreau qui te permet de créer encore plus de rebondissements et d’interactions entre les personnages qui peuvent être rigolos, donc oui j’ai de quoi faire.


Avec les mêmes héros ou de nouvelles têtes ?
Elsa Brants : Il y a le noyau dur qui risque de rester assez longtemps, oui.


D’ailleurs, as-tu un personnage préféré dans ta série ?
Elsa Brants : Il y en a plusieurs. J’aime bien cassandre, j’aime bien le poulet... Certains c’est sous forme de brochettes, mais là c’est pas pareil (rires) ! Sinon pour le tome 2, je suis une grande fan d’Athéna depuis que je suis toute petite, depuis que j’ai appris que c’était une femme guerrière. Pas comme dans la série Les chevaliers du Zodiaque, en mode potiche. En passant, dans le tome 2, j’ai mis une trentaine de guests. Il n’y a pas que des personnages de manga d’ailleurs : Marianne James, Judge Dread, Nicos Aliagas (il est grec en même temps, je ne pouvais pas passer à côté !), etc.


Elsa Brants Save me Pythie Ton mari, Guillaume Lapeyre, fait aussi du manga. Est-ce que ça aide, est-ce que vous vous influencez l’un l’autre, est-ce que vous vous aidez ?
Elsa Brants : On s’aide pas mal, déjà pour avoir une relecture, un recul sur le travail de l’autre. Parce qu’on doit produire quand même assez vite. On ne travaille pas aussi vite que les japonais, mais on essaye quand même d’avoir un rythme de parution qui ne soit pas trop long pour les lecteurs français, et du coup il y a le risque de ne pas voir de petites erreurs, qu’on verrait dans quelques mois mais qu’on ne voit pas tout de suite. Donc, moi sur son travail et lui sur le mien, on va se dire « attention, là tu devrais modifier ça » ou « là, c’est pas drôle, ça manque de quelque chose ». On s’aide l’un l’autre. Concrètement, moi je vais plutôt l’aider sur le design des personnages, les décors, et lui va plutôt m’aider sur les scènes d’action dans le story-board. Ce sont nos points forts, donc on travaille là-dessus.


Pourquoi la série Save me Pythie est-elle sortie chez Kana et pas un autre éditeur faisant du manga français ?
Elsa Brants : J’ai présenté le projet chez plein d’éditeur. Ankama ne prenait plus rien à l’époque, ils étaient plutôt en train de virer plein de monde et au final je suis plus que chanceuse d’avoir été signée chez Kana. Les deux dernières séries que Guillaume a signées avec Remy, ce n’est pas chez Ankama non plus. Chez Kana, j’ai un suivi de malade, j’ai eu de la promo avec un stand complet à Japan Expo, plein d’interviews, plein de déplacement et plein de promo qui a été faite, et c’est très rare. Je suis très libre, mais j’ai un suivi quand même. Par exemple, mon éditrice va me relire et me donner des conseils comme « là, ce dialogue on ne comprend pas trop » ou encore « cette scène, il faudrait la rendre plus claire » pour qu’on reste toujours dans l’humour et dans le rythme pour que les lecteurs ne décrochent pas en se demandant ce qu’il se passe ou en devant retourner des pages en arrière pour comprendre. A chaque fois que mon éditrice me donne un conseil comme ça, je relis ce que j’ai fait et je me dis « mais oui, évidemment, elle a raison ». C’est un truc que j’aurais peut-être vu après avec le recul, mais sur le coup en étant la tête dans le guidon, je ne l’avais pas vu tout de suite.


Qu’est-ce que tu penses de la production française de manga ?
Elsa Brants : Je ne connais pas tout. Je connais Reno Lemaire (Dreamland), Tony Valente (Radiant), et Michaël Almodovar très bien puisqu’ils sont tous de ma région, même si maintenant Tony et Michaël habitent plus loin. On s’est souvent croisés en festival, on est des bons copains, on s’amuse bien et j’aime beaucoup ce qu’ils font. Je trouve qu’à chaque fois chacun a su trouver son histoire, son type de narration. Pour moi ce n’est pas quelque chose de totalement copié, chacun a su faire son propre type de manga à lui avec ses influences personnelles.


Elsa Brants Save me Pythie Et sur l’évolution du manga français depuis ses débuts ?
Elsa Brants : J’en suis ravie. Je pense que des séries comme City Hall et Dreamland ont permis aux éditeurs de croire que je pouvais aussi faire une histoire sous ce format-là. J’en suis très contente et j’espère que ça va continuer encore parce que je pense que les auteurs français ont quelque chose à dire avec leur culture et leurs influences françaises qui ne sont pas totalement japonaises, qui sont un hybride des deux et qui leur permettent d’avoir une originalité, qui va trouver un public différent et qui va enrichir tout le panel des mangas qu’on peut trouver en France.


Crois-tu que ce genre de manga pourrait à l’inverse s’exporter au Japon ?
Elsa Brants : J’aimerais beaucoup ! Ca serait un rêve de petite fille. Je pense que c’est possible. Les éditeurs japonais aussi sont à la recherche de talents étrangers. En général, on dit plutôt que les japonais sont assez repliés, mais moi je n’ai pas cette impression. Je pense que ça serait quelque chose qui pourrait plaire. Alors est-ce que Save me Pythie va être exportée, est-ce que City Hall, je ne sais pas. Je n’ose pas y croire mais ça serait cool, ça serait vraiment la classe !


Tu le disais tout à l’heure, tu es de la génération Club Dorothée. Plus précisément, quelles sont tes œuvres qui t’ont le plus marquée, à la fois dans les dessins animés de cette époque ainsi que dans les mangas ?
Elsa Brants : Je suis une grosse fondue de Rumiko Takahashi qui a dessiné Lamu, Ranma ½, Inu Yasha qui est devenu très sombre vers la fin mais qui était quand même un peu drôle au début, Rinne... J’adore ce qu’elle fait, ça me plait beaucoup. Après, en humour, j’aime beaucoup Docteur Slump d’Akira Toriyama. Mon papa a lu un seul manga et c’est celui-là, donc c’est quelque chose de très bien et de très drôle (rires). Après, il n’y a pas que des mangas d’humour qui m’ont plu. J’ai adoré Dragon Ball - toujours d’Akira Toriyama, j’ai rêvé de Végéta plusieurs fois (rires). Akira évidemment. Quand j’ai vu Akira en librairie, en 1995 ou 1996, je ne me rappelle plus...


C’était en 1990.
Elsa Brants : Oui ! C’était le premier des recueils en librairie, avec les 5 premiers chapitres en fascicules souples. Mais c’était les chapitres du 2 au 6 (NDLR : en fait, c’était du 3 au 7), il n’y avait pas le tout premier dedans ! Je n’avais pas d’argent de poche, donc j’avais fait des pieds et des mains pour réunir la somme qui pour moi était astronomique. Ce n’était pas si cher que ça mais bon, à l’époque, pour quelqu’un qui n’avait pas d’argent, ça l’était. Et je suis revenue avec ce recueil à la maison et je l’ai lu, je sais pas, une dizaine de fois tous les jours pendant des mois et des mois, à tout compulser. Ce jour-là je me suis dit « on va avoir du manga en France ». C’était tout un champ de possibilités qui s’ouvrait à moi en fait. Après, j’ai un peu regardé tous les dessins animés qui passaient mais ce qui m’a vraiment marqué le plus... Il y en a tellement... Non, je ne vois pas. Maison Ikkoku, les Cat’s Eyes, c’était classe ! On était trois avec mes sœurs, et la dernière était vraiment très jeune. On sortait le soir déguisées en Cat’s Eyes alors que mes parents dormaient. On faisait le mur, c’était un quartier résidentiel, et on courait dans la rue, on imaginait qu’on était les Cat’s Eyes, et au moindre premier chien qui commençait à aboyer, vite, vite on rentrait chez nous, et on allait se terrer dans notre lit (rires) ! Voilà, donc quand je fais du manga, c’est vraiment quelque chose de sincère !


Elsa Brants Save me Pythie

Tu fais du manga, mais ton graphisme n’est pas non plus stéréotypé japonais. On sent tes différentes influences. Comment définirais-tu ton style ?
Elsa Brants : C’est compliqué. Je crois que j’aurais du mal à le décrire en fait. C’est le mélange de tout ce qui m’a plu, que j’ai vu, pas forcément en manga, mais aussi en franco-belge, et aussi en peinture, des films... C’est comme trouver l’inspiration en fait. Tu vas emmagasiner plein d’images, ton cerveau va les classer, consciemment ou pas, et puis au moment de créer, tu vas ressortir un petit trait d’untel, un petit trait d’un autre, et ça va finir que ça va être ton style parce que c’est ce qui t’a plu dans chacun, donc c’est toi en fait. C’est vraiment difficile à définir.


Tu disais être autodidacte et avoir un style influencé à la fois par les mangas et la BD franco-belge. Alors qu’est ce qui a fait que tu as appris à dessiner plutôt à la japonaise qu’à l’européenne. Le style t’es venu naturellement ou t’es-tu forcée pour faire comme dans les mangas à l’origine ?
Elsa Brants : C’est parce que tout ce qui était manga était ce qui me faisait rêver le plus, donc forcément c’est certainement pour ça que c’est ce côté-là qui est ressorti le plus, mais oui c’est tout à fait inconscient. Déjà quand j’étais ado et que je faisais ma première bande dessinée, c’était dans ce style-là et donc j’ai continué.


Tu es maintenant un auteur complet, tu es dessinatrice, tu as été coloriste et tu es désormais également scénariste. Laquelle de ces trois activités préfères-tu ?
Elsa Brants : J’ai fait beaucoup, beaucoup de mise en couleurs, et j’avoue que si je peux en faire un peu moins maintenant, je suis ravie, parce que c’était à des cadences assez infernales qui, vers la fin, faisaient que c’était moins amusant à faire. Maintenant, de temps en temps, faire des couleurs pour des ex-libris, des couvertures, ça redevient un plaisir. C’est difficile de dire ce que je préfère, j’aime chaque étape, j’aime écrire mes histoires car je me fais rire toute seule comme une couillonne dans mon bureau, j’aime l’étape du dessin parce que là j’ai plus qu’à poser le cerveau et à laisser couler ma main pour mettre en images ce que j’ai en tête... Ce sont des plaisirs différents mais j’aime chaque aspect.


Elsa Brants Save me Pythie Maintenant que du as du recul et que tu as créé ta propre histoire, quelles sont les œuvres qui t’ont le plus influencées, pas d’un point de vue personnel, mais que tu sens ressortir d’un point de vue professionnel ?
Elsa Brants : Je pense que Lamu de Rumiko Takahashi m’a pas mal influencée, pour le côté absurde, loufoque, et les personnages bien barrés. Tout ce qui est Gotlib aussi, son humour, ou Le Génie des alpages de F’Murr, ça m’a beaucoup fait rire étant petite, donc je pense que ça doit ressortir par touches par-ci par-là... Les Monty Python aussi, leur humour, c’est quelque chose qui me plaît beaucoup. Je pense qu’on retrouve un petit peu de tout ça.


Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut faire de la BD ou plus spécifiquement du manga en France ?
Elsa Brants : Déjà, je vais lui conseiller de dessiner sans arrêt, d’avoir tout le temps un crayon et un carnet dans son sac. S’il (ou elle) écrit aussi ses histoires, le mieux c’est d’écrire un tout petit peu tous les jours, même si ce n’est qu’une ligne. Le but c’est de muscler son cerveau à l’effort d’écriture. Après, je pense qu’il est très important d’avoir une grande culture, de lire beaucoup de choses, pas forcément en BD ou en manga, mais aussi de lire beaucoup de romans, de voir beaucoup de films... Et enfin, une fois que la personne aura écrit son projet et pensera à aller voir les éditeurs, je sais qu’en général ces derniers vont demander, pour du franco-belge, un dossier avec 3 ou 4 pages dessinées, 1 ou 2 pages couleurs, et avoir un scénario bien défini, et si c’est pour du manga, il va falloir beaucoup plus de pages puisque le format est plus gros. En général, il faut plutôt un chapitre entièrement finalisé plus le storyboard des chapitres suivants, ça peut être pas mal, voire aussi un résumé bien défini de l’album et de la série, pour que l’éditeur sache où ça va partir. Il faut savoir que c’est beaucoup de travail, c’est un métier passion mais qui nécessite de ne pas compter ses heures, ne pas compter sortir tous les soirs ou partir en week-end souvent, il vaut mieux savoir que c’est un travail plutôt ardu. Pour ma part, je sais que je ne ferais rien d’autre car ça me fait rêver, c’est ce que je voulais faire depuis toute petite. Il y a des sacrifices, mais aussi pas mal de récompenses en faisant ça...


Si tu avais le pouvoir magique d’aller visiter l’esprit d’un autre artiste, mort ou vivant, en dessin ou autre, pour comprendre son génie voire même lui piquer des techniques, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Elsa Brants : Un seul ? Mais c’est dur ! Bon, déjà, puisque je suis quelqu’un de très optimiste et que je ne m’empêche pas de rêver, je ne vais pas dire quelqu’un de vivant car je m’imagine que je vais pouvoir le rencontrer et lui parler un jour. Donc, je vais choisir Osamu Tezuka, parce que j’adore toute sa production, il a une force de narration tellement incroyable ! Il me semble que ça serait lui le plus intéressant. Je rêve toujours de rencontrer Rumiko Takahashi en vrai, donc je vais rester sur Osamu Tezuka. Je discuterais avec lui, je lui demanderais comment lui venaient ses idées, à quoi il pensait en créant ses histoires, qu’est-ce qui le motivait pour faire autant de séries, il était vraiment très prolifique... Voilà, connaître ses motivations, savoir si ça l’a rendu heureux, qu’est-ce qu’il en a retiré... Et puis je lui raconterais comment ça se passe maintenant, est-ce qu’il serait content que d’autres pays dessinent aussi dans le format manga désormais...


Merci !


Elsa Brants Save me Pythie Dédicace




Merci à Emmanuelle Verniquet et aux éditions Kana.
Interview co-réalisée avec Nicolas Demay

Toutes les illustrations de l'article sont ©Elsa Brants