interview Comics

Esad Ribic

©Panini Comics édition 2015

Parmi les nombreux artistes européens à avoir la côte aux USA et plus particulièrement chez Marvel, le croate Esad Ribic interpelle régulièrement par son style pictural maîtrisé. Il a collaboré ces dernières années avec quelques uns des plus prestigieux scénaristes comme J. Michael Straczynski ou Jason Aaron avec qui il livre une des meilleures séries sur Thor jamais imaginée jusqu'alors. Toujours plus sollicité par la Maison aux idées, Esad Ribic se retrouve même promus sur l'event 2015 : Secert Wars. Alors qu'on lui tournait autour depuis quelques temps déjà pour lui poser quelques unes de nos questions, le croate a accepté de nous répondre, à a "cool", tout en réalisant une commission pour un de ses fans.

Réalisée en lien avec les albums Thor (2013) T1, Thor (2013) T2
Lieu de l'interview : Paris Manga & Sci-Fi Show

interview menée
par
14 avril 2015

Bonjour Esad Ribic, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Esad Ribic : Je m'appelle Esad Ribic et je suis illustrateur de comics, d'origine croate. J'ai essentiellement travaillé pour le marché américain, avec Marvel Comics et ce depuis à peu près une quinzaine d'années.

Comment décrirais-tu ton style ?
Esad Ribic : J'ai deux styles différents. J'ai passé une grande partie de ma carrière à réaliser des œuvres peintes. Donc un de mes styles est la peinture. Et, sinon, un mélange de crayonné et de techniques Photoshop que j'emploie quand je n'ai pas le temps de peindre. Deux styles très différents.

Comment composes-tu tes planches ?
Esad Ribic : Il n'y a pas besoin d'établir une composition précise à l'avance, il suffit que cela paraisse tenir la route. Mais pour d'autres, oui, il faut être exact, précis. Tout dépend de ce qui est requis.

As-tu des influences ?
Esad Ribic : Mes premières grandes influences, en tous cas le premier artiste que e me suis efforcé d'émuler, c'était Frank Frazetta et, après ça, j'ai accroché à Mœbius. Ça se remarque probablement moins dans mon travail que l'influence de Frazetta car j'ai découvert ce dernier à l'époque de ma vie où on est le plus prompt à copier les choses. Ce n'est qu'après Frazetta que j'ai décidé de ne plus simplement copier les styles qui m'intéressaient. Toutes les influences ultérieures, comme Mœbius, se reflètent plus discrètement dans mon style. Je suis un grand fan de peinture, de tous les styles, jusqu'à l’impressionnisme. Mais je trouve aussi de l'inspiration dans des films, un peu de tout... On peut en trouver partout et pas nécessairement sur un plan visuel. On peut lire quelque chose qui évoque des images à l'esprit.

Tu es connu pour tes couvertures aussi bien que pour tes pages intérieures. Quel est ton exercice préféré ?
Esad Ribic : Ça dépend. Une couverture est une toute autre tâche et c'est l'intérêt porte sur des points différents, par rapport aux pages intérieures. C'est très différent, sur bien des points. Je ne peux pas vraiment comparer les deux. Mais je sais que parfois, je peux préférer travailler sur l'un ou l'autre. Ça dépend.

Ta première grande incursion dans les comics a été pour Vertigo, avec Four Horsemen, avec Robert Rodi. Quel regard portes-tu sur cette expérience, aujourd'hui ?
Esad Ribic : Je pense la même chose qu'alors. J'adorais le concept mais on n'a pas eu le temps de le réaliser comme on le souhaitait. Au départ, on devait peindre l'ensemble des illustrations mais, à la dernière minute, il a été décidé que Four Horsemen ferait partie de l'event V2K qu'ils lançaient, à l'époque, à l'occasion du nouveau millénaire. Tout d'un coup, on s'est retrouvés incapables de le faire comme on l'avait prévu.

Peu après, tu as de nouveau collaboré avec Robert Rodi, sur Loki. Quelle a été ton approche des personnages de Loki mais aussi de Thor ?
Esad Ribic : Ça a été la seconde occasion que l'on a eue de travailler ensemble et, cette fois, on avait le temps de faire ce que l'on aurait voulu faire en premier lieu sur Four Horsemen. Et... Je ne sais pas, je pense que Loki tient toujours la route aujourd'hui. C'était très proche de ce que l'on a voulu faire et je reste satisfait de ce titre.

Ensuite tu as travaillé sur Silver Surfer : Requiem. C'est une très bonne histoire, superbement illustrée. As-tu beaucoup discuté avec J. Michael Straczynski, à ce moment là et que penses-tu de ce Requiem, maintenant ?
Esad Ribic : On n'a pas beaucoup parlé et on ne s'est vraiment rencontrés qu'après que j'aie fini les illustrations. Son script était très explicite et il n'y avait donc pas besoin d'en rediscuter. C'est un des titres comics dont je suis très fier car j'ai réellement pu prendre le temps de le réaliser tel que je le souhaitais et j'ai aussi pu participer à la création de l'histoire. Je le vois comme un de mes bébés.

Je voulais aussi te parler de Namor, que tu as réalisé avec Peter Milligan. Qu'as tu retiré de tes collaborations avec tous ces grands auteurs ?
Esad Ribic : On apprend toujours quelque chose ! C'est difficile, souvent, de dire quoi. Mais chaque fois qu'on est confronté un un nouveau problème, on apprend quelque chose. Sur Namor, la difficulté revenait à rester concentré. ça parlait de deux types dans deux pièces différentes qui se crient sans arrêt dessus. Visuellement, c'était un challenge à réaliser. Pas seulement ça mais, quand on travaille avec des gens qui ont une connaissance approfondie de la structure d'une histoire, ce genre de choses, il est difficile de comprendre leur réflexion. Pour pouvoir construire quelque chose, il faut d'abord le déconstruire et analyser chaque élément. On en apprend pas mal sur la narration, aussi.

En parallèle à ces projets, tu as as réalisé de nombreuses couvertures. En as tu une préférée ?
Esad Ribic : Non, pas vraiment. Quand j'en réalise une, elle va peut-être devenir ma préférée pour les deux semaines qui suivront mais je l'oublierai très vite... Désolé !

Tu es allé ensuite sur Uncanny X-Force avec Rick Remender et aussi sur Ultimate Comics: The Ultimates avec Jonathan Hickman. As-tu modifié ta manière de travailler ou encore ton style pour t'adapter à ce nouveau rythme ?
Esad Ribic : Oui. On parle ici de séries mensuelles, ce qui implique bien plus de travail. Le standard, chez Marvel, pour un titre, c'est 20 pages. En plus de ça, je réalise des couvertures pour d'autres titres - parfois pour les miens - sans compter que je peux me retrouver aussi à la colorisation... ça me fait beaucoup de boulot !

Rick Remender a précédemment officié sur des postes d'illustrateur et d'animateur. Est-ce que ça a eu un effet différent sur ta collaboration avec lui ?
Esad Ribic : Assurément. Quand tu travailles avec un type qui n'a jamais été qu'auteur, tu remarques qu'il va souvent mettre sur la papier des choses impossibles à mettre en images. Rick, lui, il connait ce travail. Il sait ce qui peut marcher au sein d'une case ou pas. C'est plus un point technique qui n'est pas anodin. Quand tu te retrouves avec un de ces scripts problématiques, tu es obligé de chercher des astuces pour essayer de faire rentrer ça dans la page mais avec Rick, le problème ne se pose pas. Il livre des descriptions très riches mais d'une manière aisément compréhensible, pour moi. On voit tout de suite qu'il est aussi illustrateur.

Avec Marvel Now !, tu as travaillé - encore une fois - sur le personnage de Thor, avec Jason Aaron, cette fois. Si je ne me trompe pas, c'est la première fois que tu ne colorises pas tes illustrations. Que penses-tu du travail d'Ive Svorcina ?
Esad Ribic : Il vient me voir dans mon studio et, quand on travaille sur les planches, je vérifie tout et je les corrige, éventuellement. J'effectue donc encore pas mal de travail sur le plan de la colorisation. C'est plus facile pour moi de déléguer de cette manière car si je devais travailler avec un coloriste sans avoir le moindre regard sur la travail fini, ce serait rapidement problématique, sur de nombreux points. Je ne travaille pas en noir et blanc et je ne pense pas mes illustrations en deux dimensions, toujours en fonction de la profondeur, de la perspective. Même si je travaille en noir et blanc, ça restera le point de vue prévalent. La colorisation dépend donc fortement de ce, de *mon* point de vue. C'est pour ça qu'une colorisation classique ne fonctionne généralement pas, je pense, avec mes illustrations. Ive a déjà une bonne idée de ce qu'il faut faire car lui aussi est peintre, à la base, donc son travail est déjà très proche de que j'aurais fait à sa place. Quand il a fini, je repasse alors sur les planches. C'est comme ça que ça marche.

Quels sont tes prochains projets ?
Esad Ribic : Je travaille sur Secret Wars, le prochain gros event Marvel. C'est ce qui m'accapare le plus mais, après ça, je ne sais pas encore.

Y a-t-il des personnages sur lesquels tu aimerais travailler ?
Esad Ribic : Non. Les personnages sont, pour moi, comme des outils. Ce qui m'intéresse, ce sont les histoires. Les personnages, eux, ont moins d'importance.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Esad Ribic : Personne, à vrai dire. Tout ce qui est important pour soi en tant qu'artiste et que l'on peut trouver chez d'autres artistes, tout cela est retranscrit et présent dans leurs œuvres. Personne ne m'intéresserais.

Merci Esad !

Remerciements au festival Paris Manga & Sci-Fi Show, à Claire Regnault pour l'organisation de la rencontre, à Mathieu Auverdin pour l'entretien et à Alain Delaplace pour la traduction.

Esad Ribic